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Le poème du dimanche : ‘‘Le grand combat’’ et autres textes d’Henri Michaux

Né à Namur 1899 dans une famille aisée et décédé à Paris en 1984, Henri Michaux est un peintre et poète français d’origine belge, occupant une place particulière dans la culture moderne.

Après avoir dit qu’il détestait la peinture et qu’il cesserait d’écrire, ce voyageur assidu, aussi bien de pérégrinations géographiques que d’explorations imaginaires, fut l’un des rares artistes à établir scientifiquement la carte des drogues, mescaline dans les mots et dans les traits.

En 1948, quand Henri Michaux publie ‘‘Meidosems’’, il a quarante-neuf ans. C’est son premier livre de peintre, ce sont aussi ses premières lithographies et les seules réalisées directement à même la pierre.

Écrivain, il l’est depuis ‘‘Les Rêves et la Jambe’’ publié à Anvers en 1923; dessinateur et peintre, il le devient quand il montre ses travaux à la librairie de la Pléiade à Paris en 1937.

À la fin de sa vie, Michaux était considéré comme un artiste fuyant ses lecteurs et les journalistes, ce qui contraste avec les nombreux voyages qu’il a faits pour découvrir les peuples du monde, et avec les nombreux amis qu’il compta dans le monde artistique. Mais en réalité, durant toute son existence, il a maintenu un refus radical de paraître, s’opposant de manière irréductible et inaliénable à toutes les sollicitations publiques : interviews, émissions de télévision ou radio, photos, conférences, prix littéraires, etc.

Le grand combat

Il l’emparouille et l’endosque contre terre ;
Il le rague et le roupéte jusqu’à son drâle ;
Il le pratéle et le libucque et lui baroufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l’écorcobalisse.
L’autre hésite, s’espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C’en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s’emmargine… mais en vain
Le cerveau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé !
Le sang a coulé !
Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret.
Mégères alentours qui pleurez dans vos mouchoirs;
On s’étonne, on s’étonne, on s’étonne
Et on vous regarde,
On cherche aussi, nous autres le Grand Secret.
«Papa, fais tousser la baleine», dit l’enfant confiant.
Le tibétain, sans répondre, sortit sa trompe à appeler l’orage
et nous fûmes copieusement mouillés sous de grands éclairs.
Si la feuille chantait, elle tromperait l’oiseau.

Ma vie

Tu t’en vas sans moi, ma vie.
Tu roules.
Et moi j’attends encore de faire un pas.
Tu portes ailleurs la bataille.
Tu me désertes ainsi.
Je ne t’ai jamais suivie.
Je ne vois pas clair dans tes offres.
Le petit peu que je veux, jamais tu ne l’apportes.
À cause de ce manque, j’aspire à tant.
À tant de choses, à presque l’infini…
À cause de ce peu qui manque, que jamais n’apportes.

La jeune fille de Budapest

Dans la brume tiède d’une haleine de jeune fille, j’ai pris place
Je me suis retiré, je n’ai pas quitté ma place.
Ses bras ne pèsent rien. On les rencontre comme l’eau.
Ce qui est fané disparaît devant elle. Il ne reste que ses yeux.
Longues belles herbes, longues belles fleurs croissaient dans notre champ.
Obstacle si léger sur ma poitrine, comme tu t’appuies maintenant.
Tu t’appuies tellement, maintenant que tu n’es plus.

Je vis un arbre dans un oiseau

Celui-ci le réfléchissait tout entier et une brise infiniment légère en assouplissait seulement l’extrême bord des feuilles.
L’oiseau était immobile et grave.
C’était un matin clair, sans soleil, un matin qui ne dévoile rien encore de la journée à venir, ou très peu.
Moi aussi, j’étais calme.
L’oiseau et moi, nous nous entendions, mais à distance, comme il convient à des êtres d’espèce animale, ayant eu, sans retour possible, une évolution parfaitement divergente.

Le grand violon

Mon violon est un grand violon-girafe;
j’en joue à l’escalade,
bondissant dans ses râles,
au galop sur ses cordes sensibles et son ventre affamé aux désirs épais,
que personne jamais ne satisfera,
sur son grand cœur de bois enchagriné,
que personne jamais ne comprendra.
Mon violon-girafe, par nature a la plainte basse et importante, façon tunnel,
l’air accablé et bondé de soi, comme l’ont les gros poissons gloutons des hautes profondeurs, mais avec, au bout, un air de tête et d’espoir quand même,
d’envolée, de flèche, qui ne cèdera jamais.
Rageur, m’engouffrant dans ses plaintes, dans un amas de tonnerres nasillards,
j’en emporte comme par surprise
tout à coup de tels accents de panique ou de bébé blessé, perçants, déchirants,
que moi-même, ensuite, je me retourne sur lui, inquiet, pris de remords, de désespoir,
et de je ne sais quoi, qui nous unit, tragique, et nous sépare.

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