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‘‘L’œil du cyclone’’ de Rashid Sherif : Un destin «hors du commun» d’un Tunisien pluriel

Le parcours exceptionnel de Rashid Sherif, un Tunisien cosmopolite et internationaliste, de La Goulette à New York, en passant par Paris, Varsovie, la Havane et Pékin. Et des rencontres : Frantz Fanon, Simone de Beauvoir, Jacques Lanzmann, Franco Basaglia ou David Cooper. Un passionnant récit de vie…

Par Hamma Hanachi

Sur la couverture orangée du livre, l’enfant, pris au milieu du cyclone, porte un regard noir, fixe et décidé.

Contre vents et marées, contre l’enfermement, le huis-clos familial, l’auteur, Rashid Sherif, assumera sa vie durant ce regard noir, hérité d’une enfance malheureuse. Rejeté par un père tyrannique et cruel, l’enfant insoumis tracera sa vie selon ses convictions politiques et morales.

Après le 14 janvier 2011, il fallait bien que l’auteur revienne, dans ce premier ouvrage, sur son existence, ses aventures et ses rencontres pour montrer l’exemple de «lutte» contre le destin et accessoirement pour exaucer le vœu de son éditeur.

Une vie, mieux, une suite d’aventures peu communes.

Dans ‘‘L’œil du cyclone’’, Sherif se livre à un captivant exercice d’ego histoire, son récit est remarquable, son parcours riche, singulier, c’est le moins qu’on puisse dire. On lui pardonnera au passage une narration peu engageante (style pommadé, sans reliefs…), des clichés, des phrases longues, trop de citations, des répétitions embarrassantes, des expressions toutes faites… Bref, il faut lire ce récit comme un outil de combat truffé de citations, l’auteur couche son texte avec des idées et non avec des mots. Avec lui, on plonge dans la littérature de militantisme (marxiste) et non dans le romanesque.

Né d’une famille de vieille souche marsoise, grand père maternel, Général Commandant du Bey, l’auteur, descendant de Sidi Chérif, à La Goulette, on ne s’amusait pas dans la famille : deux frères aînés sans caractère, résignés devant la brutalité d’un père despotique, castrateur, une mère aimante, obéissante, vivant sous le joug de son mari, un homme qui s’accroche à sa haine.

Où l’on déduit, sans faire de psychologie de comptoir, que ces frustrations, ces vexations et brimades ont accompagné l’auteur durant toute sa vie et sont le mobile de son engagement politique.

Renvoyé du lycée de Carthage, l’adolescent rejoint le lycée Carnot de Tunis où il se lie d’amitié avec Serge Taïeb, fils de Roger, juif, membre du bureau politique du Parti communiste tunisien (PCT). Parmi les nombreux penseurs qu’il lit, il découvre Frantz Fanon, leader, militant tiers- mondiste, ami intime des Taïeb. Il sera le modèle de sa vie.

«À nous deux Paris»

Le baccalauréat de philo en poche, il part bâtir son avenir à Paris, Lutèce, dit-il. Pourquoi cette description reprise et copiée in extenso de Lutèce ou Lutécia?

À son départ, Josie, femme de Fanon, lui remet une lettre de recommandation à Claude Lanzmann, critique littéraire, romancier, parolier, intellectuel, humaniste, grand ami de Sartre et de Beauvoir. Pas moins !

Une nouvelle vie se présente, l’aventure, des petits boulots, des changements de domicile, des rencontres heureuses… la vie d’un étudiant étranger à Paris dans les années soixante en somme.

Sherif vit au quartier latin, beaucoup de temps libre, les cinémas d’art et d’essai, la rue Mouffetard, la bibliothèque Sainte Geneviève, il plonge dans la lecture et cite au passage beaucoup d’auteurs : Rilke, Eluard, Aragon, Garcia Lorca, Maïakovski, etc., des auteurs de gauche, forcément. L’ennui dans le chapelet de noms, c’est que Sherif admirant beaucoup d’auteurs et des personnages importants rencontrés, c’est juste pour les insérer à lui-même : partout, en tout temps, il joue le premier rôle de la distribution. Soit !

À paris, il retrouve avec plaisir les Taïeb, «sa famille choisie», fréquente assidûment le fils. Mais il s’emmerde et ne donnera pas écho au cri de Rastignac (Balzac) «À nous deux Paris».

Fortement politisé, séduit par la révolution culturelle chinoise, il veut partir dans l’Empire du milieu, là où la grande Histoire se construit, croit-il. Au lieu de Pékin, il partira avec un ami togolais à Varsovie où il compte obtenir son visa pour la Chine. Il trouvera le temps de militer auprès d’étudiant africains. Le temps passe, sans assouvir les vœux d’un jeune qui dénonce le capitalisme et rejette le révisionnisme soviétique.

Premier tunisien à La Havane

Depuis Varsovie, Sherif reprend contact avec Lanzmann pour l’aider à partir en Chine. Mais en place de Chine, il ira à Cuba, comment, pourquoi ? Tenez-vous bien «Claude me rappela pour m’annoncer ni plus ni moins que Sartre s’était porté garant de ma personne directement auprès de son nouvel ami, Fidel Castro ! Ce dernier venait de m’octroyer une bourse d’études à la Havane !…». Excusez du peu !

Un déjeuner d’adieu avec Lanzmann et Simone de Beauvoir. Départ pour Cuba, les bras seront ouverts : «À moi Habana libre», criera-t-il à La Havane où il sera reçu à son arrivée par le ministre de l’Education en personne. Quelle fortune ! Le lecteur n’en finira pas de s’exclamer.

De nouvelles aventures révolutionnaires, de nouvelles fréquentations sur le terrain commencent. Où entrent en jeu, comme dans un film, Che Guevara, les proches compagnons et hauts responsables de Fidel Castro, des poètes, des artistes de premiers rangs, de jeunes révolutionnaires dont Régis Debray, qu’il rencontre juste avant son départ en Bolivie, etc.

À Cuba, l’internationaliste professionnel au long cours : «Je me suis dégagé peu à peu de mon sérieux, ma rigidité, je redressais mon dos… je saisissais les plaisanteries dont les Cubains raffolent avec un côté croustillant», mais en matière de plaisanterie, d’humour, de rebondissements, le livre, trop lisse, raide, en est totalement dépourvu.

Sherif finira ses études médicales, il intègre le service psychiatrie à Lyon comme Fanon (bac +17, répétera-t-il), où il fit la connaissance des proches de Basaglia ou Cooper (épigone de l’anti-psychiatrie). Devant ses collègues, quand il parle de Cuba, il dit «chez nous». En 1974, il retourne en Tunisie, un pays «néocolonisé», il intègre l’hôpital psychiatrique Razi, à Manouba, où il fera long feu, partira à New York, où il est le premier tunisien à entrer à l’Akerman Institute pour approfondir «l’approche systémique de la thérapie à sa source». Il assurera des missions médicales en Afrique.

Le 14 janvier 2011 le rappelle au pays, où il participera à une caravane de solidarité…

Un deuxième tome suivra, peut-être un troisième, pour un premier essai, on apprécie, pourvu que les correcteurs (s’il s’en trouve) éviteront aux lecteurs «indulgents» les nombreuses fautes d’orthographe.

* ‘‘L’œil du cyclone’’, édit. Mohamed Ali El Hammi, Tunis, 2018, 18 dinars tunisiens/15 euros.

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