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30 ans déjà : Faut-il oublier le 7 novembre 1987 ?

La déclaration du 7 novembre 1987 n’était qu’un document de propagande dont le but était que d’acquérir une légitimité de papier et de gagner du temps pour asseoir une nouvelle dictature.

Par Dr Mounir Hanablia *

Le 7 novembre 1987, un coup d’Etat abattait sans effusion de sang le leader de l’indépendance nationale, Habib Bourguiba, après qu’un certificat médical cosigné par d’éminents médecins, qui ne l’avaient pas examiné ainsi qu’on devrait l’apprendre plus tard, l’eût jugé inapte à assumer ses responsabilités à la tête de l’Etat.

Une célèbre déclaration, diffusée tôt le matin à la radio nationale pour légitimer l’entreprise et emporter l’adhésion du peuple, devait constituer la justification de ce qu’on avait alors appelé le changement, qui serait pendant 23 ans commémoré chaque année avant de sombrer dans un oubli volontairement entretenu après le 14 janvier 2011, jour de la fuite de Zine El Abidine Ben Ali, le tombeur de Bourguiba.

Les ambiguïtés d’un nouveau régime

Mais que disait cette déclaration qui, aujourd’hui encore et malgré tout, hante bien des mémoires? A peu près ceci : «Les sacrifices du leader Habib Bourguiba sont infinis et ne sauraient être comptabilisés, et c’est pour cela que durant des années il a été servi et il a été œuvré sous ses ordres, en compagnie de plusieurs personnalités de valeur au service du pays. Mais sa vieillesse s’étant prolongée, sa maladie aggravée, et étant dans l’incapacité de poursuivre sa mission à la tête de l’Etat ainsi qu’en a fait foi un certificat médical, il a été décidé d’assumer à sa place la présidence de la république et la direction des forces armées. Le peuple tunisien a atteint la maturité nécessaire pour ne plus se voir imposer une présidence à vie, et une révision de la Constitution, devenue urgente, sera entreprise. Chacun oeuvrera pour le développement du pays dans le cadre de la légalité et dans le respect de la loi. L’autorité du droit sera instaurée afin de rétablir le prestige de l’Etat. Sur le plan extérieur la Tunisie poursuivra sur la même voie, arabo-musulmane, africaine, méditerranéenne, maghrébine pour l’élaboration du Grand Maghreb Arabe, et respectera ses engagements internationaux».

L’ancien président serrant la main de son ministre de l’Intérieur sous le regard de son Premier ministre Rachid Sfar. 

Une déclaration qui en fin de compte prétendait ménager la chèvre et le choux et qui avait été rédigée par un idéologue afin que chacun y trouve justement ce qu’il y cherchait.

D’abord elle réglait d’emblée et définitivement le compte de l’ancien président, en le qualifiant de leader qui avait fait beaucoup de sacrifices, sans doute en référence à la lutte de libération nationale, mais dans le même temps elle signifiait qu’elle ne lui reconnaissait (plus?) aucune légitimité institutionnelle, ce qui constituait une grave erreur, puisque ceux qui l’évinçaient du pouvoir ne pourraient se prévaloir d’aucune légitimité autre que celle d’avoir servi sous ordres, ainsi qu’ils voudraient bien le préciser et le reconnaître. Mais si tel est bien le cas, à quel titre l’avaient il fait?

Cette profession de foi, celle d’avoir servi sous ses ordres, n’atténuerait en rien le déni de la légitimité institutionnelle désormais non pas lié à la personne, mais à la fonction, le mal serait déjà fait, l’ambiguïté quant à la légitimité du nouveau régime deviendrait, 23 ans plus tard, une contradiction insurmontable qui l’emporterait.

