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Israël, Iran, Russie et Moyen-Orient: Que veut vraiment Donald Trump ?

Comment le président Trump est en train de rompre avec un quart de siècle d’une politique étrangère américaine grosso modo basée sur les mêmes logiciels idéologiques : «bienveillance» à l’égard de l’islam politique, utopie du Regime change et du Nation building ou encore tropisme hérité de la Guerre froide concernant le «danger russe»…

Par Roland Lombardi *

Ne correspondant absolument pas aux critères de béatification des intelligentsias bien-pensantes occidentales, Donald Trump est considéré, au pire, comme un fou dangereux, ou au mieux, comme un clown. Mais une des premières leçons en relations internationales est de ne jamais sous-estimer un acteur quel qu’il soit. Comme ailleurs, c’est toujours à la fin du bal que nous devons payer les musiciens. Et pour l’instant, la musique du sulfureux et «imprévisible» locataire de la Maison Blanche reste incompréhensible pour beaucoup.

Pour autant, il faut bien comprendre d’abord que le président Donald Trump est en perpétuelle campagne électorale. Son point de mire est bien sûr sa réélection.

Trump veut ardemment son «deal du siècle» au Proche-Orient

Avec Israël, par exemple, en reconnaissant la souveraineté de l’Etat hébreu sur le plateau du Golan, il envoie un message aux groupes de pression pro-israéliens comme l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), le plus puissant et le plus influent des lobbies israéliens aux Etats-Unis, où, ne l’oublions pas les grands donateurs sont très présents.

Toutefois, au plus les gestes et les gages donnés par le président américain à l’Etat hébreu (déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, retrait de l’accord sur le nucléaire iranien, coupure des aides financières à l’Autorité palestinienne…) seront grands, plus les concessions que devra faire le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, seront difficiles (solution à deux Etats, statut particulier et définitif de Jérusalem, échanges de territoires…).

Trump veut ardemment son «deal du siècle», pour des raisons électorales comme évoquées plus haut, mais surtout pour son prestige personnel. Peut-être un peu naïvement, il veut entrer dans l’histoire comme celui qui aura enfin résolu ce problème dans la région.

Avec l’Iran, Donald Trump n’est pas très enclin à déclencher un nouveau conflit dans la région. En définitive, il faudrait vraiment une grave crise ou un casus belli dramatique pour mettre le feu aux poudres.

Mettre la République islamique d’Iran à genoux

En dépit des apparences (comme l’envoi ces derniers jours d’un groupe aéronaval et du porte-avions Abraham Lincoln dans le Golfe persique) et de ses manœuvres politiciennes (tel l’appel à ses côtés des «faucons» Bolton et Pompeo) afin d’atténuer les attaques de l’establishment américain qui veut clairement sa peau, où les néoconservateurs (ses adversaires) républicains comme démocrates sont toujours aussi actifs et très nombreux, il ne veut pas faire chuter le régime iranien. Sa sortie de l’accord sur le nucléaire iranien de juillet 2015 et les sanctions économiques contre Téhéran n’ont pour objectif que de mettre la République islamique à genoux, la mettre sous pression et finalement, la forcer à négocier un nouvel accord, un «meilleur accord» comme il dit.

Par ailleurs, l’ancien promoteur de New York, aguerri par ses bras de fer avec, non pas les requins, mais les tyrannosaures de la finance et de l’immobilier de la mégalopole américaine, s’y connaît en rapports de force et en négociations. Il sait qu’il faut parfois jeter le chaud et le froid et comme le disait Al Capone : «On peut obtenir beaucoup plus avec un mot gentil et un revolver, qu’avec un mot gentil tout seul !».

Or, loin d’être un belliciste, il garde toujours une porte ouverte puisqu’il ne cesse de répéter qu’il est prêt à rencontrer directement le président Rohani à tout moment.

Assurément, malgré sa victoire en Syrie, l’Iran n’a plus les moyens de ses ambitions. Certes, le régime reste solide. Cependant, les sanctions n’ont fait qu’accentuer les problèmes socio-économiques du pays, la chute de la valeur de la monnaie iranienne et surtout le mécontentement populaire. La mauvaise gestion et la corruption des autorités sont vivement critiquées ainsi que les différentes interventions extérieures (Liban, Syrie, Irak…). En Syrie, malgré les dernières déclarations arrogantes des gardiens de la Révolution, Israël, avec l’aval russe, continue de frapper les bases et les troupes iraniennes et du Hezbollah (toujours sans représailles…). De plus, Assad ne voit pas d’un très bon œil une présence iranienne pérenne sur son territoire. Les Russes, quant à eux, qui sont les derniers «partenaires» de poids de Téhéran, ne veulent pas non plus une influence iranienne trop grande dans la région. Du côté de l’Irak, rappelons qu’il y a quelques mois, de hauts dignitaires et responsables politiques chiites se sont rendus à Riyad et que dernièrement, certains se sont même rendus en Israël.

