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La loi du milieu : Gammarth, entre chantiers, folies des hauteurs, et bassesses

A Gammarth, ce quartier de la banlieue nord de Tunis, adossé à flanc de colline face à la mer, les villas semblent les jours d’été suspendues entre l’azur du ciel et celui des flots. Mais depuis les années Ben Ali, les lois de l’urbanisme ont aussi changé; les membres de la famille régnante, détenteurs du pouvoir économique et politique, avaient éprouvé la nécessité de faire étalage de luxe, et les règlements avaient dû se plier à leurs besoins.

Par Dr Mounir Hanablia *

Depuis lors, les permis de constructions ont été délivrés pour des hauteurs variant de 8 à 12 mètres, y compris dans les quartiers résidentiels, alors qu’à l’origine, au moment du boom de l’urbanisme dans les années 70, les façades des maisons dépassaient rarement les 5 mètres. Et l’avènement de la démocratie n’y a rien changé.

Les Ben Ali et Trabelsi font toujours école

Continuité de l’état oblige, nous demeurons soumis aux mêmes lois qui souvent répondaient aux normes mentales, aux pulsions et aux obsessions de Belhassen Trabelsi et de Moncef Ben Ali, dont nos nouveaux élus, les actuels représentants du peuple, ne semblent pour le moment pas trop pressés de se débarrasser. C’est que, après la chute de l’ancien régime, en janvier 2011, être Trabelsi, c’est désormais partager un état d’esprit vivace, et qui accorde à ceux qui jouissent du pouvoir politique la possibilité de le traduire en bénéfices économiques, et de mépriser les lois. Mais comme il n’est malheureusement pas donné à tous la possibilité de devenir riches et influents, la plèbe ne peut partager avec les patriciens que leur mépris des lois, au nom d’un sacro-saint principe, celui de l’égalité de tous les êtres humains, dont finalement la terre d’islam tout au long de l’Histoire ne s’était montrée que peu soucieuse de donner le meilleur exemple.

Quiconque donc habite sur cette colline, même après 50 ans, peut voir un jour le terrain situé en contrebas occupé par une construction de l’autre côté de la rue, qui ne lui avait jamais contesté sa part de paysage, voir la bâtisse abattue, et une nouvelle s’y élever dans sa matrice en bruit et en béton armé, pour simplement lui confisquer sa perspective. Et il aura beau se battre, contester, aller, venir, assiéger les services compétents de la municipalité, on lui répondra que c’est là la Loi, et qu’en fin de compte, le permis de construire ayant été délivré, le mieux qu’il aura à faire sera de s’élever plus que son voisin, afin de récupérer sa part de panorama. Seule une entorse aux plans pré établis pourrait éventuellement donner prise à une plainte et amener l’interruption temporaire et néanmoins coûteuse d’un chantier, en général pour quelques mois, le temps pour la commission de l’urbanisme d’entériner les correctifs nécessaires et permettre, la poursuite du chantier. Mais il ne s’agit là que du cas, le moins mauvais, où la loi, bien entendu toujours applicable, aura été respectée.

Rectitudes, angles droits, verre, et béton

Dans un quartier censé être réservé aux villas, il y a désormais grâce à ces règlements hérités des Trabelsi, de véritables mini-immeubles sans génie. Adieu le fer forgé, les portes cloutées, les courbures orientales, le style Sidi Bou. Tout n’est plus que rectitudes, angles droits, verre, et béton. Mais il y a pire…

On peut, un dimanche à 7 heures du matin, être réveillé par le vacarme du moteur de l’engin s’engageant et se dégageant, pour décharger sa cargaison de briques, ciment, sable, et barres métalliques sur le toit de cet autre voisin qui, pendant plus de 50 ans, n’avait jamais barré à quiconque sa part d’azur, et se retrouver avec un mur de deux mètres de hauteur sur vingt mètres de longueur, sur le toit d’en face, et dont la journée où il a été érigé ne s’écoulerait pas avant qu’il ne fût poli, puis lissé. Essayer de convaincre les commanditaires d’interrompre un chantier initié sans aucun permis de construction, relève de la gageure. On vous expliquera d’abord qu’il s’agit d’un cache ascenseur ou escalier, comme celui construit par le voisin mitoyen, dont on précisera son droit d’avoir une bâtisse aussi haute que la sienne, et si vous insistez on vous menacera de l’érection d’un étage. Puis on prétendra face au chef du poste de la police municipale, informé, et étonné dans le contexte d’agissements aussi inhabituels dignes selon lui d’un faubourg populaire , qu’on a été obligé d’élever le mur pour se protéger des ouvriers du chantier d’à côté, trop audacieux et ayant la main si leste, que même le pantalon du vieux propriétaire sous oxygène n’a pas été échappé à leur intérêt.

