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Macron vs Caïd Essebsi : Le choc des communications

Le rythme effréné de la visite de la récente Macron en Tunisie pourrait faire croire à de la spontanéité et à de l’improvisation, or tout était organisé comme du papier à musique.

Par Slaheddine Dchicha *

Parmi les cinq chefs d’État les plus âgés du monde figurent deux Arabes. Le président Béji Caid Essebsi (92 ans) et l’émir du Koweït le Cheikh Sabah Al Ahmad (89 ans). Mais depuis la démission forcée, à la fin de 2017, du plus âgé, Robert Mugabe (93 ans), Béji Caid Essebsi (BCE) est devenu le doyen.

Ironie du sort ou de l’histoire, BCE président d’une des nations les plus jeunes et à la tête de la plus récente démocratie vient d’accueillir pour une visite d’Etat de deux jours, le 31 janvier et le 1er février 2018, l’un des plus jeunes chefs d’Etat en la personne du Français Emmanuel Macron qui préside, lui, aux destinées d’une des plus vieilles démocraties.

Mais on le sait depuis Corneille, «la valeur n’attend pas le nombre des années» et il aurait été fort inélégant d’insister sur l’écart d’âge entre les deux présidents si précisément cet écart n’était pas un facteur déterminant pour comprendre le style de chacun et pour apprécier ce très chargé voyage-éclair.

La lenteur et l’hyperactivité

Oui, voyage-éclair car court, chargé, intense et car l’action et la rapidité sont désormais la marque de fabrique de ce président hyperactif. En effet, pendant ces deux jours, Emmanuel Macron a mené sa visite officielle au pas de charge. Il n’était pas «En Marche», il n’a pas marché, il a couru entraînant parfois dans son sillage BCE qui n’en pouvait mais.

Ce dynamisme et cette énergie se retrouvent partout, lors de son discours devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), lors de la conférence de presse commune et lors du bain de foule dans la Médina de Tunis. Il ne se lassait pas de serrer des mains et de demander si ça allait… et jamais il ne se séparait de son sourire et de sa bonne humeur.

Ce rythme effréné pourrait faire croire à de la spontanéité et à de l’improvisation et donner ainsi un sentiment humain au personnage et une dimension humaniste à sa visite, en fait tout était conforme à un plan de communication rigoureux et organisé comme du papier à musique.

Selfie et folklore

Les cérémonies et les déambulations dans les lieux du pouvoir (Palais de Carthage, Dar Dhiafa) ou dans les rues et les lieux publics (Bardo, Médina) ne doivent pas faire croire que les selfies ou le port de la chéchia étaient des gestes improvisés et gratuits… car après tout pourquoi se prendre en selfie au palais de Carthage alors que tous les photographes français et tunisiens accrédités pour couvrir l’événement avaient immortalisé le moindre geste des deux présidents, sinon pour se rajeunir par ce geste juvénile et ringardiser du même coup l’hôte, BCE. Et pourquoi enfoncer une chéchia crânement – c’est le cas de le dire – sur le crâne sinon pour folkloriser davantage BCE engoncé dans son costume trois pièces et surtout sa Dame déguisée pour l’occasion en mannequin de Samia Ben Khalifa en revêtant une de ses Follas, alors que Madame Macron, comme l’ont répété ad nauseam les médias tunisiens, conciliait les couleurs du drapeau national avec la fashion la plus mondialisée du regretté styliste tuniso-parisien Azzedine Alaïa.

Storytelling et imprévus

Comme chacun le sait, désormais les plans communication réservent une part de lion au récit, comme disent les communicants et les sémioticiens. Or les histoires, les contes, on le sait, ont pour fonction de bercer les enfants, de les faire endormir et pour faire endormir les consciences tunisiennes, en l’occurrence ces enfants que sont leurs représentants, Macron les a enfumés en leur racontant une belle histoire, celle de la mondialisation heureuse, c’est-à-dire libérale; celle de «nous» : les deux rives de la Méditerranée, la rive nord et la rive sud; des Franco-tunisiens; de Rome et Carthage. Unies. Conciliées. Il leur a même promis de déterrer la Carthage détruite, couverte de sel et ensevelie par Rome… C’est dire ! Mais c’est une image parlante pour qui sait voir et interpréter !

Et d’ailleurs l’enfumage a commencé avant d’arriver en Tunisie; il a commencé en France, par hasard, dans les rues de Clermont-Ferrand, le Président Macron a rencontré par hasard une Tunisienne et il l’a amenée dans ses bagages et certains médias ont cru à cette fable et l’ont médiatisée, c’est dire!

Couacs et autres imprévus

Les mêmes médias – très friands de théories du complot – ont dû attribuer les quelques dysfonctions de la machine communicationnelle à des esprits maléfiques et malfaisants. Car, en effet, il y a eu quelques grains de sable: les pleurs poignants de cette mère qui voulait des papiers à ses fils partis, la journée «école morte» des écoles française et enfin l’appel à la libération du plus ancien prisonnier politique en France, George Ibrahim Abdallah… et dont visiblement Emmanuel Macron ignorait l’existence et jusqu’au nom…

* Universitaire.

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