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Loi des finances 2021 : quand les taux ne riment pas avec totaux

Le fait que la gouvernance actuelle n’ait pas encore recouru aux meilleurs moyens pour asseoir son contrôle et préfère renforcer l’inégalité et l’injustice fiscales en déléguant ses pouvoirs à de grandes entreprises pour garantir ses rentrées financières, revient à introduire le loup dans la bergerie, et prouve à tout le moins que cette gouvernance-là, outre les pertes financières qui en résulteront, ne se soucie pas de l’instauration d’un climat garantissant la concorde civile, l’amélioration de la situation économique et financière du pays, ou la reprise de la croissance.

Par Dr Mounir Hanablia *

Récemment, les membres de certains partis politiques connus pour faire l’apologie de la bigoterie, du terrorisme et de la misogynie, au nom de la liberté d’expression et du respect de l’immunité parlementaire et de la Constitution, face aux critiques réclamant la dissolution du parlement, ont prétendu remplir leurs missions de députés pour avoir voté la loi des finances 2021. Ce serait le moins qu’ils eussent pu faire.

À l’origine et ainsi que le démontre l’histoire du Parlement britannique, sa tâche était de voter les crédits dont le Roi avait besoin, et qui seul décidait pour cela de la date de sa convocation. Au vu de la qualité médiocre de sa prestation, on peut se demander si notre Assemblée des représentants du peuple noyautée par toutes sortes de groupes d’intérêts plus ou moins avouables ne devrait pas se réunir uniquement à la fin de chaque année pour légiférer sur le budget, les députés retournant le reste du temps à leurs occupations habituelles, pour peu qu’ils en aient une. Ce serait une manière de leur fournir le temps nécessaire pour acquérir les notions d’économie dont l’étude est nécessaire pour une lecture critique du budget, au moins en assemblée plénière. Car malgré le rejet plusieurs fois de suite du projet de la nouvelle loi des finances, et malgré la remise en question ou la suppression de plusieurs de ses articles, il a finalement fini par être adopté dans ses grandes lignes, après dit-on des réunions secrètes des partis de la majorité tenues au siège du ministère des Finances. On peut se demander si cela n’a tout compte fait été que le résultat du sermon, et des comportements barbares qui ont émaillé le déroulement de la session parlementaire au moment même où la loi des finances devait être votée.

Al-Karama et Makhlouf au secours de Mechichi

En effet après cette succession d’incidents la pertinence dont il s’agissait avait cessé d’être celle des ressources nécessaires au fonctionnement de l’Etat, pour devenir l’existence du parlement lui-même, et même de la survie du gouvernement, plutôt la gouvernance, de Hichem Mechichi, dans le cas où les fonctionnaires se seraient retrouvés sans salaires au mois de janvier.

Dans ce cas, et ainsi qu’on l’aura présumé, le bloc parlementaire Al-Karama, conduit par Seifeddine Makhlouf, aura tiré M. Mechichi, mis à mal par son bras de fer contre la Banque Centrale, d’une position fort inconfortable, dont la contrepartie mériterait d’être révélée. On comprend dès lors mieux le silence prudent du chef du gouvernement relativement aux propos dignes de Daech du Dr Mohamed Affès, député Al-Karama. Mais le plus important pour M. Mechichi c’est qu’une fois encore l’Etat aura toute latitude pour serrer un peu plus la vis à un secteur économique déjà fort mal en point et qui devra de surcroît assumer ses reculades face aux exigences du mouvement d’El-Kamour à Tataouine, et de tous les autres usant des mêmes procédés qui tentent de faire mordre la poussière au gouvernement sur tout le territoire.

Une fois encore, tout comme lors de l’affaire de l’attaque des islamistes contre l’ambassade américaine à Tunis, en septembre 2013, ou celle de la Banque franco-tunisienne (BFT), c’est au contribuable de supporter les choix d’une gouvernance démocratiquement élue.

Des lois fiscales aberrantes approuvées par des députés incompétents

Face à une situation nécessitant une relance de l’économie c’est plutôt à une baisse des impôts et des taxes que l’on était en droit de s’attendre. Pourtant, toutes les mesures prises, pour peu qu’elles soient pertinentes, ce qui n’est pas forcément le cas, suggèrent le contraire et constituent même par certains côtés une menace pour la liberté et l’égalité. On avait pris la décision extraordinaire d’interdire la distribution des dividendes boursiers aux détenteurs d’actions, portant ainsi un coup sévère aux investissements de portefeuilles.

Cela fait par ailleurs assez longtemps qu’on a délégué au secteur privé la charge d’assumer la collecte de recettes fiscales. C’est ainsi que dans les cliniques privées les retenues à la source sur les actes sont effectuées au profit de l’administration fiscale et les honoraires des médecins lui sont communiqués. Ce n’est pas une mauvaise chose, mais ce serait méconnaître la réalité que les plus grands actionnaires dans les cliniques, souvent les médecins qui y accaparent l’activité, disposent du pouvoir de se soustraire eux-mêmes à ces obligations, ou d’en dispenser ceux qui leur siéent.

Enfin la toute dernière décision de transformer les assurances automobiles en inspecteurs du fisc, faisant obligation à leurs clients de présenter leurs déclarations annuelles des revenus pour payer leurs cotisations, risque d’aboutir au résultat inverse: beaucoup plus de personnes, habituées à évoluer en dehors des marges de la loi, conduiront sans payer ni le fisc, ni l’assurance. Ce ne serait pas la première fois que des lois fiscales aberrantes soient approuvées par des députés incompétents. En 2015 déjà, on avait pris la décision d’interdire sous peine d’amendes aux médecins spécialistes du secteur libéral de déclarer moins que les salaires de leurs collègues du secteur public, qui eux avaient le droit de leur faire une concurrence acharnée, grâce à l’activité privée complémentaire des professeurs. Cela a été abrogé l’année suivante. Autre exemple, on n’a toujours pas tiré de l’affaire des stents périmés les conclusions nécessaires, à savoir que l’un des moyens de comptabiliser les stents effectivement utilisés, ou bien les opérations à cœur ouvert, est par exemple d’instaurer un timbre fiscal pour chaque prothèse implantée ou pour chaque oxygénateur de circuit de circulation extra corporelle utilisé. Ceci évidemment obligerait les cliniques à déclarer la totalité du matériel véritablement consommé. Autrement les rapports de procédures des malades libyens continueront toujours d’être dépourvus des vignettes du matériel réellement utilisé. Or pour cette catégorie de patients il est en réalité très facile d’assurer le contrôle nécessaire dans les aéroports au moment de l’embarquement. Il s’agirait tout simplement de rembourser une somme modique (2%) au patient sur la totalité de la facture payée à la clinique, contre la fourniture des documents médicaux nécessaires.

En France on agit d’ailleurs de la même façon pour le remboursement de la TVA aux étrangers à la sortie du territoire. Mais le fait que la gouvernance actuelle n’ait pas encore recouru à des moyens consacrés pour asseoir son contrôle et préfère renforcer l’inégalité fiscale et l’injustice en déléguant ses pouvoirs à de grandes entreprises pour garantir ses rentrées financières, revient à introduire le loup dans la bergerie, et prouve à tout le moins que cette gouvernance-là, outre les pertes financières qui résulteront de ses choix, ne se soucie pour le moment pas de l’instauration d’un climat garantissant la concorde civile, l’amélioration de la situation économique et financière du pays, ou la reprise de la croissance.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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