Des nouveaux voisins tout puissants

Un beau jeune homme dont on apprendra plus tard qu’il n’est ni le fils ni le frère, mais peut être un cousin, interviendra avec véhémence, pour soutenir les thèses de la propriétaire. Et après l’injonction de la police d’arrêter les travaux, le procès verbal, et la convocation à se rendre au poste, les travaux continueront comme si de rien n’était.

Et le lendemain, à 7 heures du matin, on sera de nouveau réveillé, cette fois par le bruit des madriers retirés par des ouvriers dont, légalité ou pas, le premier souci, c’est bien connu, n’a jamais été la discrétion. Et après de nouvelles protestations, et à 9 heures, le mur sera peint, comme s’il avait toujours été là.

Le jour suivant des matériaux de construction seront de nouveaux livrés. Et après le passage obligatoire par la toute nouvelle agence de relations avec le citoyen, informatisée et financée par l’Allemagne, pour déposer plainte contre le voisin récalcitrant, et avec la poursuite du chantier en contrebas, protégé des regards, dont seule la présence sur le toit de quelques ouvriers vus par intermittence, et de briques déplacées, signalera l’existence, le chef de la police, informé du peu de cas dont on aura fait de son injonction, consentira à se déplacer afin de marquer son autorité. Mal lui en prendra. D’abord dans sa volonté de bien faire son métier, il manquera de tomber d’une hauteur de près de 5 mètres en contrebas. Puis, trouvant un madrier, appuyé contre le mur, il le repoussera devant lui, dans un geste de colère et afin de bien marquer sa volonté d’interrompre la construction anarchique.

Après son départ, la propriétaire, surgie de nulle part, prétendra avoir amené son mari à la clinique, pour blessure occasionnée par la chute du madrier, et qu’elle déposera plainte contre la police. En tous cas, elle sera bien la seule à prétendre que les choses se seront passées ainsi, et il est douteux qu’un permis médical puisse en faire foi. Mais des colonnes en béton seront désormais visibles, laissant présager de nouveaux développements.

La lenteur administrative profite à la partie fautive

Cependant, l’affaire semble plus complexe qu’il n’y paraît. Il s’agit en fait de deux constructions situées sur un même terrain avec une forte pente. L’un a été établi en respectant les normes. Et l’autre est constitué par des bâtisses avec des ajouts érigés au fur et à mesure semble-t-il sans respect des normes, qu’on a l’habitude de louer à prix fort à des étrangers, et dont une récente expertise avait révélé le risque fatal de destruction en cas de glissement de terrain.

La question qui se pose est donc de savoir si le mur construit illégalement sur le toit et objet de tous les litiges sera ou non abattu, et si un permis sera ou non délivré pour une construction sur un terrain où on a l’habitude de s’en passer. En tous cas la propriétaire ne sera pas fait faute de crier haut et fort qu’elle aussi obtiendra son permis de construction et qu’elle fera appel pour cela à ses relations. Des fanfaronnades sans aucun doute.

Le problème est que, plus le temps passe, plus la situation se complique, et ainsi que l’aura démontré l’épisode du policier qu’on ne pourra jamais accuser de corruption , et qui est vraisemblablement victime d’une calomnie, plus les propriétaires donneront l’impression qu’ils ont les moyens de défier impunément la municipalité, la police municipale, le voisinage, et plus simplement, la loi.

Bref, les propriétaires sont en train de démontrer qu’ils sont des nouveaux Trabelsi, tout puissants, au point d’exercer un chantage, et qu’ils ont les moyens de créer un fait accompli. Or la loi est claire: toute construction illégale doit être abattue. Il reste à savoir pourquoi on s’en remet toujours pour le faire à la décision d’un président de la municipalité surchargé de travail, pas toujours immédiatement disponible, en laissant la part belle à un cheminement administratif qui peut être à tout moment bloqué ou retardé pour des motifs pas toujours clairs, mais qui bénéficie toujours en fait à la partie fautive…

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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