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Lu dans « Time » : L’usure normale de la jeune démocratie tunisienne

En janvier 2018 comme en… janvier 2011. 

Dans cette tribune publiée par l’hebdomadaire ‘‘Time’’, l’auteur se livre à réflexion sur les huit années de la révolution tunisienne. Pour lui, «la Tunisie restera à jamais le pays où le Printemps arabe de 2011 a vu le jour… Et cela a été à la fois une bénédiction et une malédiction.»

Par Ian A. Bremmer *

Le bon côté des choses est que la démocratie et la réforme s’affichent comme des points de convergence de la fierté tunisienne dans une région qui en a grandement besoin – notamment après que les architectes de la transition démocratique en Tunisie se sont vus attribuer le prix Nobel de la paix de 2015.

En revanche, le revers de médaille, c’est que la Tunisie n’a réalisé que peu ou pas de progrès sociaux et économiques, depuis la révolution de 2011, et qu’elle continue de décevoir ceux qui espèrent voir d’autres pays suivre la voie tunisienne.

Ailleurs, l’état des lieux – c’est-à-dire, le recul vers la dictature en Egypte, le morcellement en Libye et la guerre civile désastreuse en Syrie – donne raison à ceux qui insistent que l’éveil arabe de 2011 doit se ressaisir et se poursuivre…

Le 17 janvier 2019, un pays paralysé

Huit années après le soulèvement du 14 janvier 2011, plusieurs Tunisiens sont en colère contre les conditions dans lesquelles se trouve leur jeune démocratie. Le taux de chômage des diplômés du supérieur plafonne à 30%. Pour ceux d’entre les Tunisiens qui ont un emploi, les salaires ont stagné et le PIB par tête d’habitant a chuté, depuis 2014. Plusieurs dizaines de milliers de citoyens tunisiens, à la recherche de meilleures conditions de vie, ont choisi l’exil.

Dans pareilles circonstances, il n’est pas étonnant que la grogne sociale soit devenue monnaie courante dans le pays: selon les chiffres du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), le nombre des manifestations a plus que doublé entre 2015 et 2018, passant de 5001 à plus de 11.000.

Le dernier en date de ces mouvements de protestation a eu lieu le 17 janvier: il s’agissait de la grève générale des agents de la fonction publique, organisée par la plus importante centrale syndicale du pays et du monde arabe – l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).

Coïncidant, à quelques jours près, avec la célébration du huitième anniversaire de la révolution, ce débrayage national de plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires tunisiens a paralysé les transports ferroviaire, terrestre et aérien du pays. Ce jour-là également, le rythme de l’activité des écoles, des hôpitaux et des médias étatiques a été sensiblement réduit. (…)

Bref, la confusion et l’instabilité ainsi générées par ces troubles sociaux compliquent encore plus la tâche du chef du gouvernement de Youssef Chahed: son pays a un besoin urgent d’investissements étrangers et le Fonds monétaire international (FMI) demeure la source la plus prometteuse de cet appui financier tant souhaité. Sauf que, depuis quelque temps déjà, le FMI exige de M. Chahed de contenir les dépenses de l’Etat et son déficit budgétaire dans des limites raisonnables.

Le FMI continuera d’appuyer le gouvernement Chahed

Dans le même temps, il se trouve que 2019 est une année d’élections législatives et présidentielle en Tunisie et le chef du gouvernement ne peut s’offrir le luxe d’ignorer ces revendications de majorations salariales exprimées par des fonctionnaires frustrés. Il ne peut pas, non plus, s’aventurer à prendre des décisions douloureuses avant que les résultats des prochaines consultations électorales ne soient connus. (…)

Ce n’est pas encore une crise profonde. Les responsables du FMI comprennent la difficulté de manœuvre de Youssef Chahed et souhaitent le voir réussir, et il est fort probable que le Fonds, tenant compte des résistances et oppositions internes auxquelles le chef du gouvernement tunisien fait face, continuera à l’appuyer financièrement.

Dans quelques semaines, la page de cette partie de bras-de-fer sera tournée, car le gouvernement et l’UGTT trouveront une issue à la crise actuelle. À coup sûr, non sans peine, la Tunisie et son chef du gouvernement finiront par s’en sortir. Et cela en lui-même représentera, une fois de plus, un succès pour la transition démocratique tunisienne et un nouvel obstacle franchi – notamment dans cette région du monde où les dirigeants politiques ne semblent pas pressés de partager le pouvoir et où peu de citoyens ont connu les avantages de la pratique démocratique.

En définitive, le Printemps arabe a réussi à donner naissance à un pays, la Tunisie, qui est en train de mettre sur pied des institutions authentiquement démocratiques et de tenir régulièrement des élections libres et justes. Cependant, à chaque année qui passe, l’éclat de ce succès tunisien se ternit et les revendications de plus de prospérité et d’équité deviennent de plus en plus pressantes. Si celles-ci demeurent insatisfaites, les Tunisiens pourraient changer d’avis et décider que la révolution –et tout ce qu’elle a pu apporter avec elle– a été plutôt une malédiction qu’une bénédiction.

Analyse traduite de l’anglais par Marwan Chahla

* Ian Arthur Bremmer est un politologue américain spécialisé en politique étrangère américaine, en transition étatique et en risque politique global. Il est le président et fondateur de l’Eurasia Group, une firme de recherche et consultation sur le risque politique. Il est l’auteur de plusieurs livres, notamment son dernier best-seller, publié en 2018, « Us vs. Them: The Failure of Globalism » [Eux contre nous: L’échec de la mondialisation]. (Source Wikipédia).

**Le titre est de l’auteur et les intertitres sont de la rédaction.

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