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Tunisie-Présidentielle 2019: Une démocratie à la petite semaine et un pays ingouvernable

L’Isie annonce les résultats préliminaires du 1er tour.

La démocratie est culture et tradition. La nôtre a encore beaucoup à apprendre. Sa première application quinquennale a révélé nombre de lacunes et semé le doute quant au degré de gouvernabilité de notre pays. Ces faiblesses trouvent confirmation dans les résultats du premier tour de la présidentielle anticipée du 15 septembre 2019.

Par Marwan Chahla

Notre réflexion est une analyse instantanée de certains des chiffres et pourcentages que l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) a rendus publics avant-hier, mardi 17 septembre 2019. Nos déductions ne sont pas des certitudes définitives: elles sont provisoires et mériteront, sans doute, d’être revues et corrigées.

L’abstention, un cran au-dessus, signe d’un désenchantement national

Nous mettons l’accent sur le taux de participation au scrutin du 15 septembre afin de tenter de déterminer l’intérêt que portent les Tunisiens à l’exercice du droit démocratique du vote. Nous concentrerons également notre analyse sur les résultats des deux premiers compétiteurs, Kaïs Saïed et Nabil Karoui, qui ont eu droit de passer au second tour.

Pour la quatrième fois, donc, depuis l’entrée en vigueur de la Constitution du 27 janvier 2014, quatre élections libres et transparentes (deux présidentielles, une législative et une municipale) ont été tenues en Tunisie et, à chaque occasion, «la bête abstentionniste» est montée d’un cran.

Lors de la présidentielle du 23 novembre 2014, sur le total des 5,3 millions d’électeurs inscrits, 3,34 millions bulletins de vote ont été glissés dans les urnes. Cela avait donné un taux de participation de 63%: à cette occasion, près de 2 citoyens tunisiens inscrits sur les registres électoraux sur 3 avaient pris la peine d’exprimer leurs choix. Il s’agissait, à n’en pas douter, d’un taux de participation respectable.

Ce bon début de l’apprentissage démocratique était certainement dû au fait que les thèmes électoraux –notamment celui du pour ou contre l’islamisation de la société tunisienne– ont été très mobilisateurs. Le jour du premier tour du scrutin présidentiel de 2014, il s’agissait de confirmer ou d’infirmer l’ascension de Nidaa Tounes. Il s’agissait aussi, pour les électeurs tunisiens, d’accorder ou non un mandat de cinq années à Moncef Marzouki, candidat «homme-de-paille» du parti islamiste Ennahdha…

C’est ainsi que le second tour du 21 décembre 2014 avait opposé feu Béji Caïd Essebsi (BCE) au président provisoire sortant Marzouki et que la partie s’était jouée sur le terrain de cette confrontation modernisme-progressisme vs islamisme-intégrisme… Le choix qui était soumis à l’électeur avait le mérite de la netteté…

Au premier tour de la présidentielle de 2014, BCE avait récolté près de 1,3 million des voix exprimées –soit plus de 39%– contre 1,09 million –33%– pour Moncef Marzouki. À eux deux, ces compétiteurs avaient totalisé plus de 72% des suffrages exprimés et n’avaient laissé aux autres 25 candidats que 28% des voix.

Qu’en est-il pour les résultats du premier tour du 15 septembre 2019 ?

En comparaison avec le premier tour de la présidentielle de 2014, la participation au scrutin de dimanche dernier a accusé une chute sérieuse: en effet, seulement 49% des électeurs inscrits ont voté –soit moins d’un citoyen éligible sur deux–, alors que l’on en était à près de 2 Tunisiens en âge de voter sur 3, en 2014 !

La réussite de la campagne de l’Isie pour sensibiliser les électeurs à l’inscription sur les registres électoraux –les 3 millions de nouveaux électeurs ! – ne semble pas avoir changé grand-chose au niveau de la participation: un peu moins de 3,5 millions des inscrits ont voté –contre plus de 3,3 millions au premier tour de 2014.

Coup de balai total et avalanche «dégagiste»

On a tout dit, ou presque, sur les raisons de la montée de l’abstention: sur le rejet d’un système qui a totalement échoué, sur «une démocratie qui ne nourrit pas son homme», sur la classe politique et l’élite qui n’ont rien compris aux attentes du peuple, sur la corruption, etc. La liste est longue, bien trop longue.

C’est ainsi que ceux qui ont pris la peine, dimanche 15 décembre, de glisser leurs bulletins de vote dans l’urne ont décidé de faire table rase, de dégager tout le système qui s’est construit depuis cinq ans. C’est d’un véritable coup de balai qu’il s’agit: les électeurs ont dit non à plus de la moitié des candidats (un ancien chef de l’Etat, un président de l’Assemblée des représentants du peuple, trois premiers ministres et de nombreux ministres) parce qu’ils ont occupé des fonctions de décisions dans le système.

Cette Tunisie insoumise a donc décidé de donner la chance de concourir pour le second tour deux candidats «originaux» qui se considèrent comme étant des représentants de l’«anti-système» : un Kaïs Saïed, toujours politiquement non-identifiable, et un Nabil Karoui, accusé d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent qui a mené sa campagne électorale de la prison de Mornaguia.

C’est tout, pour l’instant, ce que l’on peut retenir sur ces deux hommes. Le premier a obtenu 18,4% des suffrages exprimés et le second 15,58%. En pourcentages, Kaïs Saïed et Nabil Karoui ensemble ont obtenu moins de 34% –soit moins d’un point de plus que Moncef Marzouki et plus de 5% de moins que BCE, au 1e tour de la présidentielle de 2014.

À eux deux, les gagnants du 1er tour de la présidentielle 2019 totalisent un peu plus de 1,15 million des voix exprimés, alors que, il y a cinq ans, BCE avait récolté à lui seul près de 1,29 million de voix et Moncef Marzouki 1,09 million…

Bien sûr, nous répondra-t-on, comparaison n’est pas raison, le contexte de 2019 est différent… et la donne a changé.

Pour notre part, nous préférons en rester là, c’est-à-dire à cette issue peu convaincante du premier tour de cette présidentielle anticipée de 2019. Pour ménager certaines susceptibilités, nous dirons que les électeurs tunisiens auront à choisir entre l’incertitude et l’inconnu.

Entretemps, l’avalanche «dégagiste» aura fait des siennes aux législatives, chamboulé le paysage politique tunisien et rendu le pays totalement ingouvernable.

Nous avons voulu la démocratie, nous l’avons souhaitée de tous nos vœux. Maintenant, nous l’avons… Mais dans quelles conditions !

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