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Au départ de l’Aéroport de Tunis-Carthage, Ridha Behi apprend qu’il est condamné à 5 ans de prison

Le cinéaste tunisien Ridha Behi a appris à son départ de l’aéroport de Tunis-Carthage, qu’il est condamné à une peine de 5 ans de prison. Il devait s’envoler pour Malmö, en Suède, pour participer au Festival du film arabe de cette ville du nord de l’Europe en tant que membre du jury.

Ridha Behi vient de publier aujourd’hui 7 octobre 2019 sur sa page Facebook, un post sous le titre « Malmö ou la prison de Gorjani » où il relate la mésaventure qu’il a vécue récemment, et que nous reproduisons ci-dessous.  

«J’arrive à l’aéroport de Carthage le jeudi à minuit, direction Malmö via Francfort et Copenhague où je suis attendu comme membre du jury au festival de Malmö…Je rencontre à l’aéroport de Carthage la critique Neila Massir Driss, l’acteur Med Ali Ben Jemaa et l’attachée de presse Karima Oueslati.

Je tends mes papiers au policier des frontières

– Le policier : Nous avons un problème Si Ridha, vous êtes recherché car vous êtes condamné à 5 ans de prison.

– Moi (amusé ou presque ) : certainement une erreur

– Le policier : l’ordinateur ne se trompe jamais…votre père s’appelle Hmida et votre maman Beya, n’est-ce pas ?

– Moi : oui

– Le policier : vous êtes né le 7 aout… à Kairouan et le numéro de votre carte d’identité est 0540…

– Moi : effectivement

– Le policier : suivez- moi

Pas encore inquiet, je descends des escaliers derrière le policier laissant les salles lumineuses et bruyantes vers des lieux de plus en plus sombres, lourds et accablants…je traverse des couloirs silencieux éclairés par les tubes néon . Les bureaux sont vides avec des ordinateurs éteints..

Un sentiment étrange m’envahit : Il suffit d’un seul étage plus bas pour que le monde bascule.

Dans le bureau de l’agent principal, je réalise que l’affaire est sérieuse.

– L’agent principal : tu dois téléphoner à quelqu’un ou à ton avocat parce qu’on va t’envoyer aux locaux de Gorjani et demain matin tu iras au tribunal pour régler ta situation et faire un appel du jugement…
Je suis en plein cauchemar. Après quelques tentatives au téléphone, je réussis à avoir deux amis Imad B et Ali B qui s’est déplacé…

Il récupère mes affaires y compris mon portable et me promet de faire le nécessaire dès le matin.

On m’installe dans une petite salle où les fauteuils sont éventrés et aux murs sales. Je n’arrive pas à me concentrer. Beaucoup de questions se mêlent dans ma tète : Je suis condamné pourquoi ? Qui est derrière cette affaire ? Pourquoi je ne suis pas informé ?

Je n’ai même pas de portable pour parler à quelqu’un… Je pense à mon fils Badis qui doit m’attendre à Malmö.

Vers 5 heures du matin l’agent principal me tend un bout de pain avec un fromage. Je ne peux rien avaler et il me confie à un autre agent qui va me conduire aux locaux de Gorjani.

– L’agent principal : vu ton nom et ta carrière, on ne va pas te mettre les menottes et tu vas monter devant et non dans le fourgon réservé aux prisonniers ordinaires.

Je sens une douleur aigue dans la poitrine et j’essaie de cacher mes larmes

Un vieux qui pleure c’est dur et ce n’est jamais beau.

Arrivé aux locaux de Gorjani, horrible bâtisse.

– Le gardien (en me fouillant) : vous n’avez rien sur vous ?

– Moi : j’ai tout laissé à l’aéroport.

Il m’a bien fouillé et a enlevé les lacets de mes chaussures, ma ceinture et même mes lunettes de vue.

Il me conduit vers une chambre, une pièce avec 2 rangées de lits( une dizaine). Ça sent l’urine.

– Moi : je peux rester sur une chaise dans ce couloir ?

– Le gardien : tu vas partir au tribunal dans 3 ou 4 heures. c’est long…
Prends la chaise mais il faut rester dans la chambre…

J’ai mal partout…au dos et à mes yeux surtout. L’odeur de la pisse est incommode . les cafards sont partout.

Le matin, des centaines de détenus remplissent les couloirs et la cour . Ce qui est frappant c’est la jeunesse de ces prisonniers.

J’arrive au tribunal de Bab Benat à 9 heures où je passe sept heures assis dans une pièce au sous-sol… une pièce qui se veut pour les VIP mais sale et lugubre. Je remarque que les gardiens et policiers ont fini par avoir les mêmes têtes que les détenus qui passent dans le couloir par dizaines. Un libyen accablé et deux autres prisonniers attendent d’être présentés devant le juge. Ils fument comme une cheminée.

A 16 h 15, je quitte le sous-sol et je parviens au tribunal un étage plus haut où l’air est plus respirable et les tètes plus humaines…je traverse des couloirs qui n’en finissent pas. Une dame souriante vient vers moi.

– La dame : je suis votre avocate. Je suis une amie de Hamed. N et Imed B.

– Moi : Pourquoi je suis condamné ?

– La dame : c’est une affaire de chèque d’un montant de 13.000 dinars réglé en 2017. Votre banque par négligence n’a pas informé le tribunal

Heureusement votre ami Maher S a attesté ce matin que vous l’aviez réglé à temps et qu’il n’a jamais porté plainte contre vous

– Moi : Si j’ai bien compris, je suis dans ce pétrin à cause d’une négligence bancaire ?

– La dame : Je confirme malheureusement.

Quelques minutes plus tard, je suis reçu par une juge… une jeune femme belle mais autoritaire. Après quelques questions d’usage, elle m’informe que je suis libre mais que je dois me présenter le 5 novembre pour payer 20% ( frais de justice).

A l’extérieur du tribunal, je retrouve mes amis Imed B., Ali B., Hamed N. et Taoufik G. Leur présence me réchauffe le cœur. Ils ont fait l’impossible avec Lassaad F. pour me sortir de l’univers oppressant et kafkaïen de la «justice» tunisienne.

Une fois seul à la maison, je fais couler un bain très chaud et glisse douloureusement dans l’eau presque bouillante avant d’éclater en sanglots.

Je pleure à chaudes larmes comme je n’ai jamais pleuré… ma famille et mes enfants me manquent terriblement.

Ce n’est pas un mauvais rêve… ce n’est pas un projet de scénario… c’est ce que je viens de vivre il y a 3 jours.

Ridha Behi

7 octobre 2019».



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