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Avec Fakhfakh en marche vers l’avenir radieux

Le programme d’Elyes Fakhfakh est un réservoir de lieux communs, de figures passe-partout, de vaines tentatives de concilier l’inconciliable. Les générations montantes, qui ont besoin de véritables alternatives, que leurs aînés sont incapables de façonner, n’ont qu’à sortir encore une fois du silence.

Par Yassine Essid

En allant solliciter la confiance du parlement, Elyes Fakhfakh aurait pu se passer de discours, un exercice devenu sans enjeu vital. Les voix pour ou contre sont connues à l’avance et on aurait pu faire l’économie d’une intervention réduite encore une fois à des vœux pieux, des promesses peu fiables et irréalistes.

Par-delà un parterre où siège une majorité de députés acquise à sa cause, il y a l’opinion publique. Depuis longtemps désabusée et galvaudée par tant de promesses non tenues, en mal de repères avec ces déclarations politiques solennelles, fatiguées et lassantes, elle a fini par ne croire plus en rien.

Elyes Fakhfakh et son nouveau gouvernement ont pris leurs fonctions sous de cruels auspices : une pandémie qui menace sans que l’on sache quelle sera l’étendue de son impact sur une économie déjà fragilisée par une persistante sécheresse.

Un hiatus entre situation inédite et schémas obsolètes

Si la dureté des temps s’accroît, le discours reste toujours aussi lisse, convenu, dédramatisant. L’opinion, bien plus avisée qu’on ne pense, a décroché parce qu’elle a conscience de ce hiatus entre situation inédite et schémas obsolètes. Les mots ont une efficacité, mais seulement quand ils sont portés par une pensée. Or la pensée politique est demeurée largement à l’écart des mondes savants et des débats interdisciplinaires, occupée à fabriquer des mythologies alors qu’il faut procéder en permanence à l’ajustement des idées aux situations. Faute d’un discours politique intelligent, capable de faire vraiment écho à ce que vivent les gens, sans verser pour autant dans la démagogie, nous allons droit vers des lendemains qui déchantent, bien plus gravement qu’aujourd’hui.

Entre les adversaires et la cohorte des thuriféraires du chef de gouvernement l’opinion semble devenue indifférente. Les discours politiques ne lui font plus ni chaud ni froid. Les polémiques en rafale démobilisent. Les mots du pouvoir et ceux de l’opposition ne paraissent plus mordre sur les réalités ni frapper les imaginations. Or depuis la Grèce antique, verbe et pouvoir ont partie liée. Qui persuade commande, que ce soit face aux troupes, aux tribunaux ou aux assemblées.

Ce n’est donc pas en pérorant longuement et inutilement que l’on changera le fonctionnement d’une société, Les meilleures lois du monde s’avèrent vaines lorsqu’elles sont contredites quotidiennement par les pratiques sociales et les mentalités bureaucratiques sclérosantes. Or, il s’agit impérativement de mettre en place d’autres mécanismes de régulation d’un pouvoir politique et économique à bout de souffle.

Au lieu de servir d’exemple d’une exploitation pragmatique dans un moment de crise politique et économique, ce rituel discursif, censé redonner de la vigueur aux institutions, étouffe au contraire toute invention rhétorique car animé sans éloquence par une verve abondante noyée dans des flots de bouillie.

Un candidat à la présidentielle bouffi d’arrogance

Elyes Fakhfakh, ce «président contrarié», n’est ni un orateur éloquent, ni un grand communicateur. Nous l’avions déjà constaté lors de sa campagne électorale pour la présidentielle, celle d’un candidat bouffi d’arrogance qui sur une liste d’une trentaine de prétendants, seul Youssef Chahed trouvait alors grâce à ses yeux parce que, dit-il, ils ont en commun le sens politique, la jeunesse et l’expérience. En somme tout ce qui fait défaut à Kaïs Saïed qu’il ne daignait même pas citer.

Pour apprécier correctement les récents propos de Elyes Fakhfakh, il faut les remettre dans leur contexte historique en allant revoir son interview du 24 août 2019 accordée à une radio périphérique durant laquelle il étala au grand jour aussi bien les détails de sa personnalité que l’ambition qui l’anime autour de ce qui était alors son programme présidentiel. Cela vaut le détour.

On retient d’abord que tout l’opposait aux candidatures «folkloriques», car être président c’est du sérieux, dit-il, ce n’est pas un jeu car il consacre un homme. Par ailleurs, et pour justifier son entrée en politique, on l’a entendu revendiquer fermement et fièrement son appartenance à son (ancien) parti, Ettakatol, dont il mettra en valeur le glorieux passé avec pour référent essentiel la lutte pour «l’égalité sociale». Il remonte à l’indépendance, cite ses leaders historiques, rappelle leur lutte pour le renforcement des principes de l’Etat social-démocrate : liberté, travail et égalité sociale. C’étaient les mots d’ordre qui résumaient son idéal qu’il n’a pourtant pas hésité à abandonner illico presto dès l’annonce de sa candidature de futur chef de gouvernement. Bravo au militant tourneur de veste !

En parlant de la présidentielle, il annonça également à quel point il est populaire, apprécié de tous, et confiant de bénéficier sans ambages, le moment venu, du soutien d’Ennahdha autant que de Tahya Tounes qui veulent surtout un candidat intègre, qui ne traîne pas de casseroles comme certains, et qui soit suffisamment rassembleur pour être le président de tous les Tunisiens. La vie ne lui a-t-elle pas fourni l’occasion d’embrasser sous tous les aspects toutes les aubaines d’une existence riche et complète? D’ailleurs, si dans cette compétition pour la présidence ses chances s’avèrent si favorables, c’est parce qu’il représente à lui seul rien de moins qu’un changement culturel majeur, une sorte de nouveau logiciel de pensée, une nouvelle façon de refaire le monde.

