Accueil » Tunisie : Comment mettre fin à la descente aux enfers ?

Tunisie : Comment mettre fin à la descente aux enfers ?

Banque centrale de Tunisie. 

Trimbalée d’une liste noire à une autre, la Tunisie n’est pas au bout de ses peines. Et elle ne voit pas encore de lumière au bout du tunnel.

Par Néjib Tougourti *

La série noire continue pour la Tunisie ! Coup sur coup et à moins de quelques semaines d’intervalle, le Parlement européen lui a infligé deux grandes humiliations, en la considérant, par deux votes successifs, d’abord, comme un paradis fiscal puis comme un pays à risque de blanchiment d’argent sale. Il s’agit, dans les deux cas, d’une condamnation, claire et sans appel, qui ne laisse aucune place au doute ni aux interprétations.

La dernière sentence a sidéré les Tunisiens, qui ont été envahis, dès son annonce, par un sentiment de honte, de déception et de colère. Elle vient en effet de leur faire perdre leurs dernières illusions et les a mis, brutalement, face à la triste et insoutenable vérité, qu’ils ont longtemps essayé d’ignorer. Leur pays a perdu la confiance des autres nations dans le monde. Celle de l’Europe, en particulier, là où il a toujours compté le plus grand nombre de ses partenaires, et parmi les plus sûrs.

Une réaction officielle confuse

La réaction officielle tunisienne a été marquée par le même trouble et la même hébétude, qui ont caractérisé celle de la rue. Un bref et laconique communiqué du Premier ministère a annoncé le limogeage du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), ainsi désigné premier responsable de cet énième désaveu international essuyé par le pays.

Un ministre a essayé, d’une façon confuse et maladroite, de convaincre l’opinion publique tunisienne que la décision du Parlement européen ne nuira pas à l’image du pays et qu’elle sera sans conséquences sur les investissements étrangers! Dans la même déclaration, il a soutenu que le Premier ministre ignorait que la Tunisie allait faire l’objet d’un vote, qui risque de l’inclure dans la liste noire des pays à haut risque de blanchiment d’argent ! Il aurait mieux fait de se taire. Mais il n’est pas le seul à faire preuve d’autant d’ineptie.

Le gouvernement Chahed, et il faut se rendre à l’évidence, comporte une rare collection d’individus d’une incompétence désespérante qu’il n’a d’ailleurs pas choisis lui-même. Les cafouillages et bévues, de cette équipe, dont les membres lui ont été imposés par les deux partis au pouvoir, Ennahdha et Nidaa Tounes, ont battu tous les records.

Une certaine lenteur dans la lutte contre le blanchiment

Encore sous le choc, certains Tunisiens, dans une réaction initiale et instinctive de fierté nationale, se sont défoulés sur le parlement européen, accusant ses membres de chercher à nuire à leur pays et à augmenter ses difficultés économiques et sociales.

Cette réaction d’amour propre n’est pas celle de la majorité des Tunisiens. Ceux qui rejettent, en totalité, les accusations formulées, indirectement, par l’Union européenne (UE) contre leur pays, sont trop peu nombreux. Le gouvernement tunisien, lui même, admet qu’elles sont, en partie, bien fondées. Il prétend, cependant, que la décision était précipitée, et qu’elle n’avait pas tenu compte des signes de bonne volonté et des efforts qu’il a fournis, depuis 2015, pour une plus grande rigueur dans le contrôle des transactions financières pouvant susciter des suspicions.

Il reconnaît, implicitement, une certaine lenteur, qui risque de coûter très cher au pays. Elle n’étonne pas les Tunisiens et elle constitue, même, l’un de leurs principaux reproches au système politique dans leur pays.

La goutte qui a fait déborder le vase

Les hésitations, le manque de fermeté, les tergiversations, l’indécision, l’absence d’objectifs clairs, d’une stratégie, d’une vision, sont une marque déposée du pouvoir en place en Tunisie depuis 2011. Sa gestion est chaotique, confuse, sans aucun fil conducteur. Elle se fait au jour le jour, au gré des humeurs des uns et des autres, des interventions, des pressions, des magouilles, des règlements de compte entre parties rivales. Elle est irrationnelle, dangereuse, fatalement contre-productive.

Pour les Tunisiens, la dernière décision de l’UE est la goutte qui a fait déborder le vase. La colère est perceptible dans leurs commentaires désabusés. Le laisser-aller, la négligence, l’incompétence des responsables politiques sont devenus, soudain, intolérables. Un besoin urgent de changement est brusquement ressenti. Mais changer quoi ?

Ce besoin de changement est, probablement, reconnu par les principaux acteurs sur la scène politique nationale. Mais la marge de manœuvre des dirigeants des deux grands partis majoritaires à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) est assez limitée. Le tour de passe-passe de l’accord de Carthage et du gouvernement d’union nationale n’agit plus. Celui d’un gouvernement de technocrates, qui ne se présenteront pas aux prochains scrutins, les Tunisiens le connaissent par cœur, pour l’avoir déjà expérimentée, en 2014, sans des résultats plus probants.

L’hypothèse des élections anticipées est-elle raisonnable ?

Le pouvoir arrivera-t-il à contenir, jusqu’aux prochaines élections générales, prévues fin 2019, la colère grandissante de la population? Au risque de la voir, d’ici cette échéance, s’amplifier davantage, au point de devenir incontrôlable?

La situation est périlleuse et pleine de dangers. Mais justifie-t-elle, dans l’intérêt du pays, et pour éviter le pire, des élections législatives et présidentielles anticipées? Certains, comme les dirigeants du Front populaire (FP) pensent qu’elles sont inévitables, si on veut mettre fin, avant qu’il ne soit trop tard, à une descente aux enfers, dont les conséquences peuvent se révéler dramatiques. Mais la plupart des autres forces politiques, y compris dans l’opposition, comme le Courant démocratique ou même le Harak Tounes Al-Irada, qui ne portent pas le président Béji Caïd Essebsi et le chef du gouvernement Youssef Chahed dans leur cœur, y sont fermement opposés, estimant que le timing (à moins de 2 ans du prochain scrutin) ne s’y prête guère, que le changement pour le changement n’est pas la solution aux problèmes du pays et que le pays, qui a vu défiler près d’une dizaine de gouvernements en 7 ans, a besoin d’un minimum de stabilité politique.

* Médecin.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.