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La Tunisie à l’avant-garde des pays arabo-musulmans en matière d’égalité

La mobilisation autour de l’égalité successorale en Tunisie répond surtout à un besoin national d’émancipation en cette phase d’édification d’une république démocratique.

Par Zeineb Ben Said Cherni *

L’annonce de la nouvelle se rapportant au projet d’institution de l’égalité successorale dans la loi a fait un effet de surprise. Pourquoi le chef de l’Etat a-t-il pris la décision de faire une telle proposition, à un moment où le pays se trouve miné par une crise économique profonde? Est-ce pour être au diapason de son électorat féminin et le récompenser, ou pour en ajouter à son charisme, en vue d’un autre mandat, ou alors pour inscrire une œuvre pérenne, à l’image de celle de Bourguiba?

Il me semble, que cette proposition s’inscrit dans le sillage habituel des mutations historiques qu’a connues la formation sociale tunisienne, depuis le XIXe siècle. Celles-ci affectent la superstructure : le droit et les institutions.

Du Pacte fondamental à l’égalité successorale

Au niveau de cet ordre juridico-institutionnel, les Tunisiens ont engagé des changements radicaux. Les questions socio-économiques n’ont pas fait, par contre, effet de surface. En effet des débats, des écrits, des réformes audacieuses ont jalonné l’histoire contemporaine de la Tunisie.

L’élaboration du Pacte fondamental (1857), l’abolition de l’esclavage par Ahmed Bey (1846), les débats et les écrits d’ouvrages (Ibn Abi Dhiaf) et de presse, les polémiques verbales et écrites sur la libération de la femme (1930), ont formé des strates de pensées archivées et mémorisées dans des conduites puis transmises à travers les générations.

Ce cumul de sens innovant, qui couve depuis un siècle et demi, s’est saisi de la pensée collective, il l’a torpillée, modernisée et a déconstruit son rigorisme. Ayant acquis de la densité, il s’est investi dans une architectonique culturelle écrite et mnémonique où les Tunisiens se sont reconnus et ont entrepris, dans un sursaut total et néanmoins auto-réflexif, leurs réformes émancipatrices.

Un horizon commun dans lequel se pensent les Tunisiens se forme, ses contours sont juridico-discursifs réactivant les schèmes de l’«ijtihad» en arrière-fond, mais ils relèvent de modes de socialisation citoyens et publics. C’est que les instituions vont relever de la chose publique dont sont évacué les repères agnatiques, tribaux et cléricaux.

Les instituions sont pour tous : l’école, l’armée, les tribunaux sont investis par la collectivité. Cette architectonique hégémonique va monter en surface; c’est ce que nous appelons une culture autoréflexive d’une nation, un canevas dans lequel une nation se définit et réfléchit ses mutations importantes.

La modernité : libérer la sphère privée

On a taxé, les femmes d’une élite en quête de privilèges ignorant tout ce qui se déroule autour d’elles, comme dénuement social et conditions infra-humaines de travail.

L’insertion de la vie privée au sein d’un système de lois auquel on se réfère pour la gestion de la vie familiale les protège contre les abus des pratiques réglementées, dans le passé, par une coutume abusive.

Tout comme les esclaves, elles étaient occultées, humiliées et consacrées aux tâches subalternes de la reproduction et de la subsistance ou de la nécessité. La naissance de la République, en Tunisie, s’est soldée par le code familial (1956) dont découlent des lois inventées par les humains, elle balaie l’autocratie patriarcale et l’arbitraire d’un monarque qui défendait les privilèges de sang. Si le domaine de la famille était celui de l’aliénation et des abus invisibles, celui de la polis est celui de la liberté et de l’égalité dans la citoyenneté. Les citoyens appartenant à la sphère publique sont égaux dans l’exercice de leurs libertés. Soumettre le privé à une législation publique c’est moderniser la société et la démocratiser.

Un contrat social de réciprocité

La mobilisation autour de l’égalité successorale répond surtout à un besoin national d’émancipation en cette phase d’édification d’une république démocratique. Il s’agit d’un besoin d’interaction à double sens entre souverain et peuple, scellé par un contrat social de réciprocité.

Les femmes ont beaucoup donné à la cité. Elles ont œuvré de par leur courage et leur détermination, leur travail productif à construire la république; elles réclament justice en demandant cette fois le respect de leur dignité historique.

Les femmes demandent le respect du contrat social de réciprocité que garantirait un régime républicain et démocratique.

Portée symbolique de ce projet

L’égalité de l’héritage ne manque pas de portée symbolique et annonciatrice du devenir. Le symbole redit le réel autrement, il annonce autre chose à venir: c’est l’égalité de la distribution des richesses à une échelle plus grande, celle de la nation. Les femmes n’ont-elles pas scandé, dans la rue, depuis le 29 janvier 2011, le mot d’ordre : «Egalité pour la femme et pour les région déshéritées». Cette gestation est annonciatrice d’un avènement inéluctable d’une pleine égalité dans l’exercice des libertés, mais aussi dans le partage égal de la richesse au sein de la famille, et de la société dans son ensemble. L’institution de l’égalité se poursuivra.

* Professeur émérite de philosophie.

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