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Lycée français de Tunis : Mission ou démission ?

L’auteur de la tribune déplore la «gestion financiariste» d’un célèbre lycée français de Tunis, qui commence à contracter les maladies chroniques de l’éducation en Tunisie.

Par Slim Benzarti *

A Pierre Mendès France (P.M.F.), un lycée français situé dans le quartier de Mutuelleville, à Tunis, une colère sourde couve chez certains élèves et leurs parents. Elle prend même une ampleur inégalée.

De l’avis général, la qualité de l’enseignement s’est dégradée en Tunisie, suivant en cela un long processus d’effondrement des valeurs de respect, de travail et de sens du devoir, amorcé par Ben Ali dès 1987.

Néanmoins, envers et contre tout, l’école française a su sanctuariser ses murs afin d’offrir à ceux qui la fréquentent un recours contre tous les obscurantismes, le formatage des cerveaux, la spécialisation à outrance dans les sciences et les techniques au détriment des autres pans de la culture.

Que de sacrifices pour les parents !

De nombreux parents ont confié leurs enfants à la mission, convaincus, comme Montaigne, qu’une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine. La mission allait leur permettre de développer une pensée autonome, les inscrire dans la culture universelle par le biais d’une langue et des valeurs civilisationnelles qu’elle véhicule. Elle allait former des scientifiques, des techniciens, armés, eux, d’un bagage intellectuel, culturel et linguistique leur permettant d’aller plus loin dans les domaines qu’ils choisiraient pour leur avenir. Elle allait les ouvrir à la communication, aux lettres, aux arts, entre autres par la pratique de la langue française, objet d’un long apprentissage fait de souffrances (que de règles, d’exceptions, de nuances !), de travail acharné et aussi de joies : quelle satisfaction de manier ce merveilleux outil, de produire ou d’apprécier un beau texte, de goûter un mot bien trouvé et placé à l’endroit adéquat !

Que de sacrifices aussi pour les parents : frais de scolarité, fournitures, cantine hors de prix… Mais qu’importe : leurs enfants, leur bien le plus précieux, allaient bénéficier d’un enseignement de haute volée.

Or que voit-on ? Si l’enseignement a longtemps été dispensé par des professeurs français détachés auprès du ministère des Affaires étrangères, il est aujourd’hui en grande partie assuré par des contractuels locaux qui ne sont recrutés la plupart du temps que pour cette qualité éminemment pédagogique : ils coûtent moins cher que les coopérants !

Ainsi de nombreuses polémiques ont suivi l’introduction de plus en plus massive de professeurs pas toujours formés aux méthodes didactiques en vigueur en France. J’en fus le témoin en mon temps lorsque ceux-là firent, par leur médiocre connaissance de la matière enseignée et leur plus qu’approximative maîtrise du français, une apparition très remarquée.

Au vu de ce que je lis sur le net et des témoignages qui me sont parvenus, les choses ne semblent pas s’être arrangées. Si, à l’époque, le peu de considération qu’avaient ces contractuels pour la langue de Molière n’empêchait pas l’enseignement diligent et sérieux de ce magnifique outil, alors réservé à des professeurs compétents et consciencieux (je profite de cette tribune pour leur rendre hommage), la situation a bien changé.

Je sais que cette race de professeurs existe toujours et qu’elle constitue encore le plus grand nombre. Je salue son travail et son professionnalisme. Malgré tous ses efforts, elle ne peut cependant infléchir suffisamment le cours des choses dans les établissements de la mission. Au point qu’on en est venu à considérer le français comme une question accessoire vu la piètre connaissance qu’en ont certains de ceux qui l’enseignent. Je vous épargnerai le fastidieux descriptif (car telle est bien l’orthographe attestée de ce mot !) de leurs manquements.

Que peut ressentir, percevoir l’élève dans un tel contexte? Quel message lui envoie-t-on? Sa journée a commencé par un rituel bien différent des joyeuses cohues d’antan au seuil d’un portail largement ouvert, sous l’œil vigilant des surveillants et de la direction. Pour pénétrer dans ce qui tient plus – sécurité oblige – du bunker que d’un lieu d’éveil, il faut désormais produire un badge : on pointe comme à l’usine. Déjà !

Oui, des enfants protégés, mais numérotés et isolés. Une fois à l’intérieur, dans le saint des saints, ils respirent : ils vont être l’objet de toutes les attentions, tout va converger vers la formation et l’ouverture de leur esprit. C’est compter sans une administration bien intentionnée sinon bien inspirée qui œuvre avec toute la sévérité et l’aveuglement d’une justice dont elle se veut dépositaire.

Un enseignant paraît venir d’une autre planète

Retard, oubli de badge et autres manquements se traduisent aussitôt par une sanction coercitive à effet immédiat. Au lieu d’infliger une punition dissuasive d’ordre pédagogique, on éloigne l’élève du seul lieu où il devrait se trouver : la salle de classe où l’attend son professeur.

Enfin, il rejoint ses camarades pour le cours, celui d’histoire par exemple. Déjà il entrevoit le charme des jardins de Babylone, la grandeur plurimillénaire des pharaons, la colère d’un Zeus vengeant les dieux de la prétention humaine. Malheureusement les contingences lui imposent en guise d’éducation civique un «descreptif» (variante 1 non autorisée qui alterne avec «discreptif» la variante 2 également non autorisée) de l’usage réglementé de la cigarette, éveillant chez lui comme chez ses camarades plus d’intérêt que de dégoût. Cela, s’il échappe aux mises en garde répétitives et peu adaptées contre le harcèlement, véritables litanies véhiculant un ennui qui le dispose peu à s’intéresser à ce qui reste de l’heure de cours.

La journée se déroule avec ses sommets, ses instants de découverte et d’effort, et aussi ses retombées brusques : tout à coup l’enseignant paraît venir d’une autre planète, il ignore les éléments les plus basiques de la langue qu’il est supposé enseigner et faire aimer. Instants de trouble, de doutes et effondrement de l’édifice patiemment et péniblement édifié par des successions de professeurs. Recul, ricanements et rejet d’un univers où, l’élève le sent bien, quelque part on se moque de lui. Et la mission française y perd son âme.

Il ne s’agit pas dans ce constat d’accabler un vénérable établissement qui a formé et bien formé tant de générations mais plutôt de déplorer une gestion financiariste de la mission éducative. Halte aux dérives ! Il est temps de redonner à l’élève sa pleine dimension d’être humain et de mettre fin aux excès d’une approche mécanisée et budgétisée à outrance, malmenant un matériau aussi sensible et vivant que le jeune en devenir.

Il est temps pour cela de laisser l’humain bousculer les nomenclatures et les listings : les professeurs et les administrateurs sont admirablement formés pour mener à bien cette tâche. Le lycée a pour vocation de concentrer son action sur les objectifs essentiels de la mission française : éduquer, éclairer les jeunes générations.

Dans cette optique aucun effort n’est trop grand, qu’il soit financier ou pédagogique, pour leur faire acquérir les connaissances et la culture indispensables à l’homme de demain. Aucun effort n’est à négliger pour offrir un enseignement de haut niveau à ceux qui sont venus le chercher auprès de la France.

* Directeur commercial et chroniqueur dans une radio privée.

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