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Des pistes pour mieux préserver et exploiter le patrimoine archéologique

L’échec de la Tunisie, après 62 ans d’indépendance, de préserver et valoriser son riche patrimoine archéologique et historique et, surtout, mieux l’exploiter, appelle à retirer ce dossier aux ministères des affaires culturelles et du Tourisme et à le confier à une nouvelle institution spécialisée et autonome.

Par Khémaies Krimi

La destruction, le 19 octobre 2018, par des citoyens, pour faire évacuer l’eau des inondations, d’un tronçon de l’aqueduc romain de Zaghouan est un acte criminel d’une gravité extrême. Plus grave que cet acte barbare, l’appel lancé par des autorités régionales de Ben Arous et locales de Mohammedia au ministère des Affaires culturelles, en charge de la préservation du patrimoine, pour qu’il démolisse le plus simplement du monde l’aqueduc et qu’il choisisse entre l’homme et la pierre.

Une telle demande relève de l’irresponsabilité totale et de la folie destructrice. Elle rappelle d’autres actes barbares similaires perpétrés par des fondamentalistes extrémistes : le dynamitage, en mars 2001, par les talibans, des statues géantes des Bouddhas de la vallée de Bâmiyân, haut lieu du bouddhisme, ou encore la démolition, en 2012, à la pioche et au burin, de 14 mausolées de saints musulmans à Tombouctou, au Mali, ou encore la destruction, en Irak, des cités antiques de Nimrud et d’Hatra, ou encore, en Syrie, des vestiges antiques de Palmyre, entre autres «villes mortes» que détestent les extrémistes religieux.

L’aqueduc court des risques réels

L’aqueduc reliant Zaghouan et Carthage, patrimoine de l’humanité aussi prestigieux que les sites détruits précités, n’est certes pas encore totalement détruit mais avec l’avènement des changements climatiques et la probabilité de survenance de nouvelles inondations dévastatrices pour les habitations jouxtant le site, il y a de fortes chances pour qu’il connaisse le même sort que les statues géantes de Bouddha de la vallée de Bâmiyân.

Les sites archéologiques du pays courent des risques réels avec l’existence en Tunisie de plus de 6 millions d’analphabètes et d’illettrés qui n’ont aucune connaissance de l’Histoire de leur pays. Ces communautés aux penchants nomades et bédouins résident, pour la plupart, dans des logements anarchiques (37% de l’habitat en Tunisie) et vivent dans une précarité totale équivalant au stade de survie (premier besoin sur un total de cinq de la fameuse pyramide des besoins du sociologue américain Abraham Maslow).

Pis, ces gens sont formatés dans 6.000 mosquées animées par des prédicateurs incultes et takfiristes qui ont une aversion génétique de la dimension multi-civilsationnelle de la Tunisie. Pour eux les sites archéologiques en pierre sont l’œuvre d’hérétiques et de mécréants. Ils qualifient ces sites de «pierres des ignorants» («hjar el-jouhal»).

Pourtant, une civilisation comme la Romaine a beaucoup donné aux Tunisiens. Au nombre des réalisations apportées figurent en bonne place un réseau routier de 300 kms ce, qui est énorme à l’époque de leur édification il y a 2000 ans, des villes bien aménagées et avec des systèmes sophistiqués d’alimentation en eau potable comme l’illustre l’imposant aqueduc de Zaghouan.

Pour évacuer l’eau des inondations, on a détruit une partie des vestiges historiques. 

L’aqueduc de Zaghouan, l’un des plus longs au monde

Pour mémoire, cet aqueduc, un joyau de la technologie hydrique, a été construit au temps de l’empereur romain, Elius Hadrien, empereur humaniste, lettré, poète et philosophe qui aimait répéter : «Je suis responsable de la beauté du monde».

Les arches de cet aqueduc de vingt mètres de hauteur font partie du paysage tunisien depuis l’antiquité. Construit aux environs de l’année 160, l’ouvrage est l’un des plus longs et des plus spectaculaires du monde. Son débit a été estimé à une trentaine de millions de litres par jour. En partie aérien, en partie souterrain, il acheminait l’eau de Zaghouan à Carthage où elle se déversait dans de grandes citernes avant d’alimenter les thermes, les fontaines publiques et les riches demeures de Carthage.

