Accueil » Le poème du dimanche: ‘‘Sur les champs de Koulikovo’’ d’Alexandre Blok

Le poème du dimanche: ‘‘Sur les champs de Koulikovo’’ d’Alexandre Blok

Alexandre Blok, né le 16 novembre 1880 à Saint-Pétersbourg et décédé dans la même ville 7 août 1921, est l’un des plus importants poètes russes du début du 20e siècle.

Ce poème, ‘‘Sur les champs de Koulikovo’’, raconte la célèbre bataille de Koulikovo entre les Mongols de la Horde d’or et les Russes conduits par le grand-prince de Moscou Dimitri 1er Ivanovitch qui eut lieu le 8 septembre 1380 dans la plaine de Koulikovo (le «Champ-des-Bécasses»), près du Don, et fut remportée par les Russes.

Alexandre Blok a raconté la Russie dans ses poèmes. Il est très connu pour son poème à ‘‘L’Inconnue’’ (Neznakomka), traduit dans plusieurs langues. Il ouvrit la porte à toute la modernité poétique russe. Le poète Maïakovski fut l’un des premiers à le reconnaître comme un moderne. Marina Tsvetaeva le considérait comme «un dieu de la poésie». Sa fille, Ariadna Efron, écrit : «Tsvetaeva plaçait l’œuvre de Blok seul à une hauteur si céleste (non pas que cette œuvre fût détachée de la vie, mais plutôt purifiée par elle, comme on se purifie par le feu) qu’elle n’osait, vu sa tendance à la culpabilisation, espérer atteindre pareille hauteur dans la création; c’est devant cette œuvre seulement qu’elle s’agenouillait.»

Son long poème ‘‘Douze’’ est très connu et fut traduit dans plusieurs langues, il raconte avec l’âme du poète la révolution bolchevique.

«Acte de rupture, ‘‘Douze’’ l’est avant tout avec l’épanchement lyrique de la poésie subjective. Il ne s’agit donc ni de collages ni de récits, mais d’une unité rythmique qui fait de la voix du poème le théâtre d’une multiplicité de voix, et inversement», écrira Olivier Kachler.

Seul chef-d’œuvre inspiré par la Révolution russe, qui fut pour lui suprême espoir et suprême désillusion. Angelo Maria Ripellino a décrit avec une impeccable précision le style génial et déroutant de ce poème : «L’écriture, violemment secouée de syncopes et de ruptures, de sautes métriques, d’âpres dissonances (sifflements, aboiements du vent, piétinement, balles qui crépitent), mêle dans une pâte lexicale insolite des slogans d’affiche politique et des formules de prière, des constructions d’odes solennelles et des injures des rues, les termes grossiers du slang prolétarien et des accents de romance.»

«Alexandre notre Soleil», comme l’écrit la grande poétesse russe Anna Akhmatova le jour de ses obsèques.

I

Le fleuve morne étale et roule sa paresse,
Il baigne ses rivages,
L’argile triste et roux de ses falaises et la détresse
Des meules dans la steppe.
Ô ma Russie, ma femme, dans la douleur qui sèche
M’apparaît notre long chemin.
Jadis la volonté Tartare d’une flèche
Nous l’a tracé en perçant notre sein.
Notre chemin va dans le désespoir des plaines,
Russie, dans ton désespoir
Mais de l’obscurité nocturne où va la haine
Je ne crains plus le noir.
Qu’il fasse nuit. Nous arrivons, scintille
La steppe de nos feux de camp
Dans la fumée, notre bannière brille
Face aux épées du Khan.
C’est l’éternel combat! La paix, dans la poussière
Et le sang n’est qu’un rêve falot.
La cavale sauvage, écrasant la bruyère
Passe au galop.

II

Nous nous sommes arrêtés dans cette plaine
Il n’est plus question de reculer.
Et des cygnes ont crié derrière le fleuve,
Les voilà qui se reprennent à crier.
Sur la route – une blanche pierre
Nous présage un malheureux destin
L’ennemi est là – notre bannière
Ne flottera plus dans le matin.
Et penchant sa tête vers la terre
Mon ami me dit « Prépare-toi
Comme moi fourbis ton cimeterre
Pour lutter dans notre Saint Combat ».
Je ne suis ni le premier, ni le dernier
Mon pays sera longtemps en peine.
Mon épouse portera le deuil
D’une mort prématurée, mais non pas vaine.

III

À nouveau sur le champ de Koulikovo
S’étend l’obscurité morose de la nuit.
Et comme d’un nuage menaçant
Elle a enveloppé le jour naissant.
Dans ce silence sans espoir et sans réveil,
Derrière la nuit, on n’entend pas, on ne voit pas,
Ni les échos tumultueux de la bataille,
Ni les éclairs des merveilleux combats.
Mais je reconnais très bien les signes
Des journées fatidiques et cruelles.
J’entends à nouveau les cris des cygnes
Au-dessus du camp des infidèles.
Et je ne peux plus dormir en paix
Lorsque tant d’orages nous menacent.
Mon armure pèse sur mon cœur.
Mon heure est venue. Il faut prier.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!