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Présidentielle : Et si Youssef Chahed était «l’homme de la situation» ?

Entre l’effrontée, l’ingénu, le hâbleur, l’égocentrique, le psychorigide, l’écervelé…, Youssef Chahed est, parmi les candidats à la présidentielle du 15 septembre 2019, celui qui colle le plus avec son époque et qui offre l’image d’un homme jeune et moderne, volontaire, déterminé et méthodique.

Par Salah El-Gharbi *

Dans un pays à la dérive, épuisé par l’anarchie post-2011, menacé dans son intégrité, gisant sous la coupe d’une autorité arrogante, sectaire et incompétente, un homme sort de son silence, s’adresse à la nation et se propose de redonner espoir à une population tourmentée par le terrorisme et l’anarchie. Et la voix de cet homme, habile et charismatique, a su entraîner les foules et obtenir l’adhésion d’une bonne partie des élites de la nation.

Béji Caïd Essebsi, le bon grain devenu ivraie

En effet, entre 2012 et 2013, feu Béji Caïd Essebsi fut bel et bien, incontestablement, «l’homme de la situation» à qui tout réussissait. À l’époque, sur les pages de ce même journal, nous étions les premiers parmi ceux qui l’ont applaudi et encensé, persuadés que cet homme était le seul capable à nous sauver du marasme dans lequel on se débattait.

À la suite des élections de 2014, l’homme était le vrai maître du pays, ayant les pleins pouvoirs pour rétablir l’ordre et la confiance, renforcer l’autorité de l’Etat, mener les vraies réformes économiques et sociales que le pays attendait depuis des décennies et rompre avec le rafistolage de l’époque du «Déchu» (l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali, Ndlr).

Les frustrations étaient profondes et les attentes grandes. Hélas ! Aussitôt installé à Carthage, l’homme tant adulé par la masse, vers lequel tous les regards se dirigeaient, devient source d’interrogations. En effet, en quelques mois, tout bascule. On ne parle plus d’économie, de création d’emplois, de sécurité, on est réduits à nous interroger comment sauver le «parti du président» à qui incombait de mettre le pays sur les rails. En peu de temps, tout s’effrite, se décompose et le pouvoir se met à vaciller sous le regard du «vieux routier» de la politique.

Depuis, l’homme, resté foncièrement «destourien» dans sa conception hégémonique du pouvoir, obsédé par sa propre personne, affaibli par l’âge et fragilisé par un entourage de mauvais aloi, il est réduit à manœuvrer d’une manière machiavélique pour garder la main. À force de vouloir «régner», être «Bourguiba bis» (son rêve de toujours), il finit par perdre pied. Et le pays, au bord de la faillite, déstabilisé par la multiplication des attentats terroristes, accablé par l’agitation sociale, s’enlise dans une grave crise.

En bon «destourien», l’ex-président choisit la stratégie de l’évitement. Et tel un magicien, il sort de sa manche une carte, celle du «gouvernement d’union nationale», un truc bidon pour faire diversion, un subterfuge qui va lui permettre de dissimuler sa gestion calamiteuse des affaires de l’Etat, tout en sacrifiant dans des conditions peu dignes le chef du gouvernement Habib Essid.

Youssef Chahed, l’homme qui a dit non…

En proposant Youssef Chahed à la place de M. Essid, feu Béji Caid Essebsi croit avoir installé à la Kasbah un «obligé» qu’il saurait manipuler à sa guise, une marionnette capable de supporter les niaiseries de son fils et les manœuvres du personnel de son sérail.

Et le jeune novice, qui devait son ascension à l’ancien chef de l’Etat, aussi reconnaissant soit-il, finit par se rendre compte qu’on voulait faire de lui le dindon de la farce. Et l’«obligé», se rebelle et dit : «Non !» En refusant les agissements irresponsables de la «cour de Carthage», ulcéré, il décide de rompre le cordon ombilical.

Certes, le jeune homme aurait pu se contenter de jouer le figurant, jouir des avantages de la fonction et laisser faire. Mais, l’homme a du caractère, appartient à une autre génération, il prend le risque de s’exposer au courroux du «vieux sage», celui à qui on n’a jamais résisté, subir les imprécations du clan présidentiel, déterminé à l’anéantir, en l’affaiblissant. Mais c’était méconnaître la détermination et le flegme du jeune chef de gouvernement qui va tenir le cap malgré les houles, harcelé de toutes parts par les requins, assoiffés de sang.

Et la campagne de dénigrement menée par le «clan» va avoir des répercussions sur l’action de l’équipe gouvernementale, mettant à mal l’autorité même de l’Etat, et, par ricochet, aider à faire émerger le populisme le plus primaire.

Soudain, les adversaires politiques et les déçus de Caïd Essebsi, lesquels, par lâcheté, tétanisés par le charisme du président, trouvent en M. Chahed, le bouc-émissaire idéal, une bonne cible pour se défouler. Désormais, «l’incompétent» ne serait plus celui qui avait tous les pouvoirs entre les mains, mais le chef du gouvernement qui, nuit et jour, subit les manigances les plus mesquines et les plus odieuses calomnies, tout en étant la cible des tirs nourris de certains médias, inféodés à Carthage, parmi lesquels Nessma…

Ainsi, Youssef Chahed a le mérite non seulement d’être le seul, dans sa position, à tenir tête à l’ancien président, mais, il est aussi l’homme qui a dit «non» à l’hégémonie de l’UGTT dont la direction se targue d’être à la tête de «la plus grande force du pays». Contrairement à Essid, Chahed sait freiner les ardeurs de la centrale syndicale qui tend à s’instituer comme un «Etat dans l’Etat», rester insensible aux intimidations et aux manœuvres de déstabilisation lesquels n’ont jamais pu entamer sa résolution d’agir au profit de l’intérêt général.

D’ailleurs, il y a quelques jours, Chahed aurait pu se soumettre au diktat de la fédération générale de la poste, relevant de l’UGTT, gagner les faveurs des employés du secteur et s’épargner la réaction négative des citoyens, d’autant plus qu’on était la veille du début de la campagne électorale pour les présidentielles. Mais, l’homme a le sens de l’Etat et il a choisi plutôt de prendre le risque de faire des mécontents quitte à perdre des points dans les sondages.

Le mieux outillé pour incarner la fonction de chef de l’Etat

Aujourd’hui, parmi les candidats, Chahed est, sans conteste, celui qui connait le mieux les rouages de l’Etat, qui est le mieux outillé pour incarner la fonction à la tête de l’Etat. Alors que les autres étaient enfermés dans leur tour d’ivoire à commenter et dénigrer, fustiger et intriguer, il était, durant les trois dernières années, à l’ouvrage, les mains dans le cambouis, affrontant les difficultés, subissant les coups les plus sordides, en silence, avec un étonnant flegme.

Même s’il n’a pas le meilleur profil possible ou espéré (y aurait-il un seul), Chahed serait le moins mauvais de tous. Entre l’effrontée, l’ingénu, le hâbleur, l’égocentrique, le psychorigide, l’écervelé…, il est celui qui offre le plus l’image qui colle le plus avec son époque, celle d’un homme jeune et moderne, volontaire, déterminé et méthodique.

Certes, aujourd’hui, pour nous, il serait plus facile de suivre la meute grégaire, courir derrière les fumisteries du moment, se laisser abuser par les postures lisses, s’accrocher aux promesses et aux projets farfelus qui ne seront jamais réalisés. Mais l’heure est grave et notre pays, qui a suffisamment souffert durant presque une décennie, est aujourd’hui à la croisée des chemins. Un choix hasardeux ne saurait qu’exacerber les frustrations et nourrir les tensions. Il est clair que ni le «clivant» ni le «mollasson» ne sauraient apporter la réponse adéquate aux attentes à la population. Si le «mollasson» lui ne ferait que retarder la guérison, le «clivant», sectaire et excité, risque de compromettre la cohésion de la nation et engager le pays sur la voie de la haine et de la discorde.

* Universitaire et écrivain.

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