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Tunisie : Faudrait-il sanctionner les Emirats pour flatter les tribuns de la plèbe ?

Kais Saied / Mohamed Ben Zayed.

Dans les conditions difficiles que traverse la Tunisie, faudrait-il sacrifier nos relations avec des pays amis, comme les Emirats arabes unis, en s’ingérant dans leurs choix stratégiques parce que notre système politique permet désormais à des démagogues professionnels d’avoir pignon sur rue et d’influencer l’opinion publique au nom d’une cause sacrée, une de plus, dans le sens de leurs intérêts ? Non, bien sûr, car dans le dossier palestinien, l’Etat tunisien n’a de leçons à recevoir de personne…

Par Dr Mounir Hanablia *

La normalisation en cours entre les Emirats arabes unis (EAU) et Israël semble soulever des remous dans les milieux politiques en Tunisie où plusieurs voix se sont élevées pour en réclamer la condamnation par l’Etat, et pour instaurer une loi sur la criminalisation de toute normalisation avec l’Etat sioniste.

Comme il en a désormais l’habitude, le président de l’Assemblée des représentants u peuple (ARP), le leader islamiste Rached Ghannouchi, un incorrigible récidiviste, n’a consulté personne, à commencer par la présidence de la république, pour publier un communiqué reflétant ses propres vues. Mais il se trouve que la question des négociations en cours, oppose d’une part des partis réputés être à des degrés divers révolutionnaires, au Parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi pour qui il s’agit d’une affaire à laquelle la Tunisie ne devrait en rien être mêlée.

Il faut à cet effet savoir qu’aucun parti membre de l’Assemblée n’a participé à la manifestation de protestation populaire organisée devant l’ambassade des EAU, selon un commentateur d’une radio privée, ce qui en dit déjà long sur le sérieux de tous ceux parmi les députés du peuple qui prétendent défendre d’une manière inconditionnelle le combat du peuple palestinien pour ses droits nationaux.

La polémique autour de l’initiative émiratie a peu à voir avec la question palestinienne

Au cours de la dite manifestation on a ainsi vu défiler des personnalités comme Issam Chebbi, du parti Al-Joumhouri, mais pas le bouillant avocat Seifeddine Makhlouf qui avait publié sur sa page facebook des appels contre le bradage de la cause palestinienne et pour la condamnation de l’initiative émiratie par la présidence de la république. Mais comme M. Makhlouf a peu après fait l’apologie de Qatar Airways pour avoir établi un contrat publicitaire fort conséquent avec le Club africain, une équipe qui traverse une mauvaise passe financière, on s’est vite aperçu que l’enjeu de toute cette polémique autour de l’initiative émiratie n’avait que peu à voir avec le conflit israélo-palestinien, et relevait bien plus des joutes politiques internes à la Tunisie, entre Mme Moussi, réputée être soutenue par les EAU, ainsi que l’avait avancé il n’y a pas si longtemps Noureddine Bhiri, président du bloc parlementaire Ennahdha, et ses adversaires, accusés par elle d’entretenir des liens plus qu’étroits avec le Qatar et la Turquie.

Ce sont d’ailleurs ceux-là mêmes, dont l’appel au président Kais Saied de s’opposer publiquement à l’accord en vertu d’opinions préalablement exprimées n’aurait d’autre but que de le placer dans une situation délicate, qui avec la nomination d’Elyes Fakhfakh puis Hichem Mechichi, l’accusent de vouloir marginaliser le parlement et d’instaurer un régime dictatorial.

Dans ces conditions, placer les Emirats en ligne de mire, c’est faire d’une pierre trois coups : de la surenchère sur la cause palestinienne, à laquelle la Rue demeure attachée, atteindre Mme Moussi, un adversaire dont la côte grimpe, et présenter le président de la république comme un homme qui ne tient pas ses promesses électorales.

Il reste évidemment à savoir si la Tunisie soit tenue ou non de condamner l’initiative émiratie au regard de ses engagements envers la cause palestinienne. Ahmed Ounaies, un ancien ministre et ambassadeur, a réussi la gageure d’aborder la question sur les ondes d’une radio à une heure de grande écoute, en éludant complètement la menace iranienne perçue par les pays du Golfe, la guerre au Yémen menée depuis 6 ans par l’Arabie Saoudite et les Emirats dans le but déclaré de la juguler, le précédent juridico diplomatique créé par les accords de Camp David avec l’Egypte, cosignés et garantis par les Etats Unis d’Amérique, et ceux d’Oslo , avec l’Organisation de Libération de la Palestine, également cautionnés par les Américains. Il a également passé sous silence l’intention affichée par Oman et le Bahreïn d’emboîter le pas aux Emiratis.

M. Ounaies a déclaré d’abord qu’il ne s’agissait encore que de contacts , mais que dans le cadre d’un accord, les Emirats gouvernés par une famille respectueuse de l’honneur, celle des Al Nahyan, étaient tenus d’obtenir de la part d’Israël le respect des droits palestiniens, en particulier par le retrait des territoires occupés après Juin 1967 et l’évacuation des colonies de peuplement juives. Dans le cas contraire, et eu égard aux précédentes résolutions de soutien au peuple palestinien auxquelles les pays arabes ont souscrit dans le cadre de la Ligue arabe, la Tunisie se devait, selon lui, de condamner l’initiative.

