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El País: Un projet de loi qui peut faire avorter le procès du meurtrier de Faisal Barakat

Cet article publié le 14 juillet 2019 par le quotidien espagnol El País traite du cas de Faisal Barakat, décédé sous la torture du régime de Ben Ali en 1991. Recul du procès de l’accusé jusqu’à approbation d’une loi l’empêchant d’entrer en prison ? Telle est la question soulevée par Ricard Gonzalez.

Par Ricard Gonzalez

«Le procès a commencé et nous en sommes encore à la phase initiale, nous essayons de faire comparaître les accusés. À l’heure actuelle, seuls quatre accusés sont venus», déplore Jamel, frère de Faisal Baraket (décédé en 1991), au tribunal de Nabeul (…). La cinquième et dernière audience qui s’est tenue jusqu’à présent – le 14 juin – n’a duré que dix minutes, comme les précédentes. Cette fois-ci, le report de l’audience, a été motivé par le fait que l’accusé a changé d’avocat, et ce dernier a demandé plus de temps pour étudier l’affaire. Après avoir entendu la décision de la juge, parents et amis de la victime ont échangé des regards suspects, estimant que la défense ne cherchait à prolonger le procès qu’en attendant l’approbation d’une loi finale qui empêche l’accusé d’entrer en prison.

Le procès pour la mort de Faisal Baraket est l’un des plus emblématiques dans le processus de justice transitionnelle en Tunisie, seul pays du prétendu Printemps arabe de 2011, où la transition vers la démocratie n’a pas abouti à un bain de sang.

Une mort sous la torture transformée en accident de la route

Baraket, étudiant de 25 ans et membre du parti islamiste Ennahdha, a été torturé à mort le jour de son arrestation, le 8 octobre 1991, au poste de police de Nabeul. Cependant, le régime de Ben Ali a falsifié l’autopsie, et affirmé qu’il était décédé des suites d’un accident de la route. Depuis lors, et malgré les difficultés, sa famille n’a pas cessé d’essayer de mettre ses bourreaux au banc des accusés.

Au début de la séance, la juge lit la liste des 52 accusés pour vérifier qui est absent. En entendant le nom de Zine El Abidíne Ben Ali, une juge sourit. Kamel Morjane, ancien ministre de la Défense et chef du parti Moubadara, allié du gouvernement actuel, fait partie des accusés. Ce politicien recyclé, n’apparaît pas non plus dans la salle. «Les juges subissent une énorme pression des syndicats de policiers, qui boycottent les procès. Ils n’émettent pas de mandats d’arrêt contre les accusés, qui ne comparaissent pas dans la procédure, et ils reportent souvent les audiences sur des prétextes», se plaint Gabriele Raeter, directrice de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) à Tunis, présente dans la salle d’audience.

Les victimes soupçonnent que les stratégies de retardement de la défense, autorisées par les juges, ont pour objectif de prolonger les procès jusqu’à l’approbation d’une loi finale, qui empêcherait l’accusé de passer une seule journée derrière les barreaux.

En avril dernier, le gouvernement a présenté un projet visant à mettre un terme aux processus, afin de créer un comité alternatif où les bourreaux seraient amnistiés automatiquement, en demandant simplement pardon. «Je ne pense pas que ce sera approuvé, avant les élections de l’automne. Le Parlement a peu de temps et d’autres priorités», explique Najib Mourad, victime politique pendant la dictature, et membre élu de l’Assemblée constituante en 2011 issu du parti Ennahdha.

L’ambiguïté d’Ennahdha critiquée par ses propres militants

Cependant, Mourad ne fait plus partie de la direction du parti islamiste, et est ouvertement en désaccord avec sa politique: «Le comité exécutif a décidé de parvenir à un accord avec l’ancien régime et le prix à payer a été d’abandonner les droits des victimes».

Certains responsables du parti, y compris son chef, Rached Ghannouchi, ont montré qu’ils étaient favorables à l’initiative du gouvernement, mais cette mesure suscite la controverse parmi les victimes d’une répression féroce. «Le manque de soutien d’Ennahda a été très douloureux» , marmonne Jamel Baraket, un homme calme et bienveillant.

Les procès en danger de clôture touchent environ 200 victimes, et ont été instruits par l’Instance Vérité et Dignité (IVD), qui a achevé ses travaux le 31 mai 2019. L’institution a reçu plus de 60.000 dossiers remis par les victimes, et n’a transféré aux tribunaux que les affaires les plus graves. Le reste devant être satisfait d’une compensation économique. «Pour nous, l’argent n’est pas l’essentiel. Nous voulons la justice. Mon frère est électricien. Chaque soir, à la fin de son travail, il se saoule et se promène dans la ville en criant: « Ben Ali a tué mon frère! » Pensez-vous que son problème se résout par l’argent?», dit Jamel.

Dès que le procès de Baraket fut reporté, la première session d’une autre, initiée par l’IVD, a été ouverte. Elle a rassemblé 40 militants islamistes arrêtés et torturés au début des années 90 dans le même commissariat de Nabeul, l’un des plus redoutés du pays. Jamel Baraket fait partie des victimes de ce processus. Bien qu’il ne soit pas un militant, il a été arrêté et torturé pour forcer son frère Faisal à se rendre. Le premier témoignage est celui de Lotfi Jalalía, un vieil homme d’aspect fragile, qui déclare avoir subi des tortures paralysantes: ils l’ont suspendu au plafond, ils l’ont violé avec une canne, et l’ont forcé à manger ses excréments …

Trois décennies plus tard, Jalalía appartient toujours à Ennahdha, comme la plupart de ses camarades, et conserve une attitude plus déférente à l’égard de la direction du Parti: «Sa position s’explique par la nécessité de parvenir à la réconciliation et de préserver les intérêts du pays. Je suis satisfait d’une demande de pardon, je n’ai pas besoin que mes bourreaux aillent en prison», dit-il.

Après la scission de Nidaa Tounes, le parti victorieux aux élections de 2014, Ennahdha est la première force du Parlement et un membre du gouvernement de coalition actuel, ce qui lui confère un droit de veto législatif. Cependant, il n’est pas du tout évident qu’il puisse conserver cette position privilégiée après les élections législatives et présidentielles de l’automne 2019. Le paysage politique est extrêmement confus, en raison de l’irruption spectaculaire du magnat Nabil Karoui dans les sondages, et de sa probable disqualification pour la course à la présidence, suite à l’approbation d’une nouvelle loi électorale. En attendant, les audiences judiciaires des victimes de la dictature seront reportées.

Traduit de l’espagnol par Amina Mkada)

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