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Le poème du dimanche : ‘‘Le monogramme’’ de Odysséas Elytis

Prix Nobel de littérature en 1979, Odysséas Elytis est l’un des plus grands poètes grecs du XXe siècle avec Constantin Cavafy, Georges Séféris et Yannis Ritsos.

Né le 2 novembre 1911 à Héraklion (Crète), dans une famille aisée, originaire de l’île de Lesbos, qui possédait une fabrique de savons. Il est décédé le 18 mars 1996 à Athènes.

Il était proche des poètes surréalistes français et de peintres comme Picasso et Matisse qui ont illustré certaines de ses œuvres. Ami de René Char et d’Albert Camus dont il a partagé la pensée de midi sur le primat accordé aux sensations et au culte de l’harmonie de la nature contre tout absolutisme historique.

Exaltant dans sa poésie la lutte héroïque des Grecs pour la liberté, il fut aussi critique d’art, et s’attacha à créer des collages dans lesquels s’exprime sa conception de l’unité de l’héritage grec, par la synthèse de la Grèce antique, de l’Empire byzantin et de la Grèce néo-hellénique. Ses poèmes ont été mis en musique par deux des compositeurs grecs les plus célèbres du XXe siècle, Míkis Theodorakis et Manos Hadjidakis.

Collage de Odysséas Elytis.

I

Je pleurerai toujours, m’entends-tu
Pour toi, seul, au paradis
Comme un maître des clés, le sort tournera
Les lignes de la main
Le temps concédera un instant
Comme, si les gens s’aiment et sont aimés, les uns les autres
Les cieux représenteront nos tripes.
Et l’innocence frappera le monde
Avec la faux de la noirceur de la mort.

II

Je pleure le soleil et je pleure les années à venir
Sans nous et je chante les autres passées au travers
Si c’est vrai
Conscient des corps et des bateaux qui suavement planaient
Les guitares qui scintillaient sous la pluie
Le «croyez- moi» et le et «non»
Une fois dans l’air, une fois en musique
Les deux petits animaux, nos mains
Qui essayaient secrètement de grimper l’une sur l’autre
Le pot de fleur rafraîchi par les portes ouvertes du jardin
Et les morceaux de mer s’unissant
Au-delà des murs de pierres sèches, derrière la haie
L’anémone que tu tenais dans ta main
frissonna trois fois comme pourpre, trois jours au-dessus des chutes d’eau
Si cette chanson
Le fagot de bois et la tapisserie carrée
Sur le mur, la sirène avec les tresses détachées
Le chat nous regardant dans l’obscurité.
Un enfant avec de l’encens et une croix rouge
Au crépuscule près des rochers inaccessibles
Je pleure les vêtements que j’ai touchés et le monde qui est venu à moi.

III

Ainsi je parle de toi et moi
Parce que je t’aime et dans l’amour, je sais
Comment prendre la tête comme une pleine lune
De toutes les directions, pour ton petit pied dans les feuilles de vastes
Jasmins en plumet et j’ai le pouvoir
Endormi, de souffler et de t’attraper
À travers des passages de clair de lune et des grottes marines secrètes
D’hypnotiques arbres avec des araignées argentées
Les vagues ont entendu parler de toi
Comment tu caresses, comment tu embrasses
Comment tu murmures le «quoi» et le «He»
Autour de ton cou, en cette baie
Nous sommes toujours la lumière et l’ombre
Tu es toujours la petite étoile et je suis toujours le navire sombre
Tu es toujours le port et je suis la lumière sur la droite.
La jetée humide et les paillettes sur les avirons
Élevé sur la maison de la vigne aden
Les roses liées, l’eau fraîche
Tu es toujours la statue de pierre et je suis toujours l’ombre grandissante
Toi le fermoir qui pend, moi le vent qui l’ouvre
Parce que je t’aime et je t’aime
Tu es toujours la monnaie et je suis le culte qui lui donne sa valeur :
Comme la nuit, comme le rugissement du vent
Comme la chute de l’air, comme l’immobilité
Comme la mer majestueuse
Arche du paradis remplie des étoiles célestes
Comme la moindre de tes respirations
Que n’ai-je plus rien d’autre
Dans les quatre murs, le plafond, le sol
Que t’appeler et que mon propre écho me frappe
Sentir ton parfum et les gens se mettent en colère
Car ceux qui n’ont pas testé, ces étrangers ne peuvent le supporter et il est tôt, m’entends-tu
Il est encore tôt dans ce monde mon amour
Pour parler de toi et moi.

