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Kaïs Saïed et la Libye «de» Fayez Sarraj : Est-ce la fin du malentendu ?

Pays voisins condamnés à vivre en complète synergie, la Tunisie et la Libye ne peuvent entretenir des incompréhensions ou des malentendus. La clarté des positions et des intérêts respectifs ne doit laisser la place à aucune ambiguïté, comme celle entretenue, en Tunisie, par le parti Ennahdha et ses dirigeants sur la réalité de la position tunisienne sur la crise libyenne.

Par Imed Bahri

Le président de la république Kaïs Saïed a reçu aujourd’hui, vendredi 10 juin 2020, au Palais de Carthage, Faraj Abdulrahman Omar Boumatari, le ministre des Finances du gouvernement d’entente nationale (GEN), conduit par Fayez Sarraj, à Tripoli, ouest de la Libye.

Reprise des contacts diplomatiques

Au-delà des propos soporifiques et convenus sur l’impulsion des échanges et de la coopération entre les deux pays voisins, attribués aux deux responsables après la rencontre, et dont on ne peut raisonnablement attendre beaucoup de choses concrètes, on retiendra que cette visite est la première effectuée à Tunis par un ministre libyen issu du gouvernement de Tripoli après les déclarations du président Saïed, le 23 juin dernier, à Paris, lors de la conférence de presse conjointe avec son homologue français, Emmanuel Macron, sur la «légalité limitée dans le temps» du gouvernement Sarraj et la nécessité de la remplacer par une «légitimité durable», en redonnant la parole au peuple libyen.

Incompris ou sur-interprétés, les propos de Saïed avaient, rappelons-le, suscité une levée de bouclier parmi les partisans de Sarraj, en Libye, et même des critiques en Tunisie, de la part des dirigeants d’Ennahdha, alliés de leurs «frères musulmans» au pouvoir à Tripoli et des «protecteurs» de ces derniers – car il s’agit désormais de «protectorat» –, les Turcs néo-ottomans conduits par Recep Tayyip Erdogan.

La Tunisie garde ses distances

La rencontre d’aujourd’hui constitue une reprise des contacts diplomatiques entre les deux pays voisins, dont l’interdépendance sur les plans sécuritaire et économique n’est plus à démontrer. Elle aura peut-être permis à M. Saïed d’affiner son analyse, de l’arrondir et de la rendre plus audible pour ses interlocuteurs. Elle aura peut-être aussi permis à ces derniers de sonder le président tunisien sur la réalité (ou l’évolution) de sa position et de celle de l’Etat tunisien sur la crise en cours en Libye, étant enfin admis, à Tripoli, que le soutien inconditionnel au GEN de la part de Rached Ghannouchi, président du parlement tunisien et du parti Ennahdha, n’engage pas la Tunisie dans son ensemble. Et que la diplomatie tunisienne n’a qu’un seul représentant : le président de la république ou tout autre haut responsable qu’il mandate officiellement.

La mise au point était donc nécessaire, car les relations tuniso-libyennes, deux pays voisins condamnés à vivre en complète synergie, ne peuvent souffrir d’ambiguïtés ou de malentendus. Et si la Tunisie peut aider à la solution de la crise libyenne, c’est en maintenant une distance vis-à-vis de tous les protagonistes, en leur prêtant tous une oreille attentive et en évitant surtout d’entrer dans la stratégie de tel ou tel axe en conflit dans ce pays.

Les Libyens doivent aussi comprendre que les solutions militaires ne sont jamais durables, qu’il n’y a pas mieux que le dialogue entre les frères ennemis pour baliser la voie à une solution vraiment durable, car acceptée par toutes les parties, et, surtout, que leurs alliés respectifs, dont les intérêts ne coïncident pas forcément avec ceux du peuple libyen, ne sauraient les aider à avancer vers une telle solution. Au contraire: ni la Turquie ni la Russie (ni leurs alliés) n’œuvrerait pour une solution nationale libyenne, par définition contraire à leurs intérêts respectifs.

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