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Les enfants de feu Mohamed et Fathia Mzali : Trêve d’injustice et de mauvaise foi

Mohamed Et Fathia Mzali.

Dans cette lettre ouverte aux Tunisiens, les enfants de Mohamed Mzali rétablissent la vérité sur le parcours et les idées de l’ancien Premier ministre, dont l’action politique reste entachée d’«omissions des cyniques» et de «manipulations des faussaires de l’histoire.»

«La calomnie se discrédite par l’exagération et s’use par la redite(1)»

Nous, les membres de la famille de feu Mohamed Mzali, ancien Premier ministre, voulons exprimer notre indignation à l’égard de ceux qui persistent à dénaturer ses idées et à semer le doute quant à son parcours de militant politique et d’homme de culture.

Nous prenons l’opinion publique à témoin pour que cesse cette injustice flagrante contre un patriote qui a passé toute sa vie à œuvrer pour le bien de son pays, fidèle aux idéaux pour lesquels Bourguiba et ses compagnons ont combattu.

À ce titre, permettez-nous d’apporter quelques précisions pour lever toute ambiguïté entretenue à ce sujet par quelques adversaires politiques incultes ou pervertis:

1. L’arabisation :

Il est à rappeler que notre père avait dirigé le ministère de l’Education nationale à deux reprises pour une très courte période (du 27/12/1969 au 12/6/1970 et du 29/10/1971 au 17/3/1973), puis du 31/5/1976 au 25/4/1980, sans avoir la latitude ni la marge de manœuvre pour concevoir ou engager des réformes fondamentales, notamment pour l’arabisation des programmes. Ce n’est pas que le fait d’arabiser soit contestable, mais ce sont les faits.

Il convient aussi de rappeler que le thème de l’arabisation apparaît, qu’on le veuille ou non, aux deux extrémités du champ politique au cours de la lutte pour l’indépendance, puis juste après au sujet de la nécessité d’arabiser l’administration et l’enseignement.

L’administration a été arabisée en commençant par les ministères de la Justice et de l’Intérieur. Mahmoud Messadi avait écrit en 1947 que «le courant actuel de la nation tunisienne vers l’élaboration d’un enseignement primaire et secondaire arabo-musulman et moderne simultanément, s’affermit de jour en jour»(2).

Le leader Habib Bourguiba avait tranché dans son discours à l’école de Sadiqi, le 25 juin 1958, lorsqu’il a dit: «Je veux vous signaler que l’enseignement secondaire sera orienté vers l’arabisation et l’utilisation de la langue arabe, pour toutes les matières, sauf si cela s’avérait nécessaire et pour une période temporaire, la langue française sera utilisée pour bénéficier des possibilités qui nous sont offertes, en attendant la mise en place des écoles de formation indispensables et les cadres nécessaires pour l’enseignement en langue arabe dans toutes les matières»(3).

Toutefois, contrairement à ce qui est ressassé par certains, qui colportent des calomnies quant à une supposée responsabilité exclusive de Mohamed Mzali dans l’arabisation, comme approche pour crédibiliser l’accusation d’avoir préparé le terrain à l’intégrisme religieux, il faut souligner que c’est Driss Guiga, ancien ministre de l’Education nationale (3 ans et 5 mois, du 17/3/1973 au 31/5/1976) qui décida l’arabisation de la philosophie, puis des mathématiques à l’école primaire (Cf. Journal Officiel 1976) pour des raisons confuses.

Il est également utile de préciser qu’il y eut au moins 22 ministres à la tête de ce département depuis 1980 (c’est à dire tout au long de 38 ans !), dont Mohamed Charfi (11/4/1989 au 20/5/1994) sous le régime de Ben Ali, pour mener une entreprise à la fois idéologique et académique (loi d’orientation de 1991, les grandes lignes seront poursuivies par son successeur en 2002). Cette loi d’orientation a confirmé l’arabisation totale de l’école primaire et du collège, tout en rétablissant l’enseignement du français comme langue étrangère à partir de la troisième année de la scolarité obligatoire; par ailleurs, l’arabe redevient au lycée la langue d’enseignement des sciences, de l’économie et des techniques !!! Toute une génération au moins est le produit édifiant de cette réforme.

Alors, comment concevoir que ce qui aurait été fait prétendument 40 ans auparavant (période 1970-1980) puisse avoir des effets sur des élèves qui avaient intégré l’école au cours des années 90 (après le passage de M. Charfi et ses successeurs) et qui sont au moins âgés de 25 ans aujourd’hui !

On est raisonnablement en droit de douter des visées réelles de ce véritable acharnement dont l’argumentation ne résiste pas à une analyse scrupuleuse et équitable des faits.

