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Abbou à ‘‘La Presse’’: «On ne peut sortir la Tunisie de la crise avec des dirigeants corrompus»

Ph. La Presse.

Toujours fidèle à ses convictions et à son franc-parler, Mohamed Abbou, leader du Courant démocrate (Attayar) a évoqué, dans un long entretien, aujourd’hui, au journal ‘‘La Presse’’, conduit par Hella Lahbib, l’urgence des réformes, Ennahdha, Kaïs Saïed, Habib Jemli, sa conception de la politique ainsi que d’autres sujets (et sans langue de bois). Extraits…

Sans un Etat de droit, aucun développement économique n’est possible : «Si on ne commence pas à introduire les réformes, dès maintenant, le pays s’effondrera et le peuple risque de se soulever, c’est ma lecture… Sans l’instauration d’un Etat de droit, aucun développement économique n’est possible. Les gouvernants seront éjectés par les urnes, ou ce que nous ne souhaitons pas, de manière violente. Nous n’avons pas l’intention, nous Attayar, de payer la facture des erreurs d’Ennahdha. C’est ce que nous n’avons pas arrêté de leur dire. Je le répète aujourd’hui aux Tunisiens.»

Les pratiques de Ben Ali ont été perpétuées par Ennahdha: «Je souhaite alerter les Tunisiens de ne pas être dupes. Ennahdha a fait circuler comme rumeurs que pour servir nos intérêts à long terme, on refuse de partager le pouvoir avec eux. Ce n’est pas vrai. Nous autres briguons le pouvoir, mais pour une raison précise, changer le pays. Nous n’acceptons pas d’être un élément du décor. On nous jette un ministère pendant qu’eux mettent la main sur tout le reste pour faire ce qu’ils veulent. Non ! On partage le pouvoir comme on partagera les conséquences de notre gouvernance. J’ai une expérience avec le parti Ennahdha, je sais parfaitement comment ils fonctionnent. S’ils sont à la tête d’un ministère, personne ne doit les critiquer, ni contester leurs décisions. Comme je l’ai dit, ils se sentent comme les maîtres incontestés, absolus. Ce n’est pas notre vision de l’exercice du pouvoir. Les responsables du parti Ennahdha disent qu’ils ont changé. Très bien! Nous allons tester ce changement. Ne plus interférer dans les affaires des ministères de l’Intérieur ni de la Justice. Aucun homme politique ne doit donner des instructions à un magistrat ou à un responsable de l’Intérieur, ni lui soutirer des informations, ni le faire chanter. Or, c’est ce qui se passe maintenant. C’est la réalité de la Tunisie après la révolution. Des familles ont été détruites. Des personnes ont été jetées injustement en prison, peut- être même certaines y sont mortes. Les pratiques de Ben Ali ont été perpétuées.»

Kais Saied a placé la barre des attentes très haut: «Je dois dire que dans un pays où les valeurs ont été piétinées, où une crise morale perdure depuis des années, quelqu’un connu pour sa droiture, respecté par les gens est élu président, c’est une bonne chose. Mais en politique, je ne peux cautionner personne. Ce qui m’intéresse, ce sont les espoirs portés par les Tunisiens, alors que nous savons tous que le champ de son intervention est réduit. A mon avis, et sans violer l’esprit de la Constitution, il faudra optimiser les prérogatives du président de la République. Moi si j’étais président, je penserais en premier lieu à la sécurité nationale. Il y a une marge dans laquelle il peut manœuvrer. Alors qu’en ce moment, Kaïs Saïed est en train de recevoir des jeunes chômeurs des régions. Que peut-il leur faire ? Même le gouvernement, dont une des prérogatives est de créer de l’emploi, est impuissant. Il faut d’abord assainir le climat dont nous avons parlé tout à l’heure, pour éliminer les obstacles qui se dressent face au développement. Il faut mettre en œuvre de grandes réformes. C’est la mission du gouvernement. Je veux dire au président de la République que pour une raison ou pour une autre, avec son élection, la barre des attentes a été placée très haut. Alors qu’il sait parfaitement qu’il n’aura aucun impact ni pouvoir pour changer la vie des Tunisiens. Qu’est-ce qu’il lui reste, améliorer le rendement de la fonction présidentielle en multipliant les voyages à l’étranger, en nommant des ambassadeurs compétents. Par ailleurs, si le gouvernement ne remplit pas sa mission comme il le faut, il doit partir. On ne peut pas conduire le pays à bon port avec des politiques affairistes et corrompus.»

