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Tunisie : Béji Caïd Essebsi, l’UGTT et l’Etat confisqué

Béji Caïd Essebsi et Noureddine Taboubi : partenaires ou concurrents ?

Le président Caïd Essebsi doit admettre, d’abord, que pour résoudre la crise politique dans le pays, il devrait calmer les ardeurs de son fils et, ensuite, mettre fin aux interférences et accointances entre l’Etat et la centrale syndicale.

Par Salah El-Gharbi *

Depuis le 14 janvier 2011, on ne fait que nous rebattre les oreilles avec «l’UGTT, une institution patriote, l’UGTT, une ligne rouge…» Et comme pour enfumer encore plus le grand public, on nous brandit, à tout bout de champ, la mémoire de Hached, comme si les actuels apparatchiks de la centrale syndicale, avec leur arrogance, leurs mesquines gesticulations et leurs cyniques calculs, avaient une quelconque filiation avec un monument national aussi imposant que feu le grand leader syndical.

Interférences entre pouvoir politique et pouvoir syndical

Ainsi, depuis sept ans, à travers les médias, on ne fait que nous gaver avec les mêmes litanies nous présentant l’UGTT comme une «force de justice» dont la mission serait de «défendre la démocratie» et dont la vocation serait de servir de médiation entre le «peuple» et le pouvoir… Et notre «Robin des bois» national est tellement adulé que les journalistes s’empressent de le cajoler et de le courtiser, souvent avec une certaine dévotion qui frise le ridicule.

Jusqu’à aujourd’hui, sous certaines plumes, la place Mohamed Ali est représentée comme une sorte de sanctuaire, et l’UGTT comme une institution sacralisée, une réalité désincarnée, immuable, hors temps, comme si les membres de son bureau exécutif étaient des êtres hors sol, des personnes désintéressées, au-dessus de tous soupçons, incapables de se laisser fourvoyer et entraîner dans de hasardeuses aventures qui les éloigneraient de leur mission première celle de défendre les intérêts matériels et professionnels de leurs affiliés.

Hélas ! Au-delà du mythe qu’on cherche obstinément à nous vendre, la réalité reste peu reluisante. Car depuis un certain temps, on assiste, sidérés, à des agissements qui viennent toujours nous ramener à la dure réalité et chaque jour, on découvre, médusés, que les «responsables» d’une institution aussi prestigieuse que l’UGTT, ne sont que des êtres faillibles, capables de succomber aux tentations, à toutes sortes de tentations… que ces hommes sont les produits d’une culture et d’une société déterminées, portant en eux des frustrations, nourrissant des ambitions, souvent purement individuelles et qui peuvent se laisser abuser, imbus de ce qu’ils croyaient être leur force.

En fait, si les responsables de l’UGTT osent aujourd’hui fanfaronner, braver les autorités en place (les propos de Bouali Mbarki défiant le ministre de la Justice, en est un exemple), c’est le signe que le pouvoir politique se trouve dans un état de totale déliquescence. Et cela ne date pas d’hier.

Ainsi, depuis toujours, plus le pouvoir est fort, plus les responsables de la centrale syndicale sont accommodants, mais, dès que les autorités publiques présentent une quelconque défaillance, les leaders de l’UGTT, toujours à l’affût, sont prêts à profiter de tout éventuel faux pas.

Par conséquent, si aujourd’hui, les apparatchiks de la place Mohamed Ali peuvent se vanter de faire la pluie et le beau temps, c’est parce que le pouvoir, incarné par Béji Caïd Essebsi, a failli. En effet, ce dernier, en vieux destourien, a cru que, pour sortir de la crise politique dont il est, en quelque sorte, le premier responsable directement et indirectement, il lui fallait domestiquer l’UGTT en l’associant, comme au bon vieux temps, à la gestion de la chose publique, autrement dit céder une partie de ses propres prérogatives à un corps intermédiaire.

Or et alors qu’il croyait faire preuve d’habilité, en flattant trop l’ego surdimensionné du leader syndical, qu’avait fait le chef de l’Etat sinon transformer un potentiel allié en un adversaire, d’un possible atout un boulet qu’il doit, désormais, traîner jusqu’en 2019. C’est l’arroseur arrosé.

Atermoiements et maladresses du président Caïd Essebsi

Dès 2015, le président semble avoir sous-estimé la crise de Nidaa, minimiser la gravité des agissements irresponsables de son fils, mettant les poussières sous le tapis. Il a été, ainsi, tout le temps dans l’évitement et la dénégation, ce qui va le fragiliser, chaque jour un peu plus, le réduisant à se soumettre au bon vouloir de son rival Ennahdha et au diktat de l’UGTT.

Autrement dit, si, aujourd’hui, les responsables de la centrale syndicale osent défier l’autorité même de l’Etat, à travers leur acharnement contre le chef du gouvernement, c’est parce qu’ils sont enhardis par les atermoiements et les maladresses d’un Caïd Essebsi méconnaissable, embourbé indéfiniment dans la gestion d’une crise domestico-politique inextricable.

Par conséquent, il est temps que le chef de l’Etat admette, d’abord, que pour résoudre la crise politique dans le pays, il devrait calmer les ardeurs de son fils et celles de sa bande, et comprenne, ensuite, qu’on vient de changer d’époque et de modèle politique et que les interférences et les accointances, valables autrefois, entre le pouvoir politique et le pouvoir syndical, ne font que dénaturer l’action politique.

Désormais, chacun doit être son rôle. Ainsi, si la centrale syndicale a pour mission de défendre ses affiliés, les responsables politiques sont mandatés, par la nation, pour agir dans l’intérêt de la population dans sa globalité.

* Universitaire et écrivain.

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