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Djerba, marginalisée et blessée, n’en peut plus

Dans les années soixante-dix du siècle passé, le Chancelier allemand de l’époque, Willy Brandt, ami de la Tunisie et amoureux de Djerba, avait fait don à l’hôpital régional de Houmt Souk d’un équipement médical de grande valeur. Les autorités centrales d’alors avaient jugé bon de s’approprier le don et de transférer le matériel en question à Monastir, prétextant qu’il sera plus utile dans un hôpital universitaire. À se demander si la vie humaine n’avait pas, à leurs yeux, la même valeur partout dans notre patrie à tous. Ainsi donc, il y aurait des citoyens plus citoyens que d’autres.

Par Fathi Ben Hamidane *

Une autre réalité peu glorieuse pour l’île de Djerba et, par voie de conséquence, pour toute la région, la situation relative aux bacs desservant le Jorf et Djerba. Une véritable honte et une disgrâce pour la Tunisie du 21e siècle.

Les conditions n’ont guère changé depuis des décennies et des décennies : des usagers parqués comme du bétail et des files d’attente interminables…quelle que soit la saison. Rien ne protège les citoyens, hommes, femmes et enfants, du froid, de la chaleur ou de la pluie. De plus, le personnel chargé de la gestion et du bon fonctionnement des bacs fait la loi, la pluie et le beau temps. Les moyens, les conditions de travail et la vétusté du matériel ne peuvent, et ne doivent, en aucun cas, excuser ni justifier la mauvaise gestion et la piètre image que ces agissements donnent de l’Ile aux visiteurs, tunisiens et étrangers. Est-il concevable d’imaginer un seul instant que les moyens financiers et matériels puissent manquer pour promouvoir et valoriser une île – ou plutôt toute une région – qui a accueilli, et accueille, des millions de visiteurs depuis des années et des années?

Les Djerbiens considérés comme des pestiférés

Autre réalité que les Djerbiens ont de plus en plus de mal à admettre, sans intention aucune pour eux d’entrer dans une polémique stérile ou de tomber dans un régionalisme primaire et mesquin qu’ils croyaient mort et enterré depuis belle lurette : quelle logique et quel bon sens peuvent, en effet, expliquer la raison pour laquelle on s’enorgueillit à appeler l’aéroport international de Djerba «Aéroport Djerba-Zarzis» et on persiste en même temps à s’abstenir d’appeler le grand port commercial de Zarzis, qui, au demeurant, honore la Tunisie et fait sa fierté, «Port de Zarzis-Djerba»? Si l’on voulait appliquer la logique et la respecter, pourquoi l’aéroport de Monastir ne serait pas baptisé «Aéroport Monastir-Sousse»? Les deux villes ont une vocation touristique et seulement 20 kilomètres les séparent.

Enfin, ce qui vient de se passer dans le contexte de la triste actualité liée à la pandémie du coronavirus (Covid 19) a profondément chagriné les habitants de l’île et choqué tous les Djerbiens, en Tunisie et à l’étranger. Comme si la souffrance à elle seule ne suffisait pas, ne voilà-t-il pas que les Djerbiens sont considérés comme des pestiférés et accusés d’être à l’origine du «mal». À tel point que deux malades de Houmt Souk infectés par le virus se voient refuser l’accès à l’hôpital universitaire de Médenine.

Un tel agissement a une double étiquette : non-assistance à personne en danger et régionalisme. Le refus d’admettre un malade, quelle que soit son origine et quel que soit son lieu de résidence ou son statut social, constitue un manquement et un délit réprimés par la loi partout dans le monde. Tout aussi grave que la non-assistance à personne en danger est le régionalisme dont les Djerbiens ont été victimes dans un passé pas très lointain, lorsque des voisins, chers et proches, ont refusé qu’une station de traitement de déchets soit installée «chez eux» sur «leur territoire».

Les Djerbiens entendent désormais faire entendre leur voix

Toutes ces constatations et tous ces faits indignent les habitants de l’île au plus haut degré. Longtemps «dociles» et citoyens loyaux et travailleurs, ils entendent désormais s’exprimer, faire entendre leur voix, leurs aspirations et leurs revendications et exiger davantage d’équité, d’égard et de justice.

Car Djerba contribue depuis très longtemps à l’économie du pays et à l’essor du sud-est tunisien. Et que reçoit-elle en échange? Elle essuie l’affront et l’humiliation de se voir refuser l’autorisation de traiter les déchets sur le territoire du Gouvernorat dont elle fait partie et, qui plus est, se voit refuser l’accès à un malade dans un état critique au CHU de la wilaya ou gouvernorat dont elle fait partie. L’ambulancier transportant le malade a été accueilli de façon ignominieuse aux cris de «Corona dégage». Il a été obligé, après cinq heures d’attente, de rebrousser chemin face à une foule hostile. Les Djerbiens ont vécu ce rejet incompréhensible comme une atteinte à leur dignité de la part de concitoyens pour lesquels ils n’ont que respect, amitié et fraternité.

Dans ces conditions, les insulaires ont de la peine à saisir la raison qui se cache derrière cet acharnement à ne pas accorder à leur île le statut de wilaya. Comme arguments, et pour parler chiffres, ils signalent que le chef lieu du gouvernorat compte près de 80.000 habitants tandis que Djerba en compte 163.000.

Par ailleurs, ceux qui avancent les critères du nombre d’habitants et de la superficie pour l’octroi d’un statut administratif quelconque notent qu’il existe dans le monde des entités plus petites qui jouissent d’un statut respectueux des aspirations et des intérêts légitimes de leur peuple.

D’aucuns citent, à titre d’exemple, Malte. Malte est un Etat qui compte une population de 450.000 habitants et a une superficie de 316 km2, inférieure à la superficie de Djerba (514 km2).

Faire partie d’une wilaya implique une relation mutuellement profitable. D’où la nécessité de se poser la question de savoir en quoi le rattachement administratif à Médenine présente un quelconque intérêt pour Djerba. C’est une relation à sens unique à tout point de vue : débouchés pour la main d’œuvre, source financière et budgétaire considérable, contribution importante à la renommée de la région. À l’inverse, les désagréments occasionnés par cette relation à sens unique sont multiples : tracasseries administratives, formalités et démarches légales et autres rendues plus difficiles et plus ardues du fait de la distance et de la centralisation, etc…!

* Ancien fonctionnaire international et enseignant universitaire.

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