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Qu’est-ce qui fait courir Hafedh Caïd Essebsi ?

Les maneuvres, dignes d’un Ben Ali, préparant la succession de Caïd Essebsi père par Caïd Essebsi fils sont à prendre au sérieux et, surtout, à contrer énergiquement.

Par Noura Borsali *

Depuis le remaniement ministériel du 6 septembre 2017 qui a consacré l’hégémonie de Nidaa Tounes (13 ministres et secrétaires d’Etat), des informations sont relayées à propos de très probable candidature de Hafedh Caïd Essebsi pour représenter la circonscription d’Allemagne à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), lors de la législative partielle qui sera organisée dans les prochaines semaines.**

Cette probable candidature a été annoncée sur Chems FM, le 7 septembre, au lendemain du remaniement ministériel, par Borhen Bsaies, benaliste notoire promu, depuis quelques mois, à la tête des affaires politiques au sein de Nidaa. Le candidat devra remplacer le député nidaiste Hatem Chahreddine Ferjani, conseiller juridique en droit international résidant en Allemagne et désigné, par son parti, pour occuper le poste de secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères chargé de la Diplomatie économique.

Hafedh Caid Essebsi : De Berlin au Bardo !

Conformément à l’article 35 de la loi organique n° 2014-16 du 26 Mai 2014 relative aux élections et aux référendums, le nouveau secrétaire d’Etat ne peut cumuler ses deux fonctions de député et de responsable dans le gouvernement. Dans ce cas, il y a vacance du siège de la circonscription d’Allemagne.

Selon une déclaration radiophonique, le 8 septembre, Nabil Bafoun, membre du bureau de l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie), la circonscription d’Allemagne «constitue un cas particulier dans le sens où chaque liste des partis lors du scrutin législatif de 2014 ne comprend qu’un seul candidat sans suppléant». Elle ne dispose donc que d’un seul siège et n’obéit pas, de ce fait, au principe du suivant sur la liste électorale (puisqu’il n’y a pas de liste dans la circonscription en question). M. Bafoun ne manquera pas d’ajouter que le candidat ne doit pas forcément résider en Allemagne.

Les Nahdhaouis rouleront bien pour Hafedh Caïd Essebsi: ils ne trouveront pas un meilleur Tartour II. 

Ainsi donc, le choix de cette circonscription offre, sans conteste, une opportunité sûre au fils du président de la république, qui s’est autoproclamé directeur exécutif de Nidaa, parti traversant, depuis quelques années, une crise sans précédent, avec contestations et démissions, de s’assurer une place à l’ARP. D’autant que, au nom de la sacro-sainte «union nationale», aucun candidat sérieux d’autres partis ne se présentera, sauf surprise de dernier instant.

Toutefois, pour conférer une «légitimité» à cette victoire de Hafedh Caid Essebsi, certaine sans aucun doute, il faudrait prévoir d’autres candidats. Deux Tunisiens ont annoncé d’ores et déjà et à trois jours d’intervalle, leur intention de briguer le seul poste en question.

Le premier prétendant est le controversé Rabye Bouden, résident en Allemagne, qui a annoncé sa candidature, comme à son habitude, dans son style bien «particulier» et dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux. Considéré comme un «personnage loufoque», il n’a aucune chance de gagner cette élection partielle.

Le second concurrent, plus sérieux, est Raouf Dakhlaoui, libraire et ancien président de la délégation spéciale de la municipalité de Sidi Bou Saïd. A Kapitalis, il dévoilera ses «motivations» en affirmant qu’il a vécu quatorze ans en Europe et qu’il a accompli de fréquents séjours en Allemagne où il disposerait «de réseaux importants dans la communauté tunisienne ainsi que dans beaucoup de milieux germaniques». Toutefois, il doit savoir d’avance qu’en «s’opposant» au fils du chef de l’Etat, il n’aura aucune chance d’emporter l’élection. Mais qu’importe ! Cette candidature, celle d’un résident à Tunis, tout comme Hafedh Caid Essebsi, servira à confirmer qu’un Tunisien non résident pourrait postuler à ce poste de député représentant la communauté tunisienne d’un pays étranger et donc à légitimer davantage la candidature de Hafedh Caid Essebsi. Ce dernier ne sera plus, en effet, le seul à candidat à briguer ce poste en tant que non résident en Allemagne.

Cette succession précipitée de ces déclarations ayant l’air d’être bien planifiées et abondant toutes dans le même sens, tente d’informer l’opinion publique de cette décision de Nidaa, de l’y préparer psychologiquement et de conférer un semblant de «légitimité» à une candidature inattendue du fils du chef de l’Etat qui a surpris plus d’un Tunisien.

Les Tunisiens entre choc et inquiétude

Interloqués, bien de Tunisiens se demandent si cette information de la candidature de Hafedh Caid Essebsi est bien réelle ou si elle constitue désormais – et sans rompre avec les méthodes benalistes – un simple ballon d’essai ou une rumeur passagère. Mais, les Tunisiens devenus de fins avertis en matière politique, sont persuadés que cette information est loin d’être un coup médiatique ou un simple buzz. Des polémiques sont alors engagées, révélant leur sarcasme et surtout leur refus de tous ces subterfuges montés pour que le fils du président accède à l’ARP.

