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Le poème du dimanche : ‘‘A un visage blanc’’ de Mohamed Fitouri

Dans la littérature de langue française et francophone, en général, quand il s’agit de l’affirmation de la négritude ou de la question noire, reviennent plus facilement les noms de Léon Gontran Damas (Guyane), Léopold Sédar Senghor (Sénégal) ou Aimé Césaire (Martinique), etc. Le clivage regrettable entre les langues dans les littératures du sud, a laissé persistante la méconnaissance du poète de langue arabe, le Soudanais Mohamed Fitouri, dit aussi Faytouri, dont presque toute l’œuvre est une célébration vibrante de l’Afrique, de l’Etre noir et la conquête de sa liberté.

Mohamed Fitouri est né au Darfour, au Soudan, en 1936. Il poursuit ses études en Egypte, de l’enfance jusqu’à l’université d’Al Azhar. Travaille d’abord dans la presse littéraire puis occupe de nombreux postes diplomatiques à la Ligue arabe. Déchu de sa nationalité soudanaise pour opposition au régime de Jaâfar Numeiri, son grand père étant libyen, il obtient la nationalité libyenne sous Kadhafi. Il la perd à la chute de ce dernier et s’installe au Maroc, où