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Le poème du dimanche : ‘‘Trois arbres’’, ‘‘L’étrangère’’ et ‘‘Pluie lente’’ de Gabriela Mistral

Gabriela Mistral voit le jour le 7 avril 1889 à Vicuña, petit bourg rural et montagneux sur le Rio Elqui, aux confins de la Cordillère des Andes et de l’Argentine. Morte le 10 janvier 1957, à New York, cette éducatrice, diplomate, féministe et poétesse est considérée comme l’un des quatre grands de la poésie chilienne (avec Pablo Neruda, Pablo de Rokha et Vicente Huidobro).

Abandonnée par son père à l’âge de trois ans, Gabriela est élevée par sa mère institutrice dans le hameau de Monte Grande. Elle y mène, à l’affût des valeurs spirituelles, une enfance de privations, humble et rude, qui décidera de sa vocation poétique et de son engagement humain.

Nommée institutrice à 17 ans, elle n’aura de cesse de dénoncer l’exploitation des enfants et «la douloureuse condition de la femme en Amérique latine, aliénée par la tradition et les structures sociales».

Rien, dans sa condition, ne prédestinait cette petite provinciale du fin fond du Chili à devenir, en 1945, le premier prix Nobel de littérature décerné à un écrivain latino-américain .

Trois arbres

Trois arbres tombés sont restés au bord du sentier.
Oubliés du bûcheron, ils s’entretiennent,
fraternellement serrés, comme trois aveugles.

Le soleil couchant verse
son sang vif dans les troncs éclatés,
les vents emportent le parfum de leur flanc ouvert.

L’un, tout tordu, tend un bras immense,
frissonnant de feuillage, vers l’autre
et ses blessures sont pareilles à des yeux pleins de prière.

Le bûcheron les a oubliés.
La nuit viendra. Je resterai avec eux.

Je recueillerai dans mon cœur
leurs douces résines, elles me tiendront lieu de feu.
Muets, pressés les uns contre les autres,
que le jour nous trouve monceau de deuil.

L’Étrangère

À Francis de Miomandre.

Elle parle avec un arrière-goût de ses mers sauvages
avec on ne sait quelles algues, avec on ne sait quels sables ;
Elle prie un Dieu sans forme ni poids,
Elle est vieille comme si elle allait mourir.
Dans notre jardin, qu’elle nous rendit étranger,
elle a planté des cactus et des herbes dentelées.
Elle exhale le souffle du désert,
ses cheveux sont blanchis par des passions
qu’elle ne raconte jamais et, si elle nous les contait,
ce serait comme la carte d’une autre étoile.
Elle vivra parmi nous quatre-vingts ans
et elle sera toujours comme l’heure de sa venue,
parlant une langue qui halète et gémit
et que seules comprennent les bestioles.
Elle va mourir au milieu de nous
une nuit qu’elle souffrira davantage,
avec son destin pour unique oreiller,
d’une mort muette, étrangère.

Pluie lente

Cette eau craintive et triste
comme un enfant qui souffre,
avant de toucher la terre
défaille.

Calme est l’arbre, calme est le vent,
et dans le silence splendide
ces fines larmes amères
tombent !

Le ciel est comme un immense
cœur qui s’ouvre, amer.
Pas de pluie : juste un saignement lent
et long.

Dans leur quiétude, les hommes
ne sentent pas cette amertume,
cette eau triste venue
d’en haut.

Cette longue et lassante
descente d’eaux vaincues,
vers la Terre gisante
et transie !

Il pleut et comme un chacal tragique,
la nuit se cache dans les montagnes.
Que va-t-il surgir, dans l’ombre,
de la Terre ?

Dormirez-vous, tandis que dehors
tombe et souffre, cette eau inerte,
cette eau létale,
sœur de la Mort ?

Poèmes traduit de l’espagnol par Claude Couffon.

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