Des analyses ont été jusqu’à considérer que la voie est ouverte pour Hafedh Caid Essebsi, lui permettant de grimper les échelons qui le conduiraient à la présidence de la république par intérim : de chef du bloc parlementaire de Nidaa à la présidence de l’ARP, en cas de vacance, et enfin à la magistrature suprême, toujours en cas de vacance, compte tenu de l’âge très avancé des deux présidents respectifs de l’Etat et de l’ARP, ou coup de théâtre légal grâce à la sacro-sainte alliance Nidaa-Ennahdha.

Pour le chef de l’Etat, la constitution prévoit, en effet, comme motif de vacance définitive, les causes de décès et d’incapacité permanente et stipule, dans son article 84, que, dans ces cas précis, c’est le président de l’ARP qui prendrait, par intérim, les rênes du pouvoir jusqu’aux prochaines élections après le constat de la vacance du pouvoir par la Cour constitutionnelle qui, disons-le bien, n’a pas encore été constituée.

Ceci, penseraient certains, pourrait s’apparenter à des élucubrations fantaisistes, ou, bien au contraire, à des analyses anticipant un avenir très proche à la veille de l’échéance électorale de 2019.

Des Tunisiens sont aujourd’hui inquiets face à ce qu’ils considèrent comme une grave et dangereuse dérive, comme en témoigne l’interrogation de ‘‘Nawaat’’, le 8 septembre: «Jusqu’où Hafedh Caïd Essebsi pourrait-il aller ?».

La contre-révolution en marche

Tant il est vrai que l’environnement est de plus en plus propice à une telle prise de pouvoir. Plusieurs facteurs l’attestent comme la désignation, dans la composition du nouveau gouvernement «siglé Essebsi père et fils» (‘‘Le Point’’), de ministres et de responsables politiques défenseurs notoires de Ben Ali («une troublante évolution», note ‘‘Le Monde’’) ou encore l’annonce toute récente de l’adoption du projet de loi relatif à la réconciliation dite administrative lors d’une prochaine session extraordinaire de l’ARP.

Il faudrait y adjoindre la volonté du chef de l’Etat de réviser la Constitution de 2014 afin de revenir à un régime présidentiel renforcé et de réduire l’indépendance de quelques institutions autonomes échappant, selon lui, au contrôle de l’Etat. Son entretien au journal ‘‘Essahafa’’ publié le 6 septembre dernier, le jour même de l’annonce du chef du gouvernement du remaniement ministériel (coïncidence ?), atteste bien du fait que le chef de l’Etat, sous «son ascendant grandissant» selon l’expression du ‘‘Monde’’, entend rester le seul maître à bord en dépit des pouvoirs limités que lui accorde la Constitution 2014. Une manière de vouloir revenir, en procédant par étapes – politique chère à Bourguiba – à la case départ, réhabilitant, par la même occasion, tant le bourguibisme que le benalisme.

Toutes ces manœuvres politiques que certains commentateurs qualifient de «contre-révolution», ont inquiété également la presse internationale tel le quotidien ‘‘Le Monde’’, qui note très justement, dans son édition du 8 septembre, que «la Tunisie est un chantier démocratique trop rare, trop précieux – dans cette région du monde – pour qu’on l’afflige de caricatures. Il se cristallise, dans le sillage d’un printemps 2011 qui époustoufla le monde, une expérience unique d’acclimatation de la démocratie en terre arabo-musulmane, à juste titre célébrée par maints laudateurs».

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Que reste-t-il du 14-Janvier ?

Qu’est-il finalement resté de cette révolution du 14 janvier 2011 face à cette politique de truchement des principes et des mécanismes démocratiques en vue de rétablir, de nouveau, un autoritarisme républicain ou un Etat théocratique, défiant ainsi les combats et les sacrifices consentis par les Tunisiens pour que renaisse une Tunisie autre?

Le pouvoir et les partis politiques pris dans leur soif de pouvoir et leurs manœuvres et manipulations doivent se rendre compte que le désenchantement national est si fort qu’il pourrait engendrer de grands sursauts. Car les Tunisiens sont las de ce marasme dans lequel on les engouffre au nom d’un «tawafoq» (consensus) contre-nature et d’une «union nationale» factice neutralisant tout contre-pouvoir et tuant dans l’œuf une démocratie dont ils ont tant rêvé.

La Tunisie sera ce que les Tunisiens voudront qu’elle soit : ni théocratique, ni une république monarchique mais démocratique, ouverte et libérée de toute tentation de pouvoir héréditaire ou autoritaire ou encore religieux quand bien même ces tentations s’appuieraient sur des mécanismes démocratiques.

* Universitaire et écrivain.

** Le titre et le chapô sont de la rédaction.

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