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La Tunisie à la recherche d’un nouveau chef de gouvernement : La loterie est ouverte

Un nouveau marathon politique est parti. Le président de la république a 10 jours pour trouver l’oiseau rare : celui qui succédera à Elyes Fakhfakh à la tête du gouvernement, et cette fois-ci, Kaïs Saïed doit faire preuve de beaucoup de rigueur car il ne peut se permettre de choisir une personnalité controversée ou qui risque de lui valoir une seconde déconvenue.

Par Ridha Kéfi

Le problème c’est que le chef de l’Etat, issu du monde universitaire et connaissant mal aussi bien le monde de l’administration publique que celui des affaires, ne connaît pas bien les hommes et les femmes pouvant assumer les fonctions d’un chef de gouvernement. Il n’est pas non plus entouré de grands connaisseurs dans ce domaine, capables, au-delà de l’examen des CV souvent gonflés et trompeurs, d’apprécier la qualité de leadership des candidats potentiels, leurs accointances ou leurs liens possibles avec les lobbys, politico-médiatico-affairistes ayant fait trop de mal au pays.

Et pour ne rien arranger, M. Saïed est desservi aussi par ses propres préjugés moraux et doctrinaux : il déteste les gens ayant travaillé avec l’ancien régime, dont beaucoup aurait bien pu servir encore leur pays, et n’aime pas beaucoup le monde économique, c’est un euphémisme, parce qu’il ne le comprend pas, et il n’est pas loin de le soupçonner d’être totalement pourri.

L’oiseau rare se fait de plus en plus rare

Or, la Tunisie a besoin aujourd’hui d’une personnalité crédible, intègre, charismatique, connaissant bien les arcanes de l’administration publique mais ayant aussi une bonne compréhension des questions économiques, car la crise sévissant actuellement dans le pays va exiger autant d’imagination que d’audace et de capacité de persuasion pour faire admettre et mettre en route les réformes douloureuses nécessaires.

Voilà pour le premier concerné par la désignation du prochain chef de gouvernement, qui aura à composer aussi avec les petits calculs partisans et sectaires des partis politiques auxquels il a demandé de lui proposer, par écrit, des listes de candidats et de candidates, le même exercice en somme auquel il les a soumis en janvier et février derniers pour finalement opter pour Elyès Fakkfakh, estimant avoir ainsi évité les candidats trop marqués politiquement et qui risquaient d’échouer à l’épreuve du vote de confiance de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Et il sait qu’il va devoir, cette fois aussi, passer par cette épreuve.

On connaît le peu d’estime dans lequel M. Saïed tient les dirigeants des partis ayant pignon sur rue dans le pays et le peu de confiance qu’ils lui inspirent, lui, qui n’appartient à aucun d’entre eux et qui a horreur de la partitocratie imposée par la constitution de 2014.

On peut d’ores et déjà imaginer l’embarras dans lequel il se trouve de devoir trancher par un choix qui risque de braquer telle ou telle partie et de provoquer de nouvelles polémiques superflues au moment où le pays est presque à l’arrêt (comme l’extraction de phosphate au bassin minier de Gafsa ou le pétrole à Tataouine)

L’égalité de tous dans la médiocrité et l’ignorance bien partagées

Comme à leur habitude, tous les partis, premiers responsables de la misère actuelle du pays et du blocage qui empêche son redressement, vont se prendre au sérieux et établir des listes de «sauveteurs» potentiels, des hommes et des femmes à leur solde et qu’ils pensent pouvoir manipuler à leur guise.

Des pluies de noms commencent à tomber, la loterie va commencer et les paris sont lancés. Même les moins méritants et les plus stupides du troupeau vont se croire premier-ministrables et se voir trôner au Palais de la Kasbah. Du moment où tout le monde peut devenir président (souvenons-nous des candidats gags de la dernière présidentielle), le poste de Premier ministre devient forcément très accessible sinon à la portée de tous : c’est la démocratie à la tunisienne imposée par les élus du parti islamiste Ennahdha et qui consiste à instaurer une sorte d’égalité de tous dans la médiocrité et l’ignorance.

Imed Dghij Premier ministre, pourquoi pas, au rythme où vont les choses, puisqu’on a déjà proposé Imed Daïmi. À ce jeu là, où celui qui perd gagne, les gens vraiment méritants, compétents et capables de mouiller le maillot pour aider la Tunisie à sortir du trou où l’ont mis ses enfants, vont tous se débiner, car dans le système actuel, il n’y a plus aucun mérite ni aucun honneur à devenir Premier ministre, un poste dévalorisé et dénué de toute autorité, une sorte de punching-ball national que tout le monde cogne, en criant «Au suivant !».

La Tunisie n’a pas besoin aujourd’hui d’un nouveau Premier ministre

Non vraiment, la Tunisie n’a pas besoin aujourd’hui d’un nouveau Premier ministre, le 10e en 10 ans (excusez du peu !) mais d’un vrai leader, une sorte de Bourguiba ou de De Gaulle, capable de s’imposer aux partis (ou de les contourner s’il le faut) et de mener ses compatriotes, y compris les plus récalcitrants d’entre eux, sur la voie d’un véritable redressement national.

M. Saïed aurait pu être cet homme là, mais, depuis qu’il a accédé au Palais de Carthage, il est en train de dilapider le capital de confiance l’ayant porté à la magistrature suprême par près de 73% des suffrages exprimés. La baudruche mettra beaucoup de temps à se dégonfler, et les Tunisiens, qui vont d’une désillusion à une autre, vont mettre encore beaucoup de temps eux aussi pour se réveiller à la douloureuse réalité. Et ce sera trop tard !

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