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Egypte-Ethiopie : La guerre de l’eau aura-t-elle lieu ?

Abiy Ahmed / Abdelfattah Sissi / Barrage de la Renaissance.

Une guerre de l’eau est-elle en train de se nouer entre l’Egypte et l’Ethiopie autour des eaux du Nil? Ces ressources vitales pour l’agriculture égyptienne, le sont tout autant pour les Ethiopiens, qui tablent sur le gigantesque barrage de la Renaissance, en voie d’achèvement sur le plateau d’Abyssinie, pour assurer la couverture de leurs immenses besoins en électricité. Un conflit aux enjeux géostratégiques cruciaux pour l’Est de l’Afrique et l’ensemble du continent.

Par Hassen Zenati

La tension ne cesse de monter entre l’Egypte et l’Ethiopie autour de l’exploitation des eaux du Nil. La guerre de l’eau qui se profile, si elle a lieu, risque d’embraser la Corne de l’Afrique et de se propager comme un feu de brousse au reste de l’Afrique.

Au cœur du conflit qui traîne depuis une dizaine d’années: la construction par l’Ethiopie d’un gigantesque barrage, le barrage de la Renaissance, sur le plateau d’Abyssinie. Depuis ce dernier, prenant sa source dans le lac Tana, à 2 730 d’altitude, se déverse le Nil Bleu, qui parcourt en aval quelque 1 600 km avant de fusionner à Oumdourman, près de Khartoum (Soudan), avec le Nil Blanc, venu des Grands Lacs, pour former le plus grand fleuve d’Afrique (6 700 km). Le Nil finit alors sa course en Méditerranée après avoir déposé une partie de son précieux liquide dans le Lac Nasser, attenant au barrage d’Assouan, en plein désert, et traversé l’Egypte du Nord du Sud.

Pour l’Egypte, les eaux du Nil sont une question existentielle

Avec ses deux branches principales, plus celle de l’Atbara (Montagnes d’Abyssinie), le Nil arrose un bassin de plus de trois millions de kilomètres carrés, soit 10% du continent africain, et parcourt onze Etats : Burundi, Egypte, Ethiopie, Erythrée, Kenya, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Soudan, Sud-Soudan, Tanzanie. Son nom et son histoire restent cependant intimement liés à l’Egypte.

Pour le Caire, toute atteinte à la répartition des eaux du fleuve telle qu’héritée de l’occupation britannique, est un «casus belli». Les rois d’Egypte comme ses présidents successifs l’ont répété à satiété depuis les premiers accords sur le partage des eaux du fleuve avec la Grande Bretagne en 1929. Reprenant à leur compte l’aphorisme de l’historien grec Hérodote : «L’Egypte est un don du Nil», il s’agit pour eux, d’une question existentielle.

Après avoir utilisé pendant des millénaires le limon de ses crues annuelles pour fertiliser les terres arides qu’il traverse, les Egyptiens ont mis en place, à partir des eaux du Fleuve-Dieu, un système souvent ingénieux d’irrigation pérenne, permettant de réaliser plusieurs récoltes par an. Les terres irriguées le sont toutes grâce aux eaux du Nil, sans lequel l’Egypte ne serait plus qu’un vaste désert. Les cent millions d’habitants qu’elle compte sont concentrés dans leur grande majorité sur le mince ruban vert des berges du Nil. Ils en vivent par l’agriculture, le tourisme et l’industrie. Le Nil fournit en effet une grande partie de l’électricité domestique et industrielle du pays grâce au barrage d’Assouan.

L’Egypte face aux besoins des autres Etats du bassin fluvial

Après avoir exercé une domination sans partage sur les eaux du fleuve, l’Egypte s’est trouvée contrainte de tenir compte des besoins des autres Etats du bassin fluvial. Rattrapés par l’explosion de leur démographie et soucieux d’améliorer leur part des eaux pour couvrir leurs besoins domestiques, agricoles et industriels, ces derniers ont exigé de renégocier à la fois le partage des eaux et les conditions d’exploitation du fleuve, que les Egyptiens ont toujours considérés comme des acquis intangibles. Les Etats des Grands Lacs Victoria ont été les premiers à donner les premiers coups de canif aux conventions signées avec la Grande Bretagne. Ils ont été suivis sur une plus grande échelle par l’Ethiopie, qui, débarrassée de ses guerres civiles, s’emploie depuis quelques années à développer son industrie et son agriculture, après avoir connu en 2015 la pire sécheresse en cinquante ans en Afrique.

