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La médecine libérale tunisienne au temps de la pandémie


Le système de la santé en Tunisie est basé sur deux secteurs: le public et le privé. Ces deux secteurs, censés se compléter, se regardent aujourd’hui avec une méfiance réciproque. Les uns accusent les autres de vouloir profiter d’une situation grave que traversent des dizaines de nations. Qu’en est-il en réalité?

Par Dr Khemais Zaied *

Le ministère de la Santé (et non de la Santé publique, faut il le préciser !), après une petite période d’hésitation, a élaboré tout un programme de lutte contre le Covid-19. Des centres référents ont été mis en place dans chaque gouvernorat avec des circuits bien précis, des laboratoires d’analyses à l’échelle du pays, des centres d’appel, etc. Bref, la machine, après un certain rodage compréhensible, a commencé à tourner avec les moyens et les potentialités disponibles.

Le rôle et la place de la médecine libérale

Que s’est il passé dans les cabinets privés? Beaucoup ont fermé au début, par peur certes. Mais aussi et surtout par manque, ou plutôt par absence de tout équipement ou moyens de protection. Les médecins avaient peur d’être contaminés (c’est déjà arrivé à quelques confrères) ou de devenir des vecteurs du virus et participer eux aussi à la propagation virale.

L’exiguïté des cabinets (avec impossibilité de séparer les malades comme dans les hôpitaux en: covid – et covid +) et le confinement général (pour nos aides : secrétaires, infirmiers) ont fait qu’au début, certains cherchaient à y voir plus clair pour se décider et ont opté pour la fermeture provisoire.

De son côté, le Syndicat tunisien des médecins libéraux (SNML) a cherché par tous les moyens à entrer en contact avec les instances responsables pour comprendre le rôle et la place de la médecine libérale dans la stratégie de lutte nationale contre la pandémie du Covid 19. Les médecins privés voulaient naturellement s’impliquer, c’est leur métier c’est aussi leur devoir. Parce que bon gré mal gré, l’Etat ne peut pas tout assumer et assurer seul. C’est le cas non seulement de la Tunisie, mais aussi dans beaucoup d’autres pays ayant des moyens, un système de santé et une infrastructure de soins nettement plus développés.

Malheureusement, nous n’avons eu droit qu’à une seule réunion au ministère, avec des promesses qui sont restées encore à ce stade! Les médecins libéraux se sentant écartés sont allés chercher par leurs propres moyens, ou à travers leur syndicat et à leurs frais de quoi se protéger. Nous n’avons eu droit à aucun privilège, aucune subvention, à part les quelques aides venues de certains fabricants de médicaments qu’ils soient tous remerciés.

Une baisse vertigineuse du nombre des malades

Personne n’a demandé ou ne s’est demandé que font les médecins libéraux? Au contraire certains et heureusement peu nombreux, sont allés les accuser de matérialistes et de profiteurs… Accusations totalement erronées au vu de ce qui se passe sur le terrain ou dans certains hôpitaux du pays où les libéraux se sont spontanément, sans aucune assurance quelconque ou cadre légal approprié, portés volontaires pour aider leurs confrères du secteur public et soigner les malades du corona.

Une fois l’effet «surprise» passé, les équipements de protection (au prix fort) trouvés, beaucoup de confrères ont fini par reprendre leur activité. Les cabinets accueillent (chacun à son rythme) les patients. Mais tous constatent avec amertume une baisse vertigineuse du nombre des malades. Seuls les chroniques, ou quelques urgences osent nous consulter. Les malades fébriles, ceux qui toussent, ou souffrent d’un mal de gorge (ou de ventre) de myalgies ou tout autre symptôme lu ici ou là se rapprochant de la «maladie» ne se déplacent pas, par peur et surtout par crainte du rejet social et de la vindicte populaire. Parce que le covid c’est aussi malheureusement considéré par certains comme la peste. Les malades sont pointés du doigt, alors ils se résignent et préfèrent le silence.

Bien entendu, les médecins privés étant considérés aisés n’auraient pas droit au train de mesures d’aides de l’Etat. Cela aussi est un second paradoxe. Qu’il travaille ou non, le médecin n’a pas à se plaindre.

En finir avec cette rivalité pathologique entre le public et le privé

Pour conclure, le covid est certes une méchante maladie. C’est aussi, à mon avis, l’occasion pour nous de revoir notre système de santé, ses insuffisances, ses potentialités. D’en finir avec cette rivalité pathologique entre deux secteurs qui doivent vaille que vaille se compléter au lieu de se rejeter. Quoi qu’on en dise la médecine libérale ou publique tunisienne se porte bien, pour preuve ses prouesses ici et ailleurs, ainsi que l’estime dont nous jouissons partout dans le monde.

Demandez aujourd’hui ce que font les médecins tunisiens en Italie, en Allemagne ou en France vous comprendrez. Je suis certain qu’après cette rude épreuve les médecins tunisiens et surtout libéraux, sortiraient forts et unis, et ce malgré toutes les accusations et les coups qu’on veut bien leurs porter.

* Secrétaire général du Syndicat tunisien des médecins libéraux.

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