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Les JCC encore et toujours : Culture, émotion, liberté

Chaque session des JCC était comme une nouvelle réappropriation d’une culture, d’un espace et d’un regard. Pendant dix jours, notre vie est changée…

Par Noura Borsali *

Ces plongées en cinéma que m’ont offertes les sessions des Journées cinématographiques de Carthage appelées affectueusement «Les JCC», m’ont permis, en tant que cinéphile et critique cinématographique, de vivre, avec ferveur, la passion du cinéma. Ô combien est difficile d’écrire la passion, l’instantané et l’éphémère, en somme le plaisir!

Chaque session se présentait à moi comme une nouvelle réappropriation d’une culture, d’un espace et d’un regard. Ma vie changeait pendant ces dix jours que durait l’événement. J’intégrais cette communauté de cinéphiles et mes journées se trouvaient organisées autour de films que je regardais avec délectation dans ces salles obscures vers lesquelles j’accourais d’une séance à l’autre.

Fondre dans la communauté de cinéphiles

Face à ce grand écran, seule l’image captait mon attention et occupait mon esprit. A la sortie de la salle, sur l’avenue Habib Bourguiba, au centre-ville de Tunis, et dans les rues avoisinantes, je me fondais dans cette communauté de cinéphiles et nos discussions passionnées voire parfois tumultueuses emplissaient l’espace, lui conférant un dynamisme joyeux qui tranchait avec la morosité habituelle. Nous avions l’impression, en décortiquant les films, de réinventer le monde. Notre regard traversait des contrées proches et lointaines. Il évoluait et s’élargissait en défiant toutes sortes de censure que nous subissions. Mon plaisir solitaire devenait un plaisir partagé. Je vivais en réalité ce qu’Antoine de Baecque a appelé «l’intensité de la sociabilité cinéphile».

Ce que j’aime par-dessus tout dans les JCC, c’est leur universalité qui nous libère du cloisonnement tant spatial qu’idéologique en transcendant les frontières… Qu’est-ce qui fait que je m’emporte face un film sénégalais, que je m’émeus face à un film australien, que je ris à pleines gorgées face à un film algérien, que je me révolte face un film turc ou égyptien ou encore allemand…? C’est que le cinéma offre des possibilités de rencontres qui révèlent l’humain dans toute sa splendeur et rapprochent les hommes et les femmes au-delà de leurs particularités et face aux mêmes fardeaux et plaisirs de la vie.

« Les Rêves de la ville » de Mohamed Malas.

Les JCC, en se consacrant également au cinéma militant, a contribué à aiguiser ma conscience politique. Toutefois, je tenais à mes garde-fous. Considérant le cinéma d’abord et avant tout comme un art, je haïssais les films qu’on reléguait à un discours militant, idéologique ou de propagande, même s’ils produisaient un effet de réalité… J’adorais cette subjectivité, cette subtilité qu’avaient certains réalisateurs de dire des contestations sociales, politiques et des problèmes fondamentalement humains en usant du langage cinématographique et de merveilleux moyens esthétiques qu’offre l’art-cinéma.

Les JCC sont également le lieu de révélation de nouveaux talents, de langages cinématographiques sans cesse renouvelés, en somme de manières particulières et originales de faire du cinéma. Pour moi, c’est dans cette recherche esthétique, c’est dans cette réinvention du langage cinématographique que se révèle ce qu’il est convenu d’appeler «cinéma engagé».

De ‘‘Les Rêves de la ville’’ à ‘‘Teza’’

Que de films j’ai vus depuis la décennie 80 ! Ma mémoire est-elle capable aujourd’hui de ressusciter l’ensemble de ces titres? Il en est sûrement resté ceux qui m’ont marquée par leurs dimensions esthétiques et poétiques et la pertinence de leur portée politique ou humaine comme celui du réalisateur syrien Mohamed Malas ‘‘Les Rêves de la ville’’ (‘‘Ahlãm al-madīna’’, Tanit d’or 1984) et aussi celui du réalisateur éthiopien Haile Gerima, ‘‘Teza’’ (Tanit d’or 2008).

‘‘Teza’’ de Haile Gerima.

Le film de Malas est une fiction située dans les années 1950 caractérisées par la montée du nationalisme arabe et l’instabilité politique en Syrie. Le cinéaste, grâce à des outils cinématographiques – plans fixes et travellings – a réussi à brouiller les repères temporels et à orienter le regard du spectateur vers l’époque présente, en somme à reconstituer, d’une manière détournée, la vie d’une nation.

Quant à ‘‘Téza’’, il est un tournant dans le cinéma africain grâce à la mise en oeuvre de formes esthétiques particulières. En donnant à voir l’Ethiopie contemporaine face à une guerre persistante et un régime politique qui se voulait libérateur, Hailé Gérima a réussi à allier au politique un lyrisme émouvant.

Si je devais, pour terminer, résumer les JCC en trois mots, je dirais : Culture, Émotion et Liberté.**

* Universitaire, écrivaine.

** Témoignage publié dans ‘‘JCC 50+ Mémoire fertile’’, monographie de Khémais Khayati, éd. Arabesques, Tunis, 2016. (Publié avec l’accord de l’auteure et de l’éditeur).

 

Mon histoire avec les JCC

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