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Le suicide comme expression de la protestation sociale en Tunisie

Abdessalem Zorgui, s’est immolé par le feu le 24 décembre 2018, à Kasserine.

Le suicide comme expression de la protestation sociale est devenu un véritable fléau en Tunisie. Hier encore un quadragénaire, père de 3 enfants, a mis le feu à son corps dans l’usine où il travaille depuis 11 ans, à Teboulba (Moknine, Monastir), pour exiger… le paiement d’arriérés de salaires!

Par Wael Mejrissi

C’est le dernier épisode tragique de cet interminable feuilleton qui a commencé un certain 17 décembre 2010, quand un vendeur de légumes ambulant, Mohamed Tarek Bouazizi, a mis le feu à son corps à Sidi Bouzid pour protester contre les agissements d’un agent municipal qui lui interdisait d’exposer sa marchandise sur le trottoir à même le sol. Ce qui, souvenons-nous, a déclenché la série d’émeutes dans tout le pays qui se sont terminées par la chute de l’ancien régime autoritaire de Ben Ali, avec la fuite de ce dernier, le 14 janvier 2011.

Le signe d’un grand malaise social

Depuis, on ne compte plus le nombre de personnes morts après s’être immolées par le feu, surtout des hommes, plutôt jeunes et souvent pour protester contre leurs conditions sociales difficiles.

Il y a une dizaine de jours, le 24 décembre 2018, à Kasserine, un journaliste, correspondant d’une chaîne de télévision privée, Abderrazek Zorgui, a mis fin à ses jours de la même manière atroce, un drame largement relayé par les médias et évoqué par le président de la république Béji Caïd Essebsi dans ses vœux à la nation à l’occasion du nouvel an, comme étant le signe d’un grand malaise social.

Il est grand temps que ces pratiques d’un autre temps cessent. Les immolations par le feu augmentent en signe de désespoir dans un pays qui n’offre plus beaucoup d’espoir à ses jeunes.

La souffrance sociale vécue par la jeunesse, à Kasserine et dans d’autres régions intérieures, et pas seulement, est certes immense mais exprimer cette détresse en faisant de son corps un brasier est un non sens et à l’évidence ne plaide pas pour la cause de cette génération sacrifiée. Il n’y aura pas de deuxième Bouazizi car les Tunisiens ne veulent plus du suicide comme modèle de protestation. D’autant plus que, lorsqu’ils comparent objectivement la situation économique et sociale d’avant et d’après Ben Ali, ils se rendent bien compte que la dictature était un moindre mal vu l’état actuel de notre société en totale déliquescence.

Cette société a certes retrouvé la liberté mais pas la joie de vivre, parce qu’elle a rompu, en même temps, avec la valeur travail et le sens de la discipline. Ce dont témoignent les interminables grèves, sit-in et arrêts du travail dans les usines et les chantiers.

Que ce soit l’hôpital public, les administrations, la sécurité ou l’éducation, rien n’a été épargné depuis la déchéance de Ben Ali. La dégradation des services publics et des indicateurs économiques est une réalité amère de l’ère post-révolutionnaire et la pauvreté, elle, s’est enracinée comme un décor du quotidien dans bon nombre de villes au pays du jasmin. Alors la jeunesse qui rêve d’être un symbole à titre posthume serait mieux avisée de tirer son pays vers le haut et les manières d’y parvenir sont multiples.

Réhabiliter la discipline et la valeur travail

La jeunesse tunisienne doit tourner le dos à cette expression revendicative qui ne trouvera pas de place dans les manuels d’histoire. Epicier, maçon, chauffeur routier, serveur, animateur, éboueur… Autant de métiers qui connaissent un besoin de main d’œuvre et en face de jeunes diplômés qui préfèrent l’oisiveté observant avec dédain toutes ces petites mains pourtant essentielles dans la création des richesses de notre pays. Il n’y en a certes pas pour tout le monde, vu la crise, mais autant prendre ce qu’on trouve en attendant mieux et en continuant à postuler. Se contenter de revendiquer, de couper les routes et de crier à la défaillance de l’Etat complique encore la situation et n’aide pas à relancer la croissance. Au contraire, cela rebute les éventuels investisseurs, seuls à même de créer des emplois.

Pas besoin d’être un spécialiste de l’économie pour comprendre que l’Etat ne peut pas recruter tous les diplômés. Alors plutôt que de s’ériger en héros d’un soir pour finir dans les archives le jour suivant, que cette jeunesse se démène pour écrire son avenir même si c’est dans un environnement tumultueux car, au final, c’est bien le seul moyen de donner un sens à sa vie.

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