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L’Egypte, dans l’œil du cyclone

L’attaque terroriste contre la mosquée soufie de Bir El Abed, au Sinaï (Egypte) suscite des interrogations sur l’identité des vrais commanditaires.

Par Mounir Hanablia *

Une attaque a été conduite par des terroristes dans le nord du Sinaï en Egypte, contre une mosquée soufie située à Bir El Abed, faisant plus de 300 morts.
Les soufis constituent les représentants de ce que l’on nomme la dévotion populaire dans la religion musulmane, et le culte des saints et des marabouts en est la manifestation la plus caractéristique et la plus commune.

En quoi le soufisme dérange-t-il les salafistes ?

Au Maghreb, dans le Sahel africain, en Egypte, au Moyen Orient, les soufis se sont souvent regroupés sous forme de confréries, pratiquant des cérémonies où, outre l’invocation du nom divin, la musique incantatoire et les danses, les cérémonies finissaient par prendre un caractère ésotérique et même magique, avec l’entrée en transe des fidèles, et la pratique inconsciente de certains actes supposés témoigner de pouvoirs magiques et de l’invulnérabilité acquise grâce à l’incantation.

En Inde, le mysticisme soufi a joué un rôle encore plus important puisqu’il a depuis très longtemps constitué l’opportunité réunissant dans une même dévotion les fidèles, Musulmans et Hindous, au cours de cérémonies publiques communes tenues annuellement, comme à Ajmer, au tombeau de Moïneddine Chishti, ou à Sehwan, au mausolée de Lal Shahbaz Qalandar au Pakistan.

Ce dernier a d’ailleurs été détruit, il y a quelques mois, au cours d’un attentat-suicide mené par des Talibans. C’est que le culte soufi peut ressembler à bien des égards à la Bhakti, qui est dans l’hindouisme la manifestation de la dévotion populaire, par l’adoration du nom divin, le chant, la danse et la transe.

Au Punjab, la greffe entre les deux dévotions semblables, jointe aux horreurs des invasions en provenance d’Afghanistan et d’Asie Centrale, avait finalement abouti au XVIe siècle à la constitution d’une confraternité militante, celle des Sikhs.

Attaque du mausolée de Lal Shahbaz Qalandar au Pakistan par les extrémistes sunnites. 

Bien sûr, dans un pays basé sur le communautarisme, ces manifestations de fraternisation dans le culte des saints, avec les Hindous, ceux que l’islam orthodoxe considère comme des idolâtres, avaient souvent été dénoncés comme contraires à la foi religieuse, et à l’intérêt de la communauté. Ceux qui s’y adonnaient avaient finalement été considérés comme une cinquième colonne minant l’islam de l’intérieur, et qui devait être combattue, si les Musulmans ne voulaient finir par être assimilés par la majorité hindoue, et leurs coutumes sociales et religieuses dénaturées par des pratiques païennes.

Le rôle politique des confréries soufies

Cependant, et mis à part cela, les confréries soufies partout ont joué un rôle social important puisqu’elles ont très souvent constitué pour les fidèles le refuge grâce auquel ils ont pu surmonter les guerres, les injustices, les invasions, et les crises économiques et sociales. Et elles ont même parfois, fortes de leurs ressources propres souvent confondues avec les biens «habous» (de mainmorte), constitué des foyers de résistance armée, comme les Senoussis en Libye, ou les Tijanis au Mali, ou contribué à une mobilisation sur une large échelle pour le jihad contre les envahisseurs.

Evidemment les autorités coloniales ont le plus souvent ménagé les confréries, dont la collaboration leur assurait la pacification du pays à un moindre coût, et il est vrai que certains marabouts ont trouvé un intérêt à aider la politique coloniale, en bénéficiant de ses largesses.
En revanche, en Tunisie, cela leur a souvent valu l’ire des nationalistes modernistes et qui les accusaient d’affaiblir politiquement le mouvement national, de maintenir l’ignorance et la superstition parmi le peuple, et qui, sitôt accédés au pouvoir, n’avaient de cesse de leur confisquer leurs biens souvent considérables, afin de les priver de leur assise sociale.

En réalité, l’Etat nationaliste postcolonial, jacobin et autoritaire, ne tolérait surtout pas qu’un quelconque groupe organisé disposant de ressources propres, eût pu défier son autorité, en particulier son monopole en matière de culte.

Le mausolée de Sidi Bou Saïd incendié par les salafistes wahhabites.

Mais, fait significatif, depuis la disparition de l’Etat postcolonial en Tunisie, en 2011, de nombreux actes de destruction avaient été commis contre les symboles religieux soufis, en particulier les «zaouias» (mausolées), par les Wahhabites, afin, selon eux, de purifier les pratiques religieuses authentiques entachées de perversions, mais en réalité, afin d’éliminer toute concurrence dans le marché du culte, en poursuivant dans les faits la politique de monopole religieux de l’Etat moderniste disparu.

