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La Prégabaline, une «drogue» pas si légale que ça

Depuis un moment, on ne cesse de colporter dans les médias des histoires de saisie de médicaments stupéfiants et d’implication de cadres sécuritaires et douaniers, et de médecins et pharmaciens dans ce trafic. De quel médicament s’agit-il et pourquoi des gens si respectables se trouvent-t-ils impliqués dans ce type de trafic ?

Par Dr Alaeddine Sahnoun

Depuis des années, il y a sur le marché tunisien un médicament, le Prégabaline, qui a révolutionné la prise en charge de certaines douleurs qu’on dit neuropathique. Ces douleurs sont rebelles à toute autre thérapeutique. Et ce médicament qui, à l’origine, traitait l’épilepsie, s’est avéré aussi efficace pour soulager d’autres affections.

La molécule (la prégabaline) dont le premier nom commercial était le Lyrica, rend énormément de services aux patients souffrant de douleurs neuropathiques comme les diabétiques, les traumatisés du dos, les amputés des membres, le zona et même ceux qui souffrent de fibromyalgie.

Pris à forte dose par les toxicomanes, ce médicament peut s’avérer dangereux

Ce médicament n’est pas classé comme stupéfiant mais sa délivrance nécessitant une simple prescription médicale a été détournée par les toxicomanes de sa fonction essentielle.

À fortes doses, mélangée à l’alcool ou utilisée par voie nasale (sniffée comme la cocaïne), la prégabaline donne des hallucinations. Aussi, ce médicament salvateur pour les malades peut-il s’avérer très dangereux voire mortel pour les toxicomanes.

La prégabaline à forte dose peut en effet entraîner de graves troubles du rythme cardiaque (BAV). L’alcool peut augmenter ses effets indésirables, tels que des étourdissements ou de la somnolence, la dépression du système nerveux central et de la respiration ce qui peut entraîner une mort lente par suffocation.

La prise répétée et prolongée de fortes doses de prégabaline entraîne une dépendance avec un syndrome de sevrage très proche de celui qu’on observe avec les toxicomanes à la cocaïne associant agressivité et agitation, donc un jeune en manque de prégabaline peut être considéré comme un individu très dangereux.

Ce fléau, qui a commencé à sévir aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne depuis plus d’une décennie, a progressivement gagné la Tunisie à travers des Algériens venant en touristes et qui se fournissent dans nos pharmacies. Certains dealers en ont même fait un commerce entre les deux pays voisins.

Médecins, pharmaciens et agents de l’ordre complices du trafic

Pour alimenter ce trafic, ces dealers se tournent vers des médecins et des pharmaciens, complices ou se laissant instrumentaliser naïvement.

En effet, non inscrite dans la liste des médicaments stupéfiants, la prescription de cette molécule est banalisée chez certains collègues. Ils oublieraient presque les règles essentielles de n’importe quelle prescription médicale et là ils tombent sous le coup de la loi.

Ainsi, ils prescrivent ces médicaments à des doses ou durées non habituelles et délivrent des ordonnances à des jeunes qui ne sont atteints d’aucune maladie, ou pire encore, des patients qu’ils n’ont jamais vus.

Certains pharmaciens contribuent aussi à alimenter ce trafic. Ainsi, l’un d’eux a été arrêté il y a quelques jours avec un stock énorme de cette molécule (d’une valeur de 360.000 dinars tunisiens), ainsi que son complice, un cadre de la garde nationale, qui comptait le faire passer en Algérie.

Les laboratoires pharmaceutiques tunisiens ont aussi surfé sur cette vague. Ainsi, en seulement deux ans, une multiplication énorme du nombre de génériques pour cette même molécule a été constatée, alors que sa prescription est censée être très limitée et sa part de marché dérisoire. Entre-temps, elle a été rendue juteuse par le trafic transfrontalier.

Avant que ce fléau n’atteigne nos jeunes, il est impératif que le ministère de la Santé qui, en nombreuses reprises, a été alerté sur ce problème, arrête de délivrer des autorisations de mise sur le marché de nouveaux génériques. Les notes d’information et les rares contrôles dans les officines ne suffiront pas. Les conseils de l’ordre des médecins et des pharmaciens doivent se réunir en urgence pour rechercher des solutions limitant l’expansion de ces pratiques et réglementer l’accès à cette molécule en la reclassant parmi les stupéfiants.

À bon entendeur…

* Président du syndicat tunisien des médecins libéraux, section de Sousse.

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