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Festival de la Médina : Zied Gharsa enchante la Cité de la culture

L’avant-dernière représentation du Festival de la Médina a consisté en un spectacle magistral donné par Zied Gharsa et son orchestre, vendredi dernier, 8 juin 2018, au théâtre de l’Opéra de la Cité de la culture.

Par Jamila Ben Mustapha *

Deux nouveautés attendaient le spectateur qui s’y rendait pour la première fois: le lieu où s’est déroulée cette prestation, mais aussi et de façon plus anecdotique, le changement d’apparence de notre artiste national.

Une question de forme et d’apparence

Concernant le premier point, autant dire que le contenant comme le contenu, l’espace comme la manifestation culturelle qu’il a abritée, étaient à découvrir. Le théâtre de l’Opéra, qui contient 1800 places et comprend 3 niveaux, était entièrement plein et le spectacle était aussi dans la salle, vu son gigantisme dépassant nettement les proportions du théâtre municipal : une première en Tunisie, avec la mise en fonction de cette salle, que la présence d’un public de presque 2.000 personnes !

Deux changements ont affecté l’apparence de Zied Gharsa. Il a non seulement perdu énormément de poids – ce dont nous sommes très heureux pour sa santé –, mais il est apparu, non pas dans l’habit traditionnel tunisien – la jebba – que nous aimons tant, comme à son habitude, mais en costume deux pièces noir avec chemise blanche et nœud papillon comme le reste des membres de l’orchestre.

Pour les yeux du spectateur dérouté, on aurait dit quelqu’un d’autre qui n’aurait eu qu’une ressemblance très lointaine avec l’ancien. Par contre, son identité sur le plan musical, elle, était la même, c’est-à-dire en constante évolution comme chez tout artiste digne de ce nom, avec une alternance de compositions connues et d’autres qui l’étaient beaucoup moins. Et c’est comme si cette diminution de poids, presque de moitié, avait doublé l’énergie de notre musicien.

On aurait dit quelqu’un d’autre.

Langage du corps, pluralité des signes

Nous concentrerons nos remarques sur un point : les multiples messages émis par son visage mais aussi par son corps et qui démontrent, si besoin est, la capacité du cerveau humain à faire exécuter par le corps plusieurs actions en même temps.

Zied Gharsa assumait trois fonctions : s’activer sur son synthétiseur, chanter – et avec quelle aisance, se jouant de l’air musical avec une totale maîtrise – mais aussi diriger son orchestre : dans ce but, il avait à communiquer avec les instrumentistes et choristes, non par la parole, occupé qu’il était à chanter, mais par les gestes et la mimique, et c’est ce langage muet et visible qu’il nous a semblé intéressant de décrire.

Toute son apparence était donc le lieu d’une pluralité de signes : la qualité d’un musicien se mesurant à la précision de ses gestes, ce point était frappant chez Zied Gharsa : aucun faux pas, aucun mouvement au hasard, et c’était plaisir à voir. La tête par exemple, battait la mesure, en harmonie totale avec le synthétiseur. Les regards fugaces échangés avec les instrumentistes attentifs transmettaient des ordres aussi vite captés : en un mot, un minimum de moyens pour un maximum d’effets.

L’artiste, dans les moments d’apogée, quand le rythme s’accélérait et atteignait un pic, ne chantait plus seulement, mais dansait presque puisque tout son corps était en travail avec les gestes de sa tête, ceux de sa main gauche adressés, tantôt à côté de lui aux instrumentistes, tantôt derrière lui aux choristes et dont la variété significative avait une certaine beauté, et le mouvement de ses jambes qui marquaient la mesure. Tout son corps se soulevait sur son siège selon une chorégraphie imprévue et inconsciente d’elle-même.

Maestria, aisance de celui qui a eu la chance, grâce à feu Tahar Gharsa, son père, d’avoir grandi dans une si grande familiarité avec le malouf tunisien, de s’en être imbibé dès son plus jeune âge, de s’en être nourri en même temps que le lait maternel, et dont la voix avec ses multiples modulations, en restitue si bien l’âme !

Le spectacle s’est terminé par des rythmes plus rapides pour satisfaire tous les goûts et faire danser la jeunesse. Nous rêverions, personnellement, d’un concert de musique traditionnelle qui serait, de bout en bout, audition calme de notre patrimoine que nous espérons toujours revisité, toujours en évolution.

Un concert de musique traditionnelle, toujours revisitée, toujours en évolution.

Par la grâce de la musique

Petit à petit, grâce à la musique, le sérieux du chanteur du début a fait place à une attitude plus détendue aussi bien vis-à-vis de ses collaborateurs que des spectateurs, invités, comme on le fait systématiquement maintenant dans les concerts, à participer à la représentation en chantant, à remplir les pointillés représentés par l’air musical donné sans le chant des professionnels.

Un spectacle réussi est celui qui passe progressivement de la réserve du début des artistes comme des spectateurs, à la joie visible donnée à ces derniers et qui rassure l’artiste et tout l’orchestre sur la qualité du concert donné.

Le ramadan dont l’importance religieuse n’est plus à démontrer à travers le monde puisque même le président américain Trump a dû sacrifier au rite de proposer un «iftar» aux ambassadeurs des pays musulmans, a aussi d’immenses vertus sur le plan social : même si c’est paradoxalement, en théorie, le mois de la piété et de l’austérité, mais en pratique, celui de la surconsommation alimentaire et du gaspillage, il a aussi l’immense bénéfice d’être celui de la convivialité dans les familles, de l’animation nocturne dans les rues (malgré les voleurs à l’affût), mais surtout l’occasion donnée à nos artistes, en herbe comme confirmés, d’enchanter nos soirées par des spectacles de qualité nous faisant retrouver le lien si bénéfique avec notre patrimoine.

* Universitaire et écrivain.

Article de la même auteure dans Kapitalis : 

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