Au final, les Iraniens ne peuvent raisonnablement pas se permettre une politique du pire. Il est fort probable, au contraire, qu’afin de préserver tous les bénéfices économiques et commerciaux de leur victoire en Syrie et l’influence politique acquise dans la région, les responsables iraniens, en situation de trop grande faiblesse, mais qui sont de grands pragmatiques, se résignent finalement à revenir à la table des négociations… Là est tout le pari de Trump.

Trump ne croit pas aux utopies et catastrophiques regime change

L’actuel locataire de la Maison Blanche est totalement hostile à tout nouvel interventionnisme ou ingérence américaine, notamment au Moyen-Orient.

Ni multilatéraliste, ni isolationniste, Trump est, comme il l’a maintes fois affirmé depuis des années et notamment durant sa campagne, absolument hostile aux utopiques et catastrophiques regime change et nation bulding dont on a vu les désastreuses conséquences depuis. C’est d’ailleurs cette position qui l’a aussi rendu très populaire. Pour lui, comme le pensent, à juste titre, la grande majorité de son électorat et surtout la plupart des généraux du Pentagone, l’aventurisme passé n’a créé que le chaos et a coûté beaucoup trop d’argent pour de trop piètres résultats.

Afin de se tourner sereinement vers l’Asie, la stabilité de la région proche et moyen-orientale est indispensable pour Washington. En définitive, sauf incident grave, la volonté du réaliste Trump (qui, ne l’oublions pas, méprise cette région et considère l’interventionnisme passé de Washington trop coûteux et électoralement, très peu bénéfique…) de se retirer du Moyen-Orient (comme en Syrie), finira à terme par se concrétiser. Et ce, au grand dam, des nombreux groupes influents et nuisibles pour la région, qui font partie de l’establishment américain et qui sont en guerre ouverte avec l’ancien businessman new-yorkais devenu président. Cela explique d’ailleurs, toutes les entreprises de sape de certains, visant à nuire à une éventuelle normalisation des relations russo-américaines (cf. le rapport d’enquête de Robert Mueller, qui portait notamment sur une possible collusion entre Moscou et la campagne Trump).

Un «désengagement» américain (qui sera, certes, très relatif puisque les principales bases américaines seront toujours là et que la Ve et la VIe flottes sillonneront encore la Méditerranée et l’Océan indien) accompagné d’un «Yalta régional» avec la Russie, semblent alors inéluctables. Surtout que Trump, ignare en géopolitique mais qui a entendu et bien retenu les recommandations de quelques conseillers et stratèges américains (marginalisés et peu écoutés jusqu’à ces dernières années), sait pertinemment que face au géant et grand rival de demain, à savoir la Chine, il n’est vraiment pas judicieux d’entretenir les tensions avec la Russie et encore moins de pousser Moscou à se rapprocher de Pékin.

Fin de la «bienveillance» à l’égard de l’islam politique

Il faut rappeler que, depuis la fin du mandat de Bush père en 1993, les administrations successives américaines, et notamment le secrétariat d’Etat, n’ont été dirigés que par des néo-conservateurs (de 2001 à 2009 avec Bush fils) ou des démocrates (de 1993 à 2001 avec Bill Clinton et de 2009 à 2017 avec Barack Obama). Soit près d’un quart de siècle d’une politique étrangère quasi continue et qui était grosso modo basée sur les mêmes logiciels idéologiques («bienveillance» à l’égard de l’islam politique, l’utopie du Regime change et du Nation building ou encore le tropisme hérité de la Guerre froide concernant le «danger russe»…).

Certes, la «révolution copernicienne» voulue par Trump est délicate car on ne met pas à bas si aisément 25 ans de traditions et de dogmes diplomatiques du secrétariat d’Etat (d’où d’ailleurs les difficultés à renouveler de fond en comble cette administration…).

Il en résulte que, confronté aux attaques incessantes de ce que certains appellent le «système» ou encore l’Etat profond américain, le 45e président américain doit en permanence louvoyer, mais au final c’est lui et lui seul qui décide.

Ultime preuve de la détermination de Trump dans ce domaine, le blanc-seing tacite accordé au maréchal Haftar en Libye, son alignement sur l’axe égypto-émirati, à la pointe des contre-révolutions arabes et de la lutte contre l’islam politique, et enfin, sa dernière déclaration concernant les Frères musulmans et leur éventuelle inscription sur la liste des organisations terroristes. Ce dernier point risque encore de fortement déplaire à certains de l’establishment américain où le mouvement islamiste et surtout, son argentier, le Qatar, sont (comme en France d’ailleurs) encore très influents…

Quoi qu’il en soit, il reste juste à savoir si Donald Trump parviendra, jusqu’à la fin de son premier mandat, à surmonter les multiples obstacles que dressent continuellement devant lui ses nombreux ennemis de l’intérieur…

* Consultant indépendant, associé au groupe d’analyse de JFC Conseil.

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