IV

Il est encore trop tôt dans ce monde, m’entends-tu
Les monstres n’ont pas été domptés, m’entends-tu
Mon sang perdu et le tranchant, m’entends-tu
Le couteau
Comme un bélier faisant une course dans les cieux
Rompant les branches des étoiles, m’entends-tu
C’est moi, m’entends-tu
Je t’aime, m’entends-tu
Te porter, te tenir et t’habiller
En robe blanche comme Ophélie, m’entends-tu
Où me laisses-tu, où vas-tu et qui, m’entends-tu
Tient ta main à travers les flots
Les immenses bassins et les laves volcaniques
Il y aura un jour, m’entends-tu
Lorsqu’ils nous enterreront et après des milliers d’années
Ils nous transformeront en pierres précieuses, m’entends-tu
Pour écraser en eux l’insensibilité, m’entends-tu
De l’homme
Et jeter les milliers de fragments
Dans l’eau, un par un, m’entends-tu
Je compte mes cailloux amers, m’entends-tu
Et le temps est une grande église, m’entends-tu
Où une fois les visages
Des Saints
Déversent de réelles larmes, m’entends-tu
Les cloches pleurent dans le ciel, m’entends-tu
Un passage profond pour me voir passer
Les anges attendent avec des bougies et des éloges funèbres
Je ne vais nulle part, m’entends-tu
Ou personne ou tous deux ensemble, m’entends-tu
Cette fleur de tempête et, m’entends-tu,
Et d’amour
Nous la cueillons une fois pour toutes
Et elle ne peut s’épanouir autrement, m’entends-tu
Sur une autre Terre, sur une autre étoile, m’entends-tu
Le sol, l’air que nous avons touchés,
N’est plus jamais le même, m’entends-tu
Et aucun jardinier n’aura la chance
De produire une telle fleur
Venant de tant de vents hivernaux et nordiques, m’entends-tu
Jetant la fleur, que juste nous, m’entends-tu
Au milieu de l’océan.
Par la puissance de l’amour seul, m’entends-tu
Nous avons créé une île entière, m’entends-tu
Avec les grottes et les promontoires et les falaises fleuries
Écoute, écoute
Qui parle à l’eau et qui pleure – écoute-tu??
Qui est à la recherche pour d’autres, qui est en train de crier – es tu en train d’écouter?
Je suis celui qui hurle, je suis celui qui pleure, m’entends-tu
Je t’aime, je t’aime, m’entends-tu

V

J’ai parlé de toi dans les temps anciens
Avec les infirmières humides et de rebelles vétérans
D’où vient ton terrible chagrin
L’éclat de l’eau tremblotant sur ton visage.
Et pourquoi il faut qu’arrive près de toi
Qui ne veut pas aimer mais qui veut le vent
Mais veut le galop de la mer déchaînée et dressée
Et personne n’avait entendu parler de toi
Ni dictame, ni champignon sauvage
Des landes crétoises,
Seul Dieu accorde et guide ta main vers moi
Ici et là, soigneusement tout autour
De la plage du visage, la baie, les cheveux
Sur la colline ondulant à gauche
Ton corps dans la position du pin solitaire
Yeux de fierté et de transparente
Profondeur, dans la maison avec un vieux cabinet de chine
de dentelle jaune et de bois de cyprès
Seul j’attends ta première apparition
Élevée sur la véranda ou sous les pavés de jardins
Avec le cheval du saint et l’œuf de Pâques
Comme d’une peinture murale qui a fait naufrage
Grande comme la petite vie te voulait
tenir dans une petite bougie la lueur volcanique grommelante
Aussi personne n’aura vu ou entendu
Quoi que ce soit sur toi dans le désert de maisons délabrées
Ni les ancêtres au bord de la clôture du jardin
Ni la vieille femme avec toutes ses herbes
A toi, seulement moi et peut-être la musique
Qui est cachée au fond de moi, mais te reviendra plus fortement
A toi, la poitrine encore non formée de douze ans
Tournant vers l’avenir et le cratère rouge
A toi, une odeur amère trouve le corps
Et comme une aiguille perfore la mémoire
Et ici le sol, ici les colombes, ici notre ancienne terre.

VI

J’en ai vu plus et la Terre, dans mon esprit, semble plus belle
Plus belle dans une respiration dorée
La pierre à aiguiser, plus belle
Le bleu sombre des isthmes et des toits au dessus des vagues
Plus beaux, les sillons où tu passes sans sauter
Jamais battue comme la déesse de Samothrace au sommet des collines de la mer
Comme ainsi je t’ai vu et cela suffira
Pour tout et le temps sera exonéré
Dans l’éveil de ton passage
Mon âme comme un dauphin vert qui suit
Et joue avec le blanc et l’azur
Triomphe, triomphe quand j’ai été conquis
Avant l’amour et ensemble
Avec l’hibiscus et la fleur de la passion
Vas, vas et laisse-moi être perdu
Seule et laisse le soleil être un nouveau-né que tu tiens
Seul et laisse moi être la patrie qui pleure
Que soit le mot que j’envoie pour tenir la feuille de laurier pour toi
Seul, le vent solitaire, fort et le lourd galet sous la paupière des profondeurs sombres
Le pécheur qui les attrapa jeta le Paradis hors du Temps

VII

Au paradis, j’ai aperçu une île
Semblable à toi et une maison au bord de la mer
Avec un grand lit et une petite porte
J’ai jeté un écho dans les profondeurs
Pour me voir chaque matin quand j’émerge
La moitié pour te voir passer à travers les eaux
La moitié pour pleurer pour toi au paradis.

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