L’ancien président Ben Ali, qui avait conspiré pour écarter Mohamed Mzali (et Habib Bourguiba), puis l’avait persécuté ainsi que tous les membres de sa famille, avait enclenché sa machine de propagande durant deux décennies pour accréditer cette rengaine qui est reprise encore par quelques affidés et par certains esprits fragiles qui excellent dans le psittacisme, à savoir : Mzali = arabisation = «Fanatisme religieux». Les vraies raisons de sa disgrâce en 1986 sont occultées, alors qu’elles sont dues aux ingérences étrangères.

Lors de nos discussions familiales, le souci de notre père était de veiller à la sauvegarde de l’identité tunisienne et de la souveraineté de notre pays. Il nous parlait de l’importance de l’identité culturelle pour un peuple donné, qui est arabo-musulmane pour les Tunisiens, sans pour autant négliger les différents apports qu’elle a intégrées à des degrés divers et qui forment une synthèse de la personnalité tunisienne (amazighe, punique, romaine, chrétienne…).

Il nous disait : «Regardez comment les Français sont soucieux de leur langue et comment ils contrôlent l’intrusion de l’anglais! Un peuple ne peut être fier que lorsqu’il sauvegarde sa langue et son identité». Ce qui n’empêchait pas, loin s’en faut, de maintenir et consolider l’enseignement du français et de l’anglais (le lycée pilote de l’Ariana, fondé sous son gouvernement le 15 septembre 1983, l’enseignement y était donné en anglais,), qui offraient selon lui une ouverture sur les sciences et les autres civilisations.

2. Le prétendu soutien à l’islamisme :

Ceux qui invoquent ce sujet feignent d’ignorer que M. Mzali est foncièrement démocrate ce dont témoigne sa formation et ses écrits depuis l’indépendance (‘‘La démocratie’’, éditions Al Baath, Tunis, mars 1956).

Premier ministre, il persuada Bourguiba de la nécessité d’organiser des élections législatives, démocratiques et transparentes. Il fit tout ce qu’il pouvait pour permettre la participation de tous les mouvements politiques, entre autres le courant islamiste. En famille, il nous disait que la tenue des élections de 1981 aiderait à sauver l’héritage bourguibien du naufrage autocratique dans lequel il s’est enfermé et qui était de plus en plus récusé par les Tunisiens.

Quand il rentrait à la maison, il disait que cette amorce d’un renouveau tunisien avait l’aval de Bourguiba. Malheureusement, il fut saboté par les caciques les plus indignes du système et les élections furent dénaturées pour faire échouer tout le projet. D’ailleurs, Ahmed Mestiri, avec lequel notre père entretenait des relations courtoises et suivies, avait bien compris ce qui s’était passé et avait titré la une du journal ‘‘L’Avenir’’ : «J’accuse le ministre de l’Intérieur», qui était alors Driss Guiga.

Il est utile de noter que notre père, bien que désigné constitutionnellement pour succéder à Bourguiba et qu’il lui suffisait donc de laisser le temps s’écouler pour devenir président de la république, avait osé prendre le risque d’organiser des élections législatives qu’il voulait transparentes et loyales, ce qui pouvait l’exposer à perdre son avantageux statut. Combien de fois, nous assurait-il, qu’au cas où il succéderait à Bourguiba, il organiserait, dans l’année qui suivrait, des élections présidentielles, s’engageant à se soumettre au résultat des urnes. En homme de conviction, il aimait à répéter une phrase : «Fais ce que tu dois, advienne que pourra !».

Au cours de son exil forcé, M. Mzali rencontrait tous ceux qui s’opposaient au régime corrompu de Ben Ali, toutes tendances politiques confondues. C’étaient des rencontres cordiales et d’échange d’idées sur la situation politique et sociale en Tunisie.

Parmi ces opposants, il y avait évidemment les islamistes. Même si ces derniers ne partageaient pas les mêmes convictions que M. Mzali, ils avaient du respect pour lui (identité arabo-musulmane, pluripartisme, liberté d’expression, tentative d’élections législatives libres et transparentes…).

On reprocha cette ouverture d’esprit de notre père vis-à-vis de tous les acteurs politiques, y compris les islamistes, dont le seul mobile est une consécration de la démocratie dans la vie publique. Alors que Ben Ali s’était servi des errements islamistes pour s’emparer du pouvoir, puis il les utilisa au début de son premier mandat, pour les pourchasser et par un retournement calculé il entama finalement de discrets conciliabules pour leur réinsertion à partir de la deuxième moitié des années 2000.