Un coup de poignard dans le dos des Palestiniens, mais ce n’est pas le premier et ne sera pas le dernier

C’est une manière certes diplomatique de dire qu’il soit encore trop tôt pour prendre position, et qu’en attendant il faille faire confiance aux bonnes dispositions de la famille régnante, qui a déjà annoncé avoir obtenu le gel des implantations, une information que Netanyahu s’est empressé de démentir. En réalité, les Palestiniens, par le biais de Saeb Erekat, ont déjà qualifié l’initiative émiratie de coup de poignard dans le dos. Le dernier moyen dont ils disposaient pour astreindre Israël à des concessions était en effet la normalisation des relations avec le monde arabe. Et voilà que celle-ci lui est offerte sans aucune contrepartie.

Cependant, il y a déjà longtemps que les pays arabes ont appris à faire passer leurs intérêts propres avant les contraintes imposées par la cause palestinienne et le combat contre Israël. Cela avait déjà commencé en 1967 avec le plan Rogers avalisé par le président Nasser, même si l’Egypte était le pays dont les intérêts nationaux pouvaient le plus se confondre avec le soutien au peuple palestinien. Et aujourd’hui les Emirats qui viennent d’inaugurer leur première centrale nucléaire, estiment avoir plus à craindre de leurs co-riverains iraniens du Golfe, et plus à gagner pour les combattre de la coopération avec l’Etat sioniste. Pourquoi en est on arrivé là avec l’Iran?

Ce sont les Etats arabes sunnites du Golfe qui ont fait le choix de combattre les chiites, toujours qualifiés de païens, en Syrie et au Yémen, depuis l’émergence de cette communauté à la tête de l’Irak en 2003 avec les liens qu’elle a établis avec l’Iran après l’invasion américaine. Et aujourd’hui nul ne pourrait dicter aux Emirats leurs impératifs stratégiques au nom d’une raison supérieure.

Le seul tort des Tunisiens c’est d’avoir eu raison trop tôt

Il reste la question du statut juridique dans le cadre duquel la Tunisie serait tenue d’apporter son soutien au peuple palestinien. Bourguiba avait depuis 1965 à Jéricho toujours réaffirmé que les Palestiniens et les Arabes devaient se conformer au droit international et aux résolutions de l’Onu, qui leur accordaient déjà à peu près la moitié du territoire alors qu’à cette date ils n’en détenaient plus que 22%. Il avait été désavoué, et de la manière que l’on sait.

En 1967, malheureusement, ils avaient perdu la totalité du territoire en plus du Golan et du Sinaï et maintenant il ne s’agit plus pour eux que de tenter de récupérer ces 22% là ou ce qu’il en reste alors que plus d’un demi million de colons juifs y sont déjà installés, qu’un mur de séparation entrave la libre circulation, et que Jérusalem a été annexée. Ceci devrait donc absoudre la Tunisie de toute accusation de manquement coupable envers ce peuple.

Parmi les Arabes, nous autres Tunisiens n’avons été coupables que pour avoir trop tôt eu raison. Malgré cela nous en avons accueilli les combattants palestiniens en 1982, et nous avons été bombardés en 1986 par l’armée israélienne. Maintenant, dans les conditions difficiles que traverse notre pays, faudrait-il sacrifier les relations avec des pays amis en s’ingérant dans leurs choix stratégiques parce que notre système politique permet désormais à des démagogues professionnels d’avoir pignon sur rue et d’influencer l’opinion publique au nom d’une cause sacrée, une de plus, dans le sens de leurs intérêts ?

Il y a encore des moyens d’aider les Palestiniens, c’est d’accueillir leurs enfants dans nos écoles et nos universités, de soigner leurs malades et leurs blessés dans nos hôpitaux, d’appuyer leur combat dans toutes les instances internationales pour obtenir dans leur propre pays la reconnaissance de leurs droits politiques, contre le colonialisme et l’apartheid. S’il faut condamner les EAU, pourquoi ne pas l’avoir fait déjà avec la Turquie, l’Egypte, la Jordanie, qui entretiennent des relations diplomatiques normales avec l’Etat sioniste depuis longtemps ? Et faudra-t-il l’envisager pour le Bahreïn et Oman qui s’y apprêtent ?

On voit déjà jusqu’à quelles extrémités tout cela peut conduire; alors que dans le dossier palestinien, l’Etat tunisien n’a en réalité de leçons à recevoir de personne. Les Bouches d’Or qui aujourd’hui exigent de l’Etat tunisien un soutien sans faille à la cause palestinienne sont souvent ceux-là mêmes qui du haut des chaires des mosquées du pays il n’y a pas si longtemps prêchaient le jihad… et pas en Palestine. Il faudrait quand même s’en souvenir !

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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