Habib Jemli ne peut pas être à 100% indépendant d’Ennahdha: «J’ai appris à ne donner un blanc-seing à personne. Ce que je peux dire, en revanche, c’est que je connais personnellement M. Jemli. Nous avons travaillé ensemble sous la ‘‘Troïka’’. Très franchement, d’après mes informations, il n’a pas de liens avec Ennahdha. Maintenant je tiens à dire que la question dépasse l’adhésion à un parti ou pas. Je donne un exemple: une fois nous avons présenté une requête à Youssef Chahed, alors chef du gouvernement, selon laquelle des partis politiques, y compris Ennahdha, sont en train d’offrir des aides aux citoyens démunis. Or, l’article 18 du décret-loi portant organisation des partis politiques l’interdit. A ma connaissance, M. Chahed n’est pas encarté Ennahdha, pourtant notre ‘‘plainte’’ est restée sans effet. Est-ce que Youssef Chahed est nahdhaoui, encore une fois ? Non. Mais il n’a pas appliqué la loi. Nous sommes en train aujourd’hui d’en subir les conséquences. Ennahdha a commencé à distribuer ses aides, a suivi, à plus grande échelle, Qalb Tounès. Pour le moment, si M. Jemli a déclaré son indépendance, je le crois. Mais entre nous, logiquement, Ennahdha ne désignera jamais un chef de gouvernement indépendant à 100%. De toute façon, il sera mis à l’épreuve très prochainement avec la formation du gouvernement.»

Les gens ont ras-le-bol de ce système créé après la révolution: «Je tiens à faire parvenir un message; la politique et les valeurs doivent aller de pair. La politique n’est pas forcément immorale. Je ne suis pas prêt à gouverner avec des gens qui ont l’intention de détruire le pays. Et, au nom de la solidarité gouvernementale, je dois garder le silence. Et si je démissionne, ils m’insultent et racontent des mensonges. Exemple, les prérogatives que j’avais demandées, au temps où j’étais ministre de la Fonction publique, au chef du gouvernement, Hamadi Jebali et qu’il a refusé de m’accorder, Habib Essid en a octroyé de plus larges à Kamel Ayadi. Lors de la conférence de presse que j’avais convoquée, j’avais demandé que ma démission ne soit pas utilisée contre la ‘‘Troïka’’. Après des années, qu’est-ce qu’ils disent, que j’avais démissionné parce que je suis un lâche et que j’ai peur de combattre les lobbys et les corrompus. Comme s’ils étaient ou sont en train de les combattre. Je redis maintenant et je m’adresse à tous les Tunisiens, la situation du pays ne changera jamais, si la lutte contre les corrompus et la corruption ne se fait pas de manière sérieuse et radicale. Et si l’Intérieur et la Justice restent sous la coupe d’un parti dominant. Il faut le dire, les gens en ont ras-le-bol de ce système créé après la révolution. Moi si j’étais au ministère de l’Intérieur, j’interdirais aux responsables d’avoir des accointances avec les politiques. Seul le ministre discute avec les députés et les hommes politiques. La Justice est une ligne rouge également. Même les prétendus technocrates nommés pour neutraliser des ministères, eux aussi ont servi les intérêts des partis. C’est pourquoi on ne fait confiance à personne et on ne peut cautionner personne à la tête de ces deux ministères.»

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