Sitôt après la chute du régime le 14 janvier 2011, les politiques qui s’étaient trouvés à la tête du pays s’empressèrent de pactiser avec Ennahdha avec les résultats que tout un chacun constate !

Ironie de l’histoire diront certains, que de temps perdu diront d’autres !

In fine, ramener l’émergence du mouvement islamiste en Tunisie aux desiderata de notre père, pour le discréditer, est une construction d’un esprit bien facétieux(4).

3. Ses sympathies politiques :

Nous avons été étonnés il y a quelques mois de lire sur un journal de la place que notre défunt père avait une prétendue «filiation intellectuelle» avec le leader Abdelaziz Thalbi !

Jamais nous n’entendîmes notre père citer ou parler de Thalbi en tant que référence. Il n’évoquait, ne se référait et ne s’inspirait que du leader Habib Bourguiba. Notre but n’est de pas de dénier les qualités du grand chef historique que fut Thalbi, mais simplement de rappeler et clarifier le cadre, voire les axes directeurs de la pensée de feu M. Mzali, en nous basant sur ses dires, ses actes et ses écrits pour mettre fin à la confusion que de désinvoltes néophytes de la politique tentent d’entretenir sciemment dans les esprits.

Il serait pourtant plus aisé de vérifier cette hypothétique proximité intellectuelle ou idéologique, en se référant notamment à son livre ‘‘Un Premier ministre de Bourguiba témoigne’’, ou de lire les écrits de Béchir Ben Slama, ancien ministre de la Culture, son compagnon de route de près d’un demi-siècle, frère d’esprit, co-fondateur de la revue ‘‘El Fikr’’, qui était le véritable témoin de l’héritage intellectuel de feu M. Mzali.

Il serait long d’aborder les épisodes de la pénible traversée qui va de l’emprisonnement injuste et de la torture de plusieurs membres de sa famille au harcèlement méthodique de plusieurs de ses collaborateurs et amis sans parler de la spoliation de ses biens…

Notre but aujourd’hui est de lancer un appel aux consciences vives du pays et aux patriotes qui savent distinguer les vrais bâtisseurs de la Tunisie de ceux qui furent des opportunistes et des intrigants, pour mettre le holà à ce dénigrement continu d’un homme occupé qu’il était sa vie durant à agir du mieux qu’il pouvait pour son pays.

Quant aux détenteurs du pouvoir actuel, il est temps qu’ils prennent l’initiative de se rattraper pour réhabiliter l’image de Mohamed Mzali qui a subi avec sa famille les avanies du régime de Ben Ali, en se montrant équitable envers cet homme d’Etat qui a servi son pays avec abnégation et patriotisme, qui s’est conduit en disciple de Bourguiba, tout en essayant de réformer le système de l’intérieur et de promouvoir l’identité tunisienne et la fierté d’être Tunisien, sans parler de son apport dans le monde de la culture, du sport et de l’olympisme.

Il est curieux de constater que le pouvoir actuel n’ait ni agi pour rétablir son image, ni pour accepter de s’associer à la célébration du 60e anniversaire de la revue ‘‘El Fikr’’ (alors qu’une lettre a été transmise au président de la république actuel par Béchir Ben Slama), ni pour exprimer comme il se doit sa compassion lors des funérailles de la militante Fathia Mzali, Bourguibiste de la première heure et l’une des pionnières de la défense des droits de la femme en Tunisie.

Malgré ces manquements au devoir de mémoire de certains dirigeants, méconnaissant que le rapport au passé a toujours été au centre de la construction des identités et de la cohésion d’un peuple, nous sommes sûrs, ainsi que beaucoup de Tunisiens biens avisés, qu’un jour ou l’autre, toute la vérité sera rétablie sur la valeur et l’apport de l’homme d’Etat que fut notre père, malgré les omissions des cyniques et les manipulations des faussaires de l’histoire.

Une question que notre famille entend poser aujourd’hui aux Tunisiens après une trentaine d’années de représailles, de calomnies et d’injustices, fruits d’intrigues à ce jour imparfaitement éclaircies : est ce ainsi que la Tunisie récompense un de ses fils parmi les plus méritants?

Notes :
1 – Émile de Girardin ; Pensées et maximes.
2 – Revue ‘‘Al Mabaheth’’, n° 42/43, septembre/octobre 1947.
3 – Discours du 25 juin 1958.
4 – Selon Vincent Geisser, «le parti naît à la fin des années 1970 […] Il est, au départ, dans la mouvance des Frères musulmans».

Tunisie : Décès de l’ancienne ministre Fathia Mzali

 

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