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Débat à l’Université Centrale: Diplomatie, lobbying et réseaux d’influence

Philippe Bohn, directeur général de la compagnie aérienne Air Sénégal et expert dans le domaine de l’aviation civile, a présenté son livre « Profession agent d’influence », jeudi 20 décembre 2018, à l’Université Centrale, à Tunis.

Par Zohra Abid

Pour le lancement du Short MBA Diplomatie économique et Lobbying, la directrice générale du Groupe Université centrale (UC) Houbeb Ajmi fait appel à la contribution de sommités dans le domaine de la diplomatie économique. C’est pour enrichir le débat sur ce sujet qu’elle a invité Philippe Bohn à présenter son livre « Profession Agent d’influence » ou « Les Aventures d’un homme de l’ombre », paru aux éditions Plon-France en 2018. La conférence s’est tenue au Centre de simulation médicale, filiale de l’UC inauguré le 10 novembre dernier.

Marouane Abassi.

Marouane Abassi : Le salut de la Tunisie passe par la multiplication des échanges

Parmi les invités, il y avait le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marouane Abassi, Tarek Ben Salem, représentant de la présidence du gouvernement, Ghazi Mabrouk, conseiller spécial du secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe (UMA) et haut représentant auprès de l’Union européenne, l’ambassadeur de France en Tunisie, Olivier Poivre d’Arvor, ainsi que Samia Arbi, représentant le Cercle diplomatique de Tunis.

Passant en revue l’état de l’économie tunisienne, Marouane Abassi a indiqué qu’elle se caractérise surtout depuis quelques années par une croissance faible, entre 1,2 et 1,3%, et de fortes pressions sur les finances publiques. Le système bancaire, quant à lui, souffre d’un grand  manque de liquidité. Mais dans ce tableau sombre, l’espoir persiste et l’une des portes de sortie réside dans la multiplication des échanges et, notamment avec les pays maghrébins et africains subsahariens.

Patrick Poivre d’Arvor.

Olivier Poivre d’Arvor : Le rôle d’un ambassadeur ne se limite pas à offrir des dîners

Olivier Poivre d’Arvor a mis l’accent, quant à lui, sur le rôle déterminant de la diplomatie, dont certains ont une perception assez faible sinon parfois totalement erronée. Le rôle d’un ambassadeur ne se limite pas, dit-il, à offrir des dîners ou à recevoir des invités. Il consiste aussi et surtout à s’occuper des échanges économiques et politiques entre son pays et celui de son accréditation. «Comme notre collègue l’ambassadeur de Tunisie en France Abdelaziz Rassaa, qui sillonne les régions de France à la recherche d’opportunités économiques pour son pays, nous aussi, on se déplace dans les gouvernorats pour coopérer avec les responsables régionaux. Ainsi, les diplomates peuvent-ils s’assurer de la situation dans le pays et nouer des relations utiles pour développer la coopération bilatérales», a-t-il tenu à souligner, comme s’il cherchait à justifier ses nombreux déplacements à l’intérieur du pays où certains voient une forme d’ingérence. Le rôle d’un ambassadeur consiste aussi à faire parvenir à son gouvernement, au moins une fois par jour, que ce soit par une dépêche ou un courrier formel, diverses informations importantes, telles les décisions de la Banque centrale ou les nouveautés de la loi de finances, car ces informations sont importantes pour les relations économiques entre les deux pays, a-t-il aussi expliqué, en se félicitant de voir la Tunisie consacrer, depuis quelques années, 15% de son budget à la sécurité. Ce qui lui vaut sa stabilité actuelle.

«Il y a certes toujours des épreuves à affronter mais je reste confiant, car la Tunisie a toujours surmonté des difficultés», dit M. Poivre d’Arvor. Et de conclure : «La France a confiance en vous et cherche à plaider la cause tunisienne auprès de l’Union européenne, la Banque mondiale ou encore la FMI. Et nous sommes les plus optimistes de tous, car nos peuples, nos écoles et nos histoires sont enchevêtrées». 

Ghazi Mabrouk.

Ghazi Mabrouk : la diplomatie tunisienne est passive

Ghazi Mabrouk a regretté, de son côté, que la diplomatie tunisienne ne fait pas vraiment convenablement son rôle de suivi des décisions internationales et notamment celles concernant notre pays. Par exemple, la réunion du G7 à Deauville  (France) en 2011 avait promis 25 milliards de dollars pour aider les pays arabes dans leur transition démocratique. Si la Tunisie n’a encore rien touché de cette enveloppe, c’est de la faute des Tunisiens, a déploré M. Mabrouk. «On ne s’est pas manifesté depuis, et on s’est contenté des photos et des embrassades. Il va y avoir, du 25 au 27 août 2019, à Biarritz, une réunion du G7 qui sera présidée par la France. Que notre diplomatie se prépare et interpelle cette honorable assemblée sur ses promesses de 2011», a ajouté M. Mabrouk.

Philippe Bohn : Dans les grands contrats industriels, tout est question de réseau

Philippe Bohn s’est arrêté sur les réseaux d’influence évoqués dans son livre, ainsi que sur ses relations avec des hommes influents de la France en Afrique, de l’Angola à la Somalie, en passant par le Rwanda et la Libye.

«Le réseau est un outil qui tient d’un destin, d’un développement commun et d’aventures politiques et économiques communes», a-t-il lancé, en précisant qu’un réseau est toujours utile et précieux, mais «il est parfois utilisé à des fins condamnables, mais c’est là une autre question».

Aujourd’hui tout tient au réseau: il y a le réseau neuronal, le réseau sanguin, le réseau internet, le réseau social, le réseau d’amis, le réseau d’écoles…. Tout est d’une manière ou d’une autre connecté. Ce qui, dans les relations politiques et économiques, permet le lobbying et lui donne sens, encore faut-il l’utiliser à bon escient et en tirer profit, explique M. Bohn.

Philippe Bohm.

Dans son livre, enchaîne-t-il, il «décrit la technique de l’influence et définit l’homme d’influence comme un agent chimique, un révélateur et un catalyseur. Il met le lien, rapproche, suscite l’intérêt, oriente… Les ingénieurs construisent des routes, des échangeurs et des ponts… Les hommes d’influence orientent la prise des décisions dans les milieux politique, industriel et économique. Ce qui est mon cas. C’est de l’ingénierie humaine et je suis un ingénieur de l’humain», souligne M. Bohn.

Philippe Bohn dédicaçant son ouvrage. 

Les ingénieurs, eux, se concentrent sur les systèmes de l’intelligence artificielle, mais derrière, il y a toujours un décideur, un homme que l’on informe, que l’on écoute et que l’on aide à prendre les bonnes décisions. Et c’est là où réside le rôle de l’ingénieur de l’humain. «Le réseau est un outil. Moi, je suis un outil dans une boîte d’outils»,  enchaîne l’auteur, qui, contrairement à beaucoup, ne trouve aucun mal à l’existence du réseau de la France Afrique. Il le trouve utile et efficace et en est même fier «Il faut être ensemble pour avancer, tout en veillant à ne pas utiliser l’Afrique pour ramener des valises pleines d’argent pour financer des campagnes électorales», explique M. Bohn, qui a une vision idyllique de son métier d’homme d’influence. La corruption, qui marque souvent les relations entre la France et l’Afrique, est certes un sujet intéressant, et il ne craint pas d’en parler. Mais il croit pouvoir s’en prémunir: «Plus vous montez en réseau, plus vous vous protégez de la corruption», souligne-t-il.

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