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Caïd Essebsi, Chebbi et Hammami : Trois politiques atteints du syndrome d’hubris

Le président de la république, Béji Caid Essebsi (BCE), Ahmed Néjib Chebbi, l’éternel candidat à la présidence, et Hamma Hammami, l’éternel opposant, ont pour dénominateur commun de porter des œillères et d’être complètement isolés de la réalité. Ils sont atteints du syndrome d’hubris ou la maladie du pouvoir.

Par Khémaies Krimi

Le syndrome d’hubris est une maladie du pouvoir. Les symptômes de cette pathologie mentale sont la perte du sens des réalités, l’intolérance à la contradiction, les actions à l’emporte-pièce, l’obsession de sa propre image, l’abus de pouvoir…

Un regard d’ensemble sur la manière dont pensent et agissent certains de nos politiques, au pouvoir et dans l’opposition, montre que beaucoup d’entre eux seraient atteints par le syndrome d’hubris.

Selon les psychiatres, la caractéristique principale d’hubris est qu’il est visible de tous, sauf du principal intéressé et de ses porteurs d’encensoirs (amis, conseillers, membres de la famille…).

Trois cas criants sur lesquels le pouvoir a exercé une fascination maladive méritent qu’on s’y attarde. Il s’agit de l’actuel président de la république, Béji Caid Essebsi (BCE), Ahmed Néjib Chebbi, éternel candidat à la présidence, et Hamma Hammami, porte-parole du Front populaire, l’éternel opposant. Ils ont pour dénominateur commun de donner l’impression qu’ils portent des œillères et d’être complètement isolés de la réalité.

BCE : une parenthèse malheureuse dans l’Histoire de la Tunisie

Concernant BCE, ce président hissé par un accident de l’Histoire à la magistrature suprême par le biais d’un vote utile, a été, durant les quatre premières années de son mandat, obsédé par deux projets. Ceux de réinstaurer, de fait, le régime présidentiel pour se doter de plus amples pouvoirs et de paver le terrain pour sa succession par l’un de ses fils.

À propos du premier objectif, BCE, au top de son art de manœuvrier en chef et adossé à des hommes à lui placés à la tête des institutions névralgiques, tels que Mohamed Ennaceur, l’actuel président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), a passé le plus net de son mandat, soit à retarder l’adoption de lois capitales (telles que celle portant sur la mise en place de la Cour constitutionnelle), soit à accélérer l’adoption de celles qui sont à son goût (telles que celles sur la réconciliation financière, pour blanchir les hommes de l’ancien régime, ou sur la consommation du cannabis…), soit à bloquer l’action du gouvernement et à limoger ses chefs. Le dernier en date, en l’occurrence, Youssef Chahed a décidé de lui résister, mais serait-ce pour longtemps? Il faut reconnaître que même son prédécesseur, Habib Essid, récupéré, aujourd’hui, à des fins électoralistes (il est censé capter l’électorat de la région du Sahel…), avait essayé, lui aussi, de résister mais c’était sans compter avec un parlement aux ordres.

Quant au second projet, la promotion de son fils, BCE a accepté, en toute conscience, l’effritement du parti qui l’a porté à la présidence, Nidaa Tounès, pour imposer illégalement son Hafedh bien-aimé comme directeur exécutif et astreindre les Tunisiens à accepter sa lourde présence. C’est, rappelons-le, sur l’instigation de son fils et sous la pression du reste de son entourage familial que BCE s’est adonné à cet ignoble exercice périlleux de limoger les chefs du gouvernement.

Ainsi, au regard des réalisations accomplies et du potentiel d’opportunités que lui avait offert son élection au suffrage universel, BCE aura été un président improductif, sinon destructif, et une malheureuse parenthèse dans l’Histoire de la Tunisie.

Même sa toute récente décision de proposer bientôt une loi sur l’égalité dans l’héritage entre l’homme et la femme, que les partisans comme les opposants pourront interpréter selon leurs intérêts, s’est finalement avérée un pétard mouillé en ce sens où elle va priver, de juré, au moins 3,5 millions de femmes rurales (équivalent de la population active dans le pays) d’espérer un jour hériter une quelconque partie du patrimoine exploité. Comme des esclaves, elles vont continuer à travailler sous la domination du père et des frères sans recevoir de salaire fixe et sans bénéficier de couverture sociale. La règle étant mangez et taisez-vous.

Moralité de l’histoire : à force de travailler sans aucun succès sur ces deux projets, BCE, se croyant éternel, est happé par le temps. À plus de 90 ans, il est en train de finir la dernière année de son mandat sans gloire et sans réalisation notoire méritant d’être citée. Une page de l’Histoire à tourner. Au plus vite…

Chebbi : de mauvaises recettes pour devenir président

S’agissant d’Ahmed Néjib Chebbi, figure de proue de l’opposition au régime de Ben Ali, en dépit des échecs cuisants qu’il a essuyés, depuis le soulèvement du 14 janvier 2011, il continue à croire qu’il a toujours une chance pour devenir un jour président de la Tunisie.

