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Mechichi à Paris, via Canossa : Dieu protégez-moi de mes amis !

Hichem Mechichi reçu par Jean Castex à Matignon.

En se rendant, cette semaine, à Paris, Hichem Mechichi est allé à Canossa faire pénitence pour le crime horrible de l’église de Nice récemment commis par un immigré clandestin tunisien. C’est en tous cas ainsi que les autorités françaises ont tenu à le faire apparaître, ce voyage.

Par Dr Mounir Hanablia *

Un récent sondage du Sigma Conseil, l’oracle politique de service, a été raillé par le parti puritain Al-Karama du docteur en médecine passé député du peuple, Mohamed Affès, l’auteur du Sermon de la Sédition et de la désormais célèbre comparaison opposant «notre état» à «leur état»; un Etat dont toute personne sensée pourrait, en toute connaissance de cause, se demander si sa capitale, «la nôtre», ne se situerait pas quelque part près de Raqqa, sur les rives de l’Euphrate.

L’avocat Seifeddine Makhlouf, le patron de M. Affès, à la tête de son parti, «le nôtre», a prétendu que leur page facebook, c’est-à-dire et bien évidemment «la nôtre», avait devancé toutes les autres pages de partis, «les leurs», dans le nombre de nouvelles visites. Sa conclusion était donc que son parti était celui qui se développait le plus rapidement en faisant de nouveaux adeptes.

Ces personnes par qui le scandale arrive

Il y a quelques années, le chef d’orchestre japonais Seiji Ozawa avait été félicité pour son triomphe par sa mère venue du Japon assister au concert qu’il dirigeait à la Scala de Milan, alors qu’il y avait été copieusement sifflé. Mais contrairement à Mme Ozawa, qui ne connaissait pas les mœurs des mélomanes milanais, et qui de bonne foi avait pensé que la bronca que son fils avait affrontée sur scène n’était que la manière locale de lui rendre hommage, M. Makhlouf lui sait très bien que la curiosité dont son parti est désormais l’objet est celle redevable aux personnes par qui le scandale arrive et qui plus prosaïquement dans le plat paysage de la Tunisie post révolutionnaire, font d’une manière ou d’une autre, le spectacle.

Et le fait est là, M. Makhlouf a très bien compris que n’importe qui pouvait prendre le pouvoir dans n’importe quel pays, y compris «le leur» et le garder grâce à un bon usage du facebook de Marck Zuckerberg. À l’instar de ce qu’avait fait Waldo l’ourson, il se donne en spectacle, insulte les uns, défie les autres, et efface ses contradicteurs sur les réseaux sociaux, où il ne se montre pas très à cheval sur le respect de la liberté d’expression. Et il faut ainsi reconnaître que grâce aux réseaux sociaux les fanfarons grossiers qui jouent les durs ont désormais souvent du succès lors des élections. Le président sur le départ Trump en a bien apporté la preuve; seule l’ampleur des pertes par le coronavirus dues à sa colossale ignorance l’ont privé d’un second mandat.

Complaisance de Ghannouchi et silence complice de Mechichi

M. Makhlouf a donc ajouté à son tableau de chasse d’homme intrépide, après un substitut du procureur, pas moins que le président de la république, «la leur» évidemment, sans encourir les foudres de quiconque. Le président du parlement étant M. Ghannouchi, il ne fallait certes pas s’attendre à ce qu’il condamne les représentants d’un courant politique idéologiquement proche du sien, qui a «l’immense mérite» de jouer les épouvantails. Mais M. Mechichi, en tant que représentant attitré de «leur Etat», est paradoxalement demeuré silencieux sur tout ce qui s’est dit et qui s’est passé au sein de l’ARP depuis le fameux Sermon de la Sédition. Cela ne l’a pas empêché d’assimiler l’émigration clandestine au terrorisme lors de sa visite en France. Quand on songe à tous ceux qui ont quitté clandestinement ou non leurs patries, souvent au péril de leurs vies, et qui sont devenus des personnalités de premier plan dans leurs pays d’accueil, on ne peut à priori que s’étonner de tels propos.

Une assemblée générale prévue pour condamner le discours et les pratiques terroristes au sein de l’ARP venait d’être annulée, par défaut du quorum nécessaire à sa tenue, suscitant un certain nombre de commentaires peu amènes dans les médias internationaux sur les députés et l’Etat tunisiens. Lors de sa visite, cette semaine, à Paris, M. Mechichi s’est-il senti dans l’obligation d’éteindre l’incendie allumé par les bouillants soutiens parlementaires dont sa survie politique dépend? Il l’aurait mieux fait par un discours adressé au peuple tunisien et condamnant ce qui est condamnable, il en aurait en tout cas gagné l’estime et aurait conforté sa position en France lors des négociations.

Selon les journalistes tunisiens, il est malheureusement apparu lors de cette visite que le chef du gouvernement démocratiquement élu en Tunisie n’avait pas été reçu avec les égards qui lui étaient dus, ceux-là mêmes dont on avait fait étalage, quelques jours auparavant, en France pour accueillir le président Abdelfattah Sissi quelques jours auparavant. Mais en débarquant en France, le président égyptien, pour dictatorial qu’il soit, se présentait en tant que dépositaire effectif du pouvoir de l’Etat dans son pays. M. Mechichi, lui, était loin de pouvoir le prétendre. On peut même penser qu’en se rendant à Paris, il soit allé à Canossa faire pénitence pour le crime horrible de l’église de Nice commis par un immigré clandestin tunisien. C’est en tous cas ainsi que les autorités françaises ont tenu à le faire apparaître, ce voyage.

Dans ces conditions, comment aurait-il pu ne pas se soumettre au diktat français concernant le rapatriement en Tunisie de terroristes qui ne lui sont pas imputables? Quand un chef du gouvernement est nommé par un président de la république ayant une phobie parlementaire pour qui la fidélité prime toute autre qualité, et quand dans un souci de survie pour s’assurer le soutien d’une majorité, il doive composer avec la faction la plus manœuvrière et la moins recommandable d’un parlement inconscient des enjeux, il ne faut pas s’étonner qu’au final, ce soit l’intérêt supérieur du pays qui une fois encore en pâtisse. Cela s’était déjà passé ainsi lors l’attaque de l’ambassade américaine, en 2013. En cette commémoration du 10e anniversaire de la mort de Mohamed Bouazizi, il convient de prendre la juste mesure du chemin parcouru… en sens inverse.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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