Des formules toutes faites qu’on n’en peut plus d’entendre

Enfin, il n’a pas manqué de rappeler à quel point il se sentait en phase avec toutes les franges de la population, à quel point il était conscient de leurs préoccupations pour lesquelles il avait conçu son projet de société. Un programme réduit à trois grands principes surgi dans la simpliste cervelle de ce fin stratège : vérité, intégrité, courage.

Nul besoin de savoir décoder l’art de la litote pour saisir dans ce cas tout le parallèle avec le programme commun de gouvernement signé à Dar Dhiafa, qui sera cette fois celui de «la clarté et de la restauration de la confiance».

Décidément tout l’art politique de Elyes Fakhfakh se résume à lancer des formules toutes faites qu’on n’en peut plus d’entendre, des slogans qui sonnent assez bien pour figurer en grand sur le prospectus électoral d’un candidat mal inspiré.

Pour un programme présidentiel, qui diffère de celui d’un gouvernement, trois principales dispositions furent alors mises en exergue:

investissement d’avenir : éducation et enseignement et passage au numérique;

sécurité : création d’une agence nationale de renseignement, sous la tutelle du chef de l’Etat, président du Conseil national de la sécurité;

pour les 500. 000 chômeurs, l’Etat financera un service national en vue de leur intégration plus tard dans différents secteurs de l’économie. De plus, ayant acquis le sens de l’appartenance à un pays et à une patrie, ils défendront avec acharnement l’intégrité du territoire et ne se seraient plus attirés par on ne sait quel radicalisme, ni aller grossir le contingent des clandestins en Europe;

– la création d’un centre international de résolution des crises et des conflits.

Il participera à la paix dans le monde et fera de la Tunisie un peu comme la Suisse de l’Afrique.

Avec tout ça et un mandat de cinq ans, la Tunisie changera du tout au tout. Au diable le réalisme !

Ce qui n’a pas été réalisé depuis dix ans devient subitement possible

N’ayant pas été élu président de la République mais seulement investi par le parlement chef de gouvernement avec 72 voix contre, le révolutionnaire, ami du peuple, allait devoir revoir ses ambitions à la baisse.

En toutes choses il faut avoir les moyens de sa politique. Une formule de bon sens qui n’a pas dû effleurer l’esprit de l’intrépide auteur du discours du 26 février 2020. On tombe là dans le domaine des extravagantes élucubrations dans la mesure où ce qui n’a pas été réalisé depuis dix ans était devenu subitement possible, envisageable, réalisable, mais nullement supportable. N’allons pas trop vite et séparons les propos aberrants des quelques bonnes découvertes utiles au genre humain :

– la restauration de la sécurité que le citoyen doit ressentir dans sa vie quotidienne;

– l’amélioration du pouvoir d’achat du citoyen et la maîtrise des prix;

– la relance de l’économie à travers des mesures urgentes au profit des petites, moyennes et grandes entreprises;

– la réduction du déficit commercial et la protection de l’économie nationale;

– l’application de la stratégie nationale de lutte contre la corruption;

– la mobilisation des ressources financières nécessaires pour le compte de l’année 2020;

– la mise en œuvre d’une solution globale et pilote en vue de mettre un terme définitif à la crise du bassin minier et du retour de la production de phosphate;

– la mise en œuvre d’un mécanisme à même de trouver une solution aux dossiers des travailleurs de chantier, des enseignants et des instituteurs suppléants.

Le mode de gestion technocratique n’est pas la panacée

Huit propositions qui vont changer le monde, qui vont emporter tout de suite l’adhésion populaire et le consensus général et que ne renieraient ni Nidaa Tounes de l’époque, ni Habib Essid, ni Youssef Chahed, encore moins les piliers de bistrots occupés à transformer le monde. Or là où le bât blesse c’est comment réaliser un programme qui fait fi des véritables enjeux socio-économiques, financiers, humains, y compris les facteurs exogènes comme le contexte politique et géopolitique et la mentalité de la population ? Car le développement d’un pays dépend beaucoup de la capacité d’initiative de ses propres citoyens et dans pareils cas le mode de gestion technocratique ne marche pas.

Avec quoi et dans quel contexte Elyes Fakhfakh compte-t-il redresser un pays à bout de souffle et instaurer un modèle capable de satisfaire les besoins fondamentaux de la population, comme la santé, l’éducation, l’alimentation, le logement, etc. ? La remise en marche du pays implique, certes, une restructuration de l’économie apte à satisfaire ces besoins en permanence : investissements dans la production créatrice d’emplois, modernisation des infrastructures et des installations, réforme et édification d’un tout autre système de formation et d’enseignement. Mais cela n’est réalisable qu’au prix d’efforts gigantesques et de gros sacrifices fournis par l’ensemble de la nation dans un climat de consensus politique, de solidarité nationale et d’enthousiasme populaire comme le ferait tout pays au lendemain d’une guerre ou d’une catastrophe naturelle. Mais ça, Elyes Fakhfakh, comme ses prédécesseurs, s’était bien gardé de mentionner.

Tout cela avait réduit son discours en un réservoir de lieux communs, de figures passe-partout, de vaines tentatives de concilier l’inconciliable. Bref, un discours épidictique, purement contemplatif.

Il est nécessaire pour les générations montantes d’avoir de véritables alternatives, et, si leurs aînés ne peuvent en façonner, c’est alors à eux de sortir encore une fois du silence.

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