Pour la présidentielle de 2019, il a commencé sa campagne très tôt. Récemment sorti de sa retraite, il multiplie les déclarations et les interviews afin de persuader tous ceux qui veulent l’entendre qu’il reste une carte jouable.

Son argumentaire est trop simpliste. Il estime que par l’effet du recul manifeste, après 2014, de plus d’un million d’électeurs, des pans électoraux entiers échappant aux deux partis dominants, Nidaa Tounès et Ennahdha, quelque 60% des Tunisiens en âge de voter, sont aujourd’hui indécis et méritent d’être courtisés et persuadés de voter pour lui. Mieux, dans une de ses interviews, il est allé jusqu’à proposer une recette miracle qui le mènerait à la magistrature suprême, qui consisterait à amender la Constitution aux fins de rétablir le régime présidentiel et de renforcer les prérogatives du chef de l’Etat.

«Si on veut, dit-il, garder un régime où le chef de l’Etat est élu au suffrage universel, il faudrait lui donner des pouvoirs, des pouvoirs qui seraient contrebalancés par la séparation des trois pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif et non pas par un contrepoids qui viendrait du Premier ministre, qui risque de reproduire éternellement des situations de blocage et de paralysie politique, d’autant que c’est un homme élu par le peuple. Il exprime, ainsi, la volonté populaire».

Pour parvenir à ses fins, il propose un scénario idyllique sur mesure. Il invite l’actuel Président de la république (BCE) à amender la Constitution avant la fin de son mandat et à faire en sorte que cet amendement n’entre en fonction qu’après 2019. Quand lui sera, très probablement selon lui, au Palais de Carthage. Il ne semble d’ailleurs avoir aucun doute là-dessus…

Cela pour dire que la pathologie d’hubris, c’est-à-dire-cette perte du sens des réalités, est à un stade également assez avancé chez Nejib Chebbi.

Hamma Hammami, le politique qui refuse l’autocritique

Quant à Hamma Hammami, porte parole du Front populaire, il est le type même du politique qui refuse d’évoluer. Pis, il s’obstine à refuser de faire son autocritique et à reconnaître ses erreurs. Par son dogmatisme idéologique, par son égocentrisme et par son incapacité, apparemment génétique, de tenir un discours mobilisateur autour d’un projet de société viable, il semble, lui aussi, sérieusement affecté par le syndrome d’hubris.

En se cantonnant à ressasser sa lassante et stérile contestation des gouvernements, il est en train de compromettre de manière significative le projet progressiste de la gauche tunisienne. Les rares projets qu’il propose, à l’instar de «ce grand programme national pour sauver le pays», sont vagues, utopiques et sans aucun référentiel rationnel : surseoir au paiement de la dette extérieure, augmenter les salaires, distribuer les terres, etc.

Il semble que Hamma Hammami et, à travers lui, la gauche qui porte son empreinte, sont encore piégés par les préjugés historiques que leurs adversaires (PSD, RCD, Ennahdha…) leur ont collés, depuis l’indépendance, en tant qu’athéiste et opposés à la propriété privée. La gauche n’étant pas parvenue, jusque-là, à convaincre le peuple tunisien et à s’imposer à lui comme un courant politique capable de gouverner le pays et de lui apporter des solutions viables.

Pourtant ce ne sont pas les opportunités et les idées pragmatiques et à portée de main qui manquent pour que ce parti trouve sa pleine place dans le paysage politique du pays et aspire légitimement un jour à devenir une troisième force et même alternative pour diriger le pays.

Dans son essai ‘‘Pour une refondation de la gauche tunisienne’’, l’universitaire Baccar Gherib a invité celle-ci à «revoir son discours tant sur les questions économiques que sur les questions culturelles et identitaires». À cette fin, il lui suggère «de proposer des réformes intelligentes en phase avec ses valeurs tout en montrant des relations apaisées tant avec l’économie de marché qu’avec la religion». Il lui recommande aussi de coller au vécu des gens et de «penser la société pour mieux guider son évolution ou, mieux, d’être en prise sur l’histoire, à la fois en la pensant et en y agissant… Par la théorie et la pratique en somme».

Concrètement, la gauche pourrait s’investir dans la défense des libertés individuelles (liberté de conscience, égalité entre homme et femme…) et dans la promotion d’économies à forte employabilité, accessible à l’écrasante majorité des Tunisiens et aux moindres coûts, comme l’économie sociale et solidaire (ESS), l’économie numérique et l’économie verte.

Au préalable, il faudrait résoudre le problème de l’absence de leadership dont souffre la gauche que Hamma Hammami n’est visiblement pas le meilleur représentant possible.

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