L’hydrologue Ameur Horchani, père des barrages en Tunisie, estime que l’aqueduc de Zaghouan est l’illustration du génie des Tunisiens et leurs capacité à subvenir à leurs besoins en eau quelle que soit la conjoncture et les périodes de déficit hydrique par lesquelles peut passer le pays.

Réactiver le projet « La route de l’eau »

Ce qui a manqué à l’aqueduc de Zaghouan c’est sa valorisation en dépit de la disponibilité de feuilles de routes claires élaborées par d’éminents archéologues dont Naidé Ferchiou.

Cette archéologue tunisienne d’origine française, grande spécialiste du décor architectonique de l’époque romaine, avait piloté, depuis 2006, avec ses collègues de l’Institut national du patrimoine, le projet de «La Route de l’Eau» avec pour composantes la valorisation le Temple des eaux de Zaghouan, l’aqueduc, les grandes citernes publiques de la Maalga et les thermes d’Antonin, à Carthage, qui constituait la destination principale de l’eau. Malheureusement, on n’a plus entendu parle de ce projet depuis le décès de cette archéologue, le 7 août 2013. La volonté politique manquait atrocement.

Il faut reconnaître que les ministres des Affaires culturelles et les directions chargées de la préservation du patrimoine qui se sont succédé, depuis l’accès du pays à l’indépendance, n’ont jamais mené à terme des projets de valorisation du patrimoine archéologique du pays alors qu’il compte des milliers de sites, un véritablement gisement de devises à portée de main.

Les pays qui ont connu un brassage de civilisations comme le nôtre ont valorisé leur patrimoine et en ont fait une source de rentrées de précieuses devises. Pour preuve, tout voyageur tunisien qui a eu à visiter des sites historiques comme la Cité des Empereurs à Pékin, le site archéologique de Pompéi au sud de l’Italie, la cité Palatine El Hamra à Grenade en Espagne, le musée du Louvre et le site Saint Michel en France ne manquent pas de relever la masse compacte des touristes qui visitent ces sites et l’importante ressource en devises qu’ils procurent aux vieilles nations qui les abritent.

Mieux, de nouvelles nations comme les pays du Golfe (Koweït, Qatar, mais surtout les Emirats arabes unis) ont compris tout le bien qu’ils peuvent tirer de ce tourisme culturel fort rémunérateur, et ont conclu des partenariats avec des institutions muséales européennes prestigieuses pour ouvrir un Louvre et un Guggenheim Abu Dhabi.

Retirer le dossier aux départements incompétents

L’enjeu donc est de réconcilier les sites archéologiques avec les communautés qui résident aux environs. Il s’agit de leur expliquer que ces sites, pour peu qu’ils soient valorisés, constituent d’importantes opportunités pour la création de nouveaux emplois et de sources de revenus dont ils seront les premiers bénéficiaires.

Cette association des communautés environnantes à la préservation des sites archéologiques, voire à leur bonne gestion, est une des deux conditions exigées par le Comité du patrimoine mondial (CPM) qui relève de l’Unesco pour l’inscription du Complexe hydraulique Zaghouan-Carthage sur la Liste du Patrimoine mondial. La première condition ne pose pas de problème, s’agissant de la valeur universelle du site.

Cela pour dire au final que le véritable danger que courent les sites archéologiques ce ne sont pas forcément les probables agressions qu’ils peuvent subir de la part des habitants qui luttent pour leur survie mais de l’immobilisme du ministère des Affaires culturelles, qui ne fait pas grand-chose pour protéger les sites et les valoriser.

Le ministère du Tourisme est aussi responsable de cette situation désastreuse dans la mesure où il ne s’est jamais démené pour développer le tourisme culturel. Pourtant, ce type de tourisme constitue un produit approprié pour diversifier le produit touristique, pour finir avec la monotypie du balnéaire et pour lutter contre la saisonnalité.

Au regard de l’incapacité de ces deux départements de faire bouger les choses et compte tenu de tous les avantages que peut tirer le pays de la valorisation des sites archéologiques, le moment est venu, nous semble-t-il, après 62 ans d’indépendance et d’échec en la matière, de retirer le dossier de ces deux ministères et de le confier à une nouvelle institution touristico-culturelle indépendante. Il y a urgence. Sinon le pays va connaître des situations pires que la destruction d’un tronçon d’aqueduc romain.

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