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Démocratisation: Et si l’Iran était sur la voie de la Tunisie ?

L’évolution démographique en Iran porte à croire que ce pays, aujourd’hui secoué par des mouvements de protestation, serait sur la même voie de démocratisation que la Tunisie.

Par Marwan Chahla

Dans une situation aussi répressive que celle que connaît l’Iran, depuis près de quatre décennies, il est difficile d’imaginer l’orientation que l’actuelle vague de protestations pourrait emprunter. Pourtant, une doctrine novatrice dans le domaine de la démographie livrerait quelques indices.

La démographie tunisienne prévoyait le départ de Ben Ali

En 2008, le démographe américain Richard P. Cincotta(1), fondant sa recherche sur l’analyse de l’évolution de la pyramide des âges en Tunisie, avait prévu que notre pays se démocratiserait avant 2020. Lorsqu’il a présenté les conclusions de son enquête, lors d’un symposium d’experts organisé par le département d’Etat américain, l’assistance avait ri aux éclats: cette théorie qui liait la structure par âges d’une population donnée à sa situation et son orientation politiques n’avait pas trouvé preneur parmi les spécialistes…

Pourtant, l’Histoire semble avoir donné raison au démographe américain: aujourd’hui, la Tunisie, indéniablement la seule success story du ‘‘Printemps arabe’’, a intégré le club des pays classés, en 2017, comme Etats de droits par le rapport annuel de la Freedom House, l’Ong américaine dont Cincotta utilise le système de notation dans ses recherches.

La raison pour laquelle Richard Concitta avait sélectionné la Tunisie parmi ses voisins régionaux – y compris, également, ces pays qui allaient connaître les soulèvements arabes des années 2010 et 2011 – tenait au fait que, grâce au taux de fécondité de remplacement que la population tunisienne a atteint au début du 21e siècle, l’âge médian en Tunisie n’a cessé de croître, faisant ainsi progresser l’échelle des âges dans notre pays.

Selon le schéma que Cincotta a établi pour son étude, il y a quatre catégories de classification démographique: pays jeune, dont l’âge médian est inférieur à 25 ans; pays intermédiaire, dont la moyenne d’âge est inférieure à 35 ans; pays mature, dont l’âge médian est inférieur à 45 ans; et pays post-mature, avec un âge moyen supérieur à 45 ans.

Dans les pays «jeunes», c’est-à-dire où l’âge moyen est inférieur à 25 ans et où le taux de fécondité est élevé, les écoles sont généralement surchargées, l’investissement par apprenant est bas et la compétition sur le marché de l’emploi est intense. Pareille situation renforce la propension à la protestation et augmente la chance (ou le risque) de soulèvement social.

Selon Cincotta, la probabilité pour un régime politique dirigeant un pays où l’âge médian est de 15 ans d’être assuré contre tout trouble civil est de 60%. Cette «garantie de stabilité sociale» augmente jusqu’à 80% dans une population où l’âge moyen se situe autour de 27 ans, et un soulèvement social devient presque inimaginable lorsque la moitié de la population dépasse la barre des 40 ans.

Le retour de manivelle autoritaire

Cependant, en cette étape démographique jeune, il extrêmement improbable qu’une révolte implique nécessairement une démocratisation durable. Cincotta écrit que, dans la plupart de ces pays, il y a un retour quasi-automatique et logique à l’autoritarisme. Selon le démographe américain, cela peut expliquer dans une très large mesure pourquoi le ‘‘Printemps arabe’’ n’a pas abouti à la démocratisation dans un pays comme l’Egypte, où l’âge médian est de 24 ans, alors qu’il a établi une démocratie fonctionnelle en Tunisie, où l’âge moyen est de 32 ans.

Richard Cincotta fait observer qu’aujourd’hui la population iranienne est en voie de vieillissement accéléré. Grâce aux politiques de contrôle de la natalité, mises en œuvre avec succès en Iran à partir des années 1980, le pays a réduit son taux de fécondité, a très rapidement atteint la phase de la pyramide démographique intermédiaire – avec un âge médian de près de 30 ans, en 2015 – et s’est ainsi rapproché de l’âge médian tunisien, qui est de 32 ans.

Généralement, selon l’expert américain, à ce stade d’une évolution démographique, un pays possède des ressources matérielles suffisantes et assez de compétences humaines appropriées qui lui permettent de disposer d’un système éducatif efficace. L’on y trouve également une masse importante de jeunes travailleurs et consommateurs générateurs de richesses mais, dans le même temps, cette catégorie sociale, qui semble intégrée dans le système, est beaucoup plus encline à la protestation et beaucoup plus déterminée que les autres tranches d’âge à lutter pour l’établissement de la démocratie.

Bien que la théorie de Cincotta soit très souvent considérée comme étant simpliste et qu’elle soit sévèrement critiquée pour son manque de preuves solides de liens de causalité, elle n’en demeure pas moins intuitivement plausible: un pays dont la population est jeune a relativement beaucoup plus de chance de changer (de se démocratiser) et à mesure que cette population vieillit et que de plus en plus de gens ont quelque chose à perdre, ce changement s’opérera de manière pacifique et durable.

Si l’on se fie au raisonnement de Cincotta, la situation iranienne, marquée comme elle est par la corruption, les inégalités sociales et la répression, est fragile et incertaine, car elle convient mal à «la fenêtre d’opportunités» que semble lui offrir actuellement sa composition démographique…

En 2008, personne n’osait parier sur le départ de Zine El-Abidine Ben Ali. Richard Cincotta l’avait fait.

A suivre.

Note:

(1)Richard P. Cincotta, ‘How Democracies Grow Up’, Foreign Policy, 9 octobre, 2009. “Tunisia’s Shot at Democracy: What Demographics and Recent History Tell Us,” demography.matters.blog, 26 janvier, 2011.

Source: ‘‘Bloomberg’’.

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