La guerre des Frères musulmans contre le général Al-Sissi

C’est dans cette perspective que l’on doit interpréter le dernier attentat terroriste en Egypte où, depuis le coup d’Etat militaire du général Al-Sissi, et la déposition du président mal-élu Morsi, une guerre féroce a éclaté entre les Frères Musulmans, soutenus à l’origine par la Turquie et le Qatar, et les institutions sécuritaires de l’Etat, dont l’enjeu est en définitive le contrôle et la collaboration de la population.

La péninsule du Sinaï, montagneuse et désertique, adossée, est-ce un hasard, à la bande de Gaza, jusqu’à tout récemment contrôlée par le Hamas, ainsi qu’au Neguev israélien, en constitue visiblement un terrain de choix. Embuscades et coups de main se succèdent contre la police et l’armée, faisant de plus en plus de pertes et de victimes.

L’attaque et le massacre de la mosquée soufi de Bir El Abed s’est inscrite dans cette logique, dont les Coptes sont déjà les victimes, celle de provoquer un fossé infranchissable entre les communautés, de polariser la société sur des bases confessionnelles, de réduire les confréries à l’obéissance, de faire disparaître toute discordance avec le Wahhabisme du champ religieux, et de discréditer le pouvoir du général Al-Sissi, incapable de protéger les biens et les personnes.

Le fait nouveau est que les terroristes opérant désormais en grand nombre, en uniformes, peut-être ceux de l’armée égyptienne, se sont créé un ou plusieurs réduits à partir desquels ils peuvent se regrouper pour mener de véritables agressions armées, en plein jour. Ils étaient en effet 40 quand ils ont investi la mosquée, et tiré sur les fidèles. Et un massacre dans une mosquée hétérodoxe n’est il pas le moyen le plus horriblement efficace pour signer la présence des terroristes wahhabites de l’Etat islamique (IS, Daêch)?

L’armée en a été réduite à user de l’aviation pour riposter, et nul n’ignore que celle-ci ne peut assurer que des succès tactiques. Ce n’est pas ainsi qu’on délogera un maquis implanté dans une région accidentée, d’accès difficile, où les caches ne manquent pas.

Mais apparemment le sens de cet acte terroriste dépasse le cadre strictement égyptien. Il s’agit peut-être de démontrer que l’organisation terroriste IS, qui a reçu des coups très sévères en Syrie et en Irak, est toujours aussi vivante, mais que seul son centre de gravité s’est déplacé.

Après la Syrie d’El Assad, cherche-t-on à déstabiliser l’Egypte du général Al-Sissi ?

Fait notable, le nord Sinaï se situe exactement sur l’axe de la Mer Rouge, dont le débouché sud, le détroit de Bab El Mandab, est soumis à un blocus sévère, et le Yémen, enjeu de la lutte entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, en fait les frais.

Pourtant l’Etat égyptien, officiellement parrainé par les Saoudiens et les Emirats, contre le Qatar, est paradoxalement en butte aux attaques de ceux qui, en usant des mêmes méthodes terroristes, prétendaient abattre Bachar El Assad… avec la bénédiction des mêmes parrains.

Qui cherche à implanter Daêch au Sinaï ?

Est-ce une provocation iranienne ou qatarie visant à semer la brouille entre l’Egypte et ses protecteurs? Pour répondre à cette question, il faudrait savoir si les terroristes évacués de Raqqa, il y a quelques semaines, avant l’assaut final, n’ont pas tout simplement été transportés (par qui?) au Nord Sinaï, pour parachever leur œuvre de destruction et de démantèlement, dont cette fois l’Egypte serait la cible.

Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que des choses semblables arriveraient. On se souvient comment, en 2001, les membres de l’ISI pakistanaise avaient été évacués de Mazar Cherif, avant l’assaut final, en compagnie de membres d’Al-Qaïda, et la décision de l’état major américain qui n’avait pas jugé utile de faire encercler d’emblée par ses propres troupes la colline de Tora Bora, permettant ainsi aux terroristes de fuir et de franchir la frontière pakistanaise.

Il y a donc l’hypothèse sinistre que la tuerie de Bir El Abed, signant l’implantation massive de l’IS, ne soit que le prélude à la grande offensive contre l’Etat égyptien. Mais par-delà les jeux et les calculs des nations, l’islam soufi, fondamentalement pacifique et tolérant, véhiculant une conception universelle de l’amour, peut constituer effectivement une alternative moderne au wahhabisme sectaire et meurtrier.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

 

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