L’objet du «délit» est un énorme barrage, le barrage de la Renaissance, dont la construction a commencé en 2011 sur l’affluent du Nil Bleu dans les hautes terres du nord du pays, dont jaillissent 85% des eaux du Nil. Une fois achevé à la fin de l’année en cours, il mettra à la disposition du pays la plus grande centrale hydroélectrique d’Afrique. Le président américain Donald Trump aurait promis aux responsables éthiopiens, égyptiens et soudanais qu’il viendrait en personne couper le ruban inaugurant le barrage controversé, après avoir réglé les différends opposant les trois pays.

Les négociations traînent depuis dix ans

Sauf que les négociations continuent à traîner en longueur depuis près de dix ans et qu’aucune lueur n’est encore apparue au bout du tunnel. Addis-Abeba vient même de rappeler en consultation ses ambassadeurs dans plusieurs capitales arabes, manifestant ainsi son mécontentement après la ferme prise de position de la Ligue arabe en faveur de l’Egypte. Pour le président égyptien, le maréchal Abdelfattah Sissi, cependant, les jeux ne sont pas faits. Jouant la carte de l’apaisement après l’échec d’un énième round de négociation sous le patronage de Washington et de la Banque Mondiale, il a fait savoir que l’administration américaine allait poursuivre ses efforts jusqu’à la signature par les trois pays concernés (Egypte, Ethiopie, Soudan) d’un accord définitif sur les conditions d’exploitation du barrage éthiopien. Pour sa part, Addis-Abeba semble de plus en plus méfiante sur la médiation américaine.

Outre les vives craintes égyptiennes de voir l’Ethiopie contrôler le débit du fleuve et exercer sur elle une pression diplomatique et politique insupportables, le litige ponctuel porte sur les conditions du démarrage du barrage, dès que sa construction sera achevée. Avec en point de mire deux paramètres essentiels : le temps et la vitesse de remplissage de l’édifice. Ils risquent, aux yeux des experts égyptiens, d’affecter le débit du fleuve en aval, en mettant en péril une partie des cultures égyptienne, et d’avoir un impact négatif sur le niveau du fleuve. L’Ethiopie, pressée par ses industriels et ses agriculteurs, compte terminer l’opération en six ans. L’Egypte demande sa prolongation de quatre ans pour qu’elle soit achevée dans dix ans.

Crise qui pourrait mettre en danger la stabilité régionale

Le barrage de la Renaissance est le projet phare du Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix. Il aura coûté quelque 4 milliards de dollars et devrait produire 6.000 mégawatts d’électricité pour couvrir la totalité des besoins domestiques d’une population, dont 65% n’est toujours pas raccordée au réseau. Ils permettront d’en finir par ailleurs avec les pannes récurrentes qui affectent la production industrielle. Le surplus de mégawatts doit être exporté vers les pays voisins, dont le Soudan, le Sud-Soudan, le Kenya, Djibouti et l’Erythrée, qui ont des déficits énormes d’énergie.

Crise sérieuse et grave qui pourrait conduire les deux pays à faire parler la poudre et mettre en danger la stabilité déjà fragile de tout un continent, ou poker menteur des deux côtés pour peser sur les négociations ?

Alors que des rumeurs circulent en Egypte sur la volonté d’en découdre de l’armée égyptienne, dont les chefs, dit-on, regrettent de ne pas avoir eu les mains libres pour agir dès 2011 lors de la pose de la première pierre du barrage, à Addis-Abeba, le Premier ministre répète qu’aucune force au monde ne parviendra à freiner ni à bloquer la construction du majestueux édifice. Le bras de fer est ainsi posé. Ira-t-il à son terme ? Les semaines à venir le diront.

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