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Présidentielle anticipée en Tunisie : Brouille électorale et puérilité politique

Youssef Chahed/Nabil Karoui.

Et si la fulgurante ascension de Nabil Karoui dans les sondages d’opinion et la hausse de sa cote de popularité étaient la conséquence des échecs et des maladresses répétés du gouvernement actuel et de ceux qui l’on précédé ?

Par Adel Zouaoui

L’événement qui a fait les gros titres des médias nationaux et de quelques médias internationaux ces derniers temps est celui de l’arrestation de Nabil Karoui, candidat favori aux élections présidentielles de 2019 en Tunisie.
Ce philanthrope, puisque c’est ainsi qu’il veut se faire connaître, est loin d’être un enfant de chœur. Traîne-il des casseroles ? La justice n’a pas dit encore son mot. Accordons-lui alors le bénéfice du doute et attendant la fin de l’affaire.

Un candidat inattendu qui risque de rafler la mise

Cependant, il ne faut pas s’y méprendre : le propriétaire de Nessma TV n’est ni l’abbé Pierre, ni la sœur Teresa et encore moins Nelson Mandela, comme on veut nous le faire croire. Sa réputation de bienfaiteur, relayée par sa chaîne de télé Nessma et encensée par ses suppôts, vise avant tout un seul objectif, celui de lui faire remporter les élections présidentielles et son parti, Qalb Tounes, les législatives de 2019.

En fait, Nabil Karoui est loin d’être dans le registre de l’altruisme désintéressé, bien au contraire, il est plutôt dans celui du marketing politique. Pour lui, tout est pesé, sous-pesé et calculé. Cet homme politique, puisque c’en est un (auparavant co-fondateur de Nidaa Tounes) cible un électorat bien précis, celui des sans-sous, des sans-travail, des sans-logis, et des sans-espoirs.

Face au laxisme de l’Etat, aux promesses mirobolantes non tenues de la classe dirigeante et surtout face à un bilan économique et social on ne peut plus catastrophique, Nabil Karoui, en bon communicateur, perce et réussit à rallier à sa cause de larges pans de la société.

Une sorte de bandit au grand cœur

C’est à cette autre Tunisie mise sur le ban de la société qu’il s’adresse, surtout par le biais de son association de bienfaisance. Laquelle a vu le jour au lendemain de la mort accidentelle de son fils Khalil dont, d’ailleurs, elle porte le nom : Khalil Tounes.

Ce Robin des bois à la Tunisienne, une sorte de bandit au grand cœur, en se rendant dans des régions reculées, villages et hameaux, dont bon nombre de nos politiques ignorent même l’existence, a réussi à gagner la sympathie de milliers de pauvres hères, perdus dans le désert de leur existence en le offrant vivres, médicaments, meubles, appareils électroménagers, et autres ustensiles.

Au cours de ses pérégrinations, tout est soigneusement mis en scène et filmé pour être diffusé par sa chaîne en une heure de grande audience: sa manière de se montrer empathique, attentionné, souriant, loyal, ses étreintes et accolades à des va-nu-pieds que personne ne cherche à rencontrer ou à écouter. Un style qui tranche avec le flegme froid et l’arrogance de ces technocrates aux propos pleins de jactance, aujourd’hui aux commandes de l’appareil de l’Etat. Un style qui lui a valu d’être porté aux nues et de caracoler dans presque tous les sondages d’opinion. À juste titre ou injustement ? On verra…

D’où les grandes craintes et peurs que Nabil Karoui, croupissant dans sa cellule à la prison de Mornag, suscite auprès l’establishment politique, à partir du moment où il est capable de rabattre les cartes et de déjouer tous les calculs.

Un gouvernement débordé de toutes parts

Que fait alors l’alliance gouvernementale face à un candidat à même de rafler haut la main la mise électorale? Elle tire à hue et à dia, dans une atmosphère de panique générale, multipliant ainsi les bourdes et les erreurs puériles.

