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Tunisie-UE : Il ne manque au pendu qu’un bonbon empoisonné !

Le proverbe tunisien mis en titre de cette tribune exprime la position de la Tunisie dans ses négociations avec l’Union européenne, l’un de ses plus importants bailleurs de fonds.

Par Mohamed Chawki Abid *

Depuis 2012, Bruxelles harcelait Tunis pour la ratification de l’Accord libre échange complet et approfondi (Aleca), alors que la Tunisie est livrée à elle-même pour faire face à des urgences vitales (sécuritaires, sociales, économiques, financières, environnementales…) et pour engager des réformes structurantes.

Retombées catastrophiques sur la balance commerciale

Dans une perspective d’évaluation préliminaire des retombées de l’Aleca sur la Tunisie, il est important de rappeler qu’une étude d’impact a été attribuée au cabinet européen Ecorys sur les équilibres extérieurs et l’emploi des diplômés du supérieur. Il s’agit d’une première mission financée par l’Union européenne (UE), devant être suivie par des études sectorielles sur les effets de l’accord dans différents domaines, notamment sur les services, les marchés publics, la compétitivité des PME, l’emploi, l’agriculture, l’environnement ou tout autre secteur prioritaire.

Dans son livrable, le cabinet Ecorys a eu une approche sectorielle, dans laquelle l’économie tunisienne a été déclinée sur 37 secteurs, dont 10 pèsent 75% du PIB et emploient 89% des diplômés du supérieur.

Il en ressort, que les retombées de l’Aleca sur la balance commerciale seront catastrophiques, dans la mesure où les importations connaîtront un emballement pour l’ensemble des secteurs, à l’exclusion de celui des produits forestiers, résiduels. En outre, 18 secteurs, parmi les 37, verront leurs exportations baisser. Ceci aggraverait considérablement le déficit commercial, d’autant plus que 35 secteurs sur les 37 verront leur taux de couverture se détériorer.

Sur le plan de l’emploi des diplômés du supérieur, 26 secteurs verront leur contribution à l’emploi des diplômés de l’enseignement supérieur diminuer, d’où une augmentation vraisemblable du chômage des diplômés.

Ces résultats ne nous surprennent pas, et confirment nos appréhensions initiales, ainsi que les évaluations critiques du bilan de 20 ans de libre-échange avec l’UE dans le cadre de l’accord scellé en 1995.

En dehors de l’huile d’olive et des dattes, notre production agricole est loin d’être compétitive face aux produits européens. Il en serait de même pour les services, si on en excluait certains secteurs pouvant être perfectibles : hôtellerie, cliniques, etc.

Des réformes vitales et des chantiers urgents

Malgré tous ces dégâts potentiels, les gouvernements successifs continuent à faire l’autruche face aux citoyens tunisiens et les beaux yeux face aux négociateurs de Bruxelles!

Alors, pourquoi vouloir gaspiller du temps et de l’énergie dans le traitement de ce dossier infécond, voire toxique, et ce, au détriment d’une multitude de réformes vitales et de chantiers urgents?

Toujours dans ce cadre, convaincue que les objectifs stratégiques de l’Accord de libre échange (ALE’1995) n’aient pas été atteints, et soucieuse des retombées négatives de cet accord sur les industries manufacturières, la société civile «indépendante» n’a ménagé aucun effort pour sensibiliser les gouvernements successifs sur ce sujet et appeler les autorités compétentes au nécessaire respect des démarches préalables. Mais, en vain !

Avant d’engager des négociations sur la libre circulation des professionnels et d’éventuelles revendications dérisoires, il est grand temps pour l’Etat tunisien de se pencher sur les deux axes préliminaires suivants:

1) dresser le bilan des 20 ans de libre-échange, mission à confier à un cabinet indépendant tunisien et à financer sur le budget de l’Etat, et;

2) élaborer une étude d’impact de l’Aleca sur le socio-économique tunisien, analyse prospective à faire faire une commission multipartite (ministères des Affaires étrangères, de l’Agriculture, du Commerce, de la Coopération, des Finances, Utica, UGTT, des experts tunisiens indépendants dans l’agriculture et les services, autres composantes de la société civile).

Sept ans durant, aucune des deux missions n’a été convenablement effectuée en vue de sa publication, à l’exception de l’étude d’Ecorys (2016) dont les conclusions n’ont pas été retenues pour être débattue objectivement avec la société civile.

Si nos princes venaient à poursuivre l’instruction du projet Aleca sans effectuer objectivement le bilan de 20 ans de libre-échange avec l’UE, ou sans évaluer l’impact de ce projet sur le socio-économique national, et ce, en dépit de toutes les vérités fracassantes qui émergent de jour en jour, nous serions en droit de les taxer de «négligence» et de «laxisme», voire de «corruption» et de «haute trahison».

Notons que l’ambassadeur de l’UE en exercice, Patrice Bergamini, s’est exprimé, dans le cadre d’une table-ronde dédiée à l’Aleca ayant été organisée, ce mardi 24 octobre 2017, en saluant le nouvel élan donné par la Tunisie à l’Aleca: «Je salue aujourd’hui une décision courageuse et heureuse. Courageuse, car les négociations relatives à cet accord sont ardues et qu’elles contiennent des tabous et du scepticisme. Et heureuse, car le négociateur tunisien, Hichem Ben Ahmed, est la personne clef pour mener à bien ces négociations. Du point de vue européen, il est la personne la mieux placée pour les suivre». Sans commentaire…

* Ingénieur économiste.

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