Mais ce 7 novembre 1987 on pouvait déjà comprendre que seul le clan de la présidence à vie, c’est-à-dire celui des courtisans présidentiels, et parfois présidentiables, serait visé, puisque la déclaration ne reniait nullement l’œuvre qui avait déjà été accomplie sous la direction du président destitué; l’œuvre, mais pas la légitimité. Ce faisant elle prétendrait néanmoins se situer dans la continuité et obtenir ainsi l’adhésion du parti politique hégémonique, cela serait d’ailleurs acquis dans les heures et les jours qui suivraient et assurerait au nouveau pouvoir le contrôle de l’appareil de l’Etat et du pays, chose qui n’aurait jamais pu être réalisée avec l’emploi de la force seule, c’est-à-dire avec uniquement celui des organes de défense et de sécurité.

Usage politique des violations de l’éthique médicale

La justification juridique de ce coup de force majeur, c’est le certificat médical qui la fournirait, un chiffon de papier comme aurait dit le chancelier Bethmann-Hollweg, dont l’intérêt ne se situerait pas dans les multiples violations de l’éthique médicale avec laquelle il aurait été établi, mais dans l’usage politique qui en serait fait.

Il y aurait ainsi une raison valable justifiant l’éviction aux yeux de l’opinion publique, celle du grand âge et de la maladie; sans être suffisante. C’est que dans les semaines qui avaient précédé, il y avait eu en l’espace de quelques jours des ministres nommés puis démis de leurs fonctions, et des rumeurs apparues à point nommé avaient couru concernant la santé mentale du président, son état de sénilité avancée. Plus tard des témoins parleraient d’une campagne de désinformation savamment orchestrée.

C’est donc avec la certitude que l’opinion publique était déjà préalablement et suffisamment conditionnée dans le sens espéré qu’on s’était basé pour établir le fameux certificat médical d’incapacité totale et permanente.

28 ans plus tard, un nouveau président, dont beaucoup seraient massivement convaincus qu’il fût le sauveur du pays, serait élu à une forte majorité au suffrage universel sans que l’opinion publique ne soulevât la moindre objection. Et donc le problème de l’incapacité présidentielle étant définitivement réglé, les conséquences découlaient de source, celles de la mainmise sur l’appareil sécuritaire et sur l’administration, ainsi que le prévoyait la Constitution du pays, préalablement révisée, au bénéfice du Premier ministre.

C’est ainsi que le mythe du respect de la légalité avait été à ce point instillé dans les esprits dans les suites de ce coup d’Etat que beaucoup de pays étrangers en viendraient à croire que la Tunisie fût en voie de modernisation avancée. Une illusion dont, après le 14 janvier 2011, ils reviendraient et que nous paierions au prix fort. Et c’est ainsi, les maîtres d’œuvre du 7 novembre 1987 avaient d’abord été des illusionnistes maîtres de la guerre psychologique et de la manipulation des foules.

La dictature ne mettra pas beaucoup de temps pour s’installer. 

Que resterait-il de l’Etat de droit ?

Plus de 20 années plus tard, l’aveuglement dont ils feraient preuve concernant les prémices de leurs chutes en convaincrait beaucoup que sans l’aide de puissantes tierces parties, ils n’eussent jamais pu prendre le pouvoir de leur simple fait. Mais il fallait alors soulever les plus grandes espérances, autrement dit désarmer les oppositions dont certaines étaient passées au terrorisme et dont les dirigeants attendaient en prison leur condamnation à mort.

C’est dans ce contexte tendu que furent prononcées les fameuses phrases qui allaient en enthousiasmer plus d’un, celles concernant la maturité du peuple, la fin de la présidence à vie, le respect de la légalité. Des phrases qui flattaient la vanité du peuple tunisien, mais qui, en l’absence d’un calendrier précis appelant à des élections, demeuraient de vagues promesses. La seule mesure concrète qu’elles annonçaient, c’était la révision de la Constitution.

Bien sûr la Constitution serait révisée, les opposants élargis, des élections législatives seraient prévues deux années plus tard. Mais il semble bien que tout ceci n’eût été de la part du nouveau pouvoir «Novembriste» qu’un exercice de style dont le but ne serait ni plus ni moins que le gain du temps afin d’asseoir son emprise sur le pays et construire sa légitimité.

L’Assemblée nationale légaliserait certes le coup de force, et la présidence concentrerait entre ses mains tous les pouvoirs en récupérant son rôle de gérant après pendant bien longtemps s’être limitée à celui de garant.

Du reste, que resterait-il de l’Etat de droit tant vanté avec un président accaparant entre ses mains tous les pouvoirs ? Mais certes on prendrait bien soin de dorer la pilule, d’anciens opposants plutôt de gauche, si tant est que cela signifie bien quelque chose en Tunisie, entreraient au gouvernement, ainsi que des personnalités issues des organisations de défense des droits de l’homme. On élargirait ainsi la base politique du nouveau régime. Et lorsque viendrait le temps de la confrontation, un scénario serait mis en place, d’abord celui d’une polémique entre le regretté ministre de l’Education Mohamed Charfi et les extrémistes religieux au sujet du programme scolaire en histoire et éducation religieuse, suivies d’élections avortées et de répression, dont s’inspireraient plus tard les militaires algériens pour mettre fin à l’expérience démocratique qui tournait dans leur pays, à l’anarchie et à la décomposition de l’Etat.

C’est qu’entre-temps, avec le début en 1988 du temps des troubles en Algérie, et de la décennie noire, le pouvoir dictatorial, en Tunisie, se découvrirait une marge de manœuvre qu’il n’espérait pas en tant que défenseur de la modernité et de la laïcité, qui lui assurerait le soutien des milieux les plus influents de la société, à défaut des plus nombreux, ainsi que de plusieurs Etats étrangers.

Plusieurs Etats occidentaux ont soutenu le despote défenseur de la modernité et de la laïcité.

Le prétexte de la menace islamiste

Des Etats étrangers qu’on avait certes bien pris soin de rassurer dans la fameuse déclaration, quant au respect des engagements internationaux de la Tunisie. Mais le fait est là, elle s’était abstenue de tout agenda précis concernant une libéralisation du régime, l’instauration de la démocratie, des élections, un retour à la vie civile, une libération des prisonniers politiques. La personnalité qui s’en est attribuée la paternité a prétendu qu’elle avait apporté sa contribution au putsch parce qu’on lui avait alors promis l’instauration de la démocratie.

De même toutes les personnalités de l’opposition qui s’étaient précipitées au secours du nouveau régime, en en acceptant les honneurs et les responsabilités, malgré la concentration inquiétante de tous les pouvoirs en une seule main, s’étaient découvertes des raisons pour le faire en rapport avec la volonté de s’opposer à la menace islamiste.

Quand on sacrifie ses propres principes politiques, quelle que soit la prétendue noblesse de la cause qu’on puisse invoquer, on finit toujours par en payer le prix. Ce prix a été lourd et le pays en totalité l’a payé en 2011 lorsque, après 23 ans de kleptocratie, les partis dits de gauche ont été laminés aux élections, au profit, justement, des mêmes clérico fascistes qu’ils avaient prétendu combattre en s’alliant au diable.

Mais la déclaration du 7 novembre 1987 jouerait son rôle néfaste jusqu’à la fin : le 13 janvier 2011, lors du fameux discours du «fhimtkom» (Je vous ai compris), personne ne prendrait au sérieux les engagements en faveur d’élections libres dans les 2 années, ni les promesses de ne pas se représenter à l’échéance présidentielle ultérieure. Il faut dire que le délai demandé était trop considérable pour pouvoir créditer son auteur d’une intention autre que celle d’essayer de gagner une nouvelle fois du temps.

Durer deviendrait d’ailleurs l’une des préoccupations majeures de tous ceux qui se succéderaient au pouvoir après les 23 années de dictature. C’est ainsi que le pays ne sortirait du provisoire nécessaire à l’élaboration de la nouvelle constitution qu’après… 4 années. Et depuis lors, il en est à sa troisième équipe gouvernementale.

Finalement la déclaration du 7 novembre 1987, fut-elle un événement fondateur majeur annonçant l’instauration de la démocratie et que les circonstances auraient avorté ainsi que certains l’ont prétendu ? Rien n’est moins sûr. Il ne s’agissait en réalité que d’un document de propagande dont le but n’était que d’acquérir une légitimité… de papier; et de gagner du temps en attendant des jours meilleurs.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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