La première des grosses bourdes c’était la tentative d’amender la loi électorale qui fort heureusement n’a pas été validée par le défunt président Béji Caïd Essebsi pour avoir douté de sa constitutionnalité. Un tel projet, dévoyé pour son aspect rétrospectif, annulerait, s’il a été passé, les résultats de ceux qui profiteraient d’actes illicites ou d’une quelconque publicité politique au cours de l’année qui a précédé les élections législatives et présidentielles.

La deuxième grosse bourde, on ne peu plus grave, est celle de l’arrestation de Nabil Karoui. Une arrestation spectaculaire aux allures d’enlèvement, comme présenté par sa chaîne télé, et non dépourvue de vices de formes procédurales.

C’est deux gros impairs, outre le fait qu’ils ont remué les cendres les plus ardentes, viennent, contre toute attente, apporter plus de crédit à ce magnat des médias en même temps qu’écorner un peu plus l’image du gouvernement et susciter au sein de l’opinion public de multiples interrogations.

Pourquoi avoir arrêté Nabil Karoui à quelques jets de pierre de la date du démarrage de la campagne électorale, alors que la plainte contre lui a été déposée en septembre 2016 par l’Ong IWatch? La justice a son rythme, son timing et sa logique, qui ignorent les contingences politiques, dit-on du côté du gouvernement, en soulignant l’indépendance de la justice dans la Tunisie d’aujourd’hui.

Aurait-il été plus judicieux de l‘avoir arrêté et de l’avoir jugé à temps. Ainsi, tout ce hourvari politique et tout ce branle-bas électoral inutile et de bas étage auraient été évités. Idem pour le cas d’autres candidats au passé sulfureux, tel Slim Riahi, en fuite à l’étranger depuis plus de huit mois et candidat lui aussi, à distance, à la présidentielle et aux législatives.

La politique des deux poids deux mesures

Aussi, pourquoi Nabil Karoui et pas les autres, sachant que la même Ong a également porté plainte contre le chef du gouvernement actuel et un de ses ex-ministre?

Pourquoi d’autres affaires ont été, volontairement ou involontairement, mises sous boisseau, telles celles de l’argent illicite d’Ennahdha dans le financement de ses campagnes électorales, révélée par la Cour des comptes, celle de l’organisation secrète d’Ennahdha, de la Banque tuniso-française ou de l’ancien ministre de l’Intérieur Najem Gharssalli, de l’ancien ministre des Affaires étrangères Rafik Abdessalem Bouchlaka et d’autres plus ou moins graves.

Tous ces manquements sur fonds de crise économique conjugués à une série de maladresses tel le limogeage de certains ministres, en l’occurrence celui de l’Intérieur, Lotfi Brahem, de l’Energie, Khaled Kaddour, de l’Education nationale, Néji Jalloul, des finances, Lamia Zribi, , et autres sans qu’aucune explication plausible ne soit donnée laisse plus d’un groggy.

Ces sanctions à géométrie variable ont éveillé des soupçons auprès de l’opinion publique d’une politique de deux poids et deux mesures.

Il n’en faut pas plus d’ ailleurs pour rappeler que la fulgurante ascension de Nabil Karoui dans les sondages d’opinion et la hausse de sa cote de popularité n’a d’égal que les échecs et les maladresses répétés du gouvernement actuel et ceux qui l’on précédé.

S’ajoute à cela, la transgression des règles du jeu démocratique sciemment planifiée pour servir des intérêts partisans et étriqués. Laquelle transgression a ouvert la voie à quiconque pour franchir le Rubicon et tenter sa chance d’accéder à la magistrature suprême. Sinon comment expliquer les hésitations dans la mise en place d’une Cour constitutionnelle, garant fondamental de l’Etat de droit.

In fine, pour assurer plus de transparence, il est plus que nécessaire d’achever la construction de l’édifice démocratique et fixer d’une manière claire et définitive les règles du jeu électoral et politique.

Car aujourd’hui, il est grand temps d’arrêter ce jeu de loi ou les avancées sont toujours suivies de retour en arrière.

* Sous-directeur chargé de l’organisation des manifestations à la Cité des Sciences à Tunis.

** Les intertitres sont de la rédaction.

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