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Libye : la déroute de Khalifa Haftar redistribue les cartes

Puissamment soutenues par la Turquie, les troupes du Gouvernement d’entente nationale (GEN) libyen sont en train de marquer des points décisifs contre leurs adversaires du maréchal Haftar, en déroute devant Tripoli.

Par Hassen Zenati

Après une suite de succès sans lendemain, les troupes du maréchal Khalifa Haftar, partis il y a quatorze mois à l’assaut de Tripoli pour y imposer une «solution militaire» à la crise née de la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, et assurer leur pouvoir sur la totalité du territoire libyen, seraient en déroute depuis jeudi 4 juin 2020, après avoir perdu plusieurs des «bastions» qu’elles occupaient dans la région. Chassées de la capitale, qui a vu des milliers de Libyens envahir la place Al Chouhada en agitant des drapeaux nationaux pour célébrer leur évacuation, après avoir été confinés des semaines durant de crainte des affrontements de rue, elles seraient en train de céder Tarhouna à 90 km au sud-est. «Le sang des martyrs n’aura pas été versé en vain», «Haftar le lâche, les combattants libres sont désormais sur le terrain», scandaient les manifestants, parmi lesquels un nombre important de femmes, principales victime du chaos libyen.

Jeudi, les forces du GEN annonçaient avoir repris le contrôle total de la capitale et de sa banlieue, tandis que Tarhouna, assiégée depuis la veille, désertée par sa population civile, était en train d’être évacuée dans la précipitation par les troupes de Haftar. Porte-parole de cette opération de reconquête, baptisée «Volcan de la Colère» (Bourkane El Ghadab), Moustafa Mejii, a indiqué que «la plupart des milices de Haftar ont quitté la ville en direction du sud, après la prise de l’héliport attenant à la ville», par les troupes du GEN.

L’armée de Haftar perd la bataille du Grand Tripoli

«Nos forces ont le contrôle total des frontières administratives du Grand Tripoli», a indiqué le porte-parole des forces du GEN, Mohamad Gnounou, tandis que son vice-ministre de la Défense Salah Namrouch précisait : «Nos forces poursuivent leur avance en pourchassant les milices terroristes dans les murs de Tripoli. Certains de leurs commandants se sont enfuis en direction de l’aéroport de Bani Walid».

Situé à 170 kms au sud-est de Tripoli, cet aéroport a vu arriver, ces deux dernières semaines, selon des témoins, de nombreux combattants de Haftar fuyant le front de la capitale, ainsi que les villes côtières (Sorman et Sabratha) reprises par les forces du GEN, en même temps que la base aérienne d’Al-Watiya, à 140 km au sud-ouest de Tripoli, le 18 mai.
Des images diffusées sur les réseaux sociaux et sur les chaînes de télévision locales montrent une forte présence de miliciens du GEN dans des zones de la capitale — notamment Salah Eddine – occupées jusque-là par des troupes de Haftar. Mercredi, les forces du GEN avaient repris à l’issue de violents combats le contrôle de l’aéroport international de Tripoli, qui est hors-service depuis 2014.

Haftar aura-t-il encore une place sur la table des négociations ?

Les revers militaires subis par le maréchal Haftar, anticipés depuis l’entrée en force de la Turquie aux côtés du GEN de Fayez Sarraj, seule autorité reconnue sur le plan international, annoncent une redistribution des cartes sur la scène libyenne.

Dans un premier temps, ils pourraient se traduire par la mise sous veilleuse d’une proposition de l’ONU pour le retour des belligérants à la table des négociations à Genève, dans le cadre du Comité de dialogue 5+5, initié par la Conférence de Berlin en janvier dernier. Ses travaux ont été suspendus après deux séances de travail seulement en raison de la poursuite des affrontements sur le terrain et de l’absence d’une claire volonté des parties en conflit de souscrire à un «cessez-le-feu permanent et durable».

La multiplication des contacts ces dernières semaines pour une reprise des discussions avait été saluée par toutes les parties. Mais la proposition de l’Onu semble devoir se heurter désormais à un blocage de la part du GEN, qui, avec le soutien d’Ankara, voudrait d’abord consolider ses acquis militaires sur le terrain. C’est le sens d’une visite-éclair effectuée dans la capitale turque par Fayez Sarraj, aussitôt après s’être assuré le contrôle de Tripoli. Lors d’une conférence de presse commune, le président Recep Tayyip Erdogan a indiqué que la Turquie ne «laisserait pas les frères libyens sous la coupe des putschistes et des mercenaires» et qu’il est «impossible qu’un personnage comme Haftar s’installe à une table de négociation», fermant ainsi implicitement la porte aux initiatives diplomatiques en cours.

Les protecteurs du général rebelle révisent leurs plans

Le vice-Premier ministre du GEN Ahmed Miitig se trouvait pour sa part à Moscou pour «ausculter» la position russe après ce que son gouvernement célèbre déjà comme une «défaite consommée» du clan adverse. La Russie, accusée d’apporter un soutien aérien aux troupes de Haftar et d’encourager des sociétés de miliciens privés comme Wagner de lui apporter main forte, devrait être appelée par les dirigeants du GEN à reconsidérer sa politique à l’égard du maréchal rebelle contre des assurances fermes concernant ses intérêts géopolitiques dans la région. Moscou chercherait à installer en Libye une autre tête de pont en Méditerranée, après la Syrie, en poursuivant ainsi un vieux projet des Tsars d’installer durablement sa marine de guerre dans la «mare nostrum».

Echaudés par les revers de Haftar depuis son enlisement aux portes de Tripoli, qu’il devait prendre d’assaut au début de l’année, selon ses plans de conquête affichés, les Emirats ont laissé entendre qu’ils étaient à la recherche d’un remplaçant. L’Egypte pour sa part, surprise elle aussi par la subite déroute de son poulain, a adopté une attitude d’attente : «wait and see». Inquiète de la progression de la présence turque dans le pays voisin, elle pourrait se régler sur la position de la Russie et de la France, qui cherchent, elles aussi, à limiter l’influence turque au sud de la Méditerranée.

Le trinôme Tunis, Alger, le Caire devrait mieux collaborer sur la Libye

Mais c’est probablement la défection de Salah Aguila, président du Parlement de Tobrouk – l’autre institution libyenne bénéficiant de la légitimité internationale, qui a fait le plus de mal au camp de Haftar, qui lui doit sa nomination au grade de maréchal. Salah Aguila affirme ne plus croire à la «solution militaire» préconisée par son ancien allié. Il pourrait peser de tout son poids auprès des chefs de tribus du sud et de l’est pour les rallier à la «solution politique inclusive» – ne rejetant que les groupes terroristes – qu’il prône désormais, après avoir rejoint les propositions de sortie de crise défendues depuis toujours par Tunis et Alger. Aussi, est-ce autour du trinôme Tunis, Alger, le Caire que devrait se nouer les prémisses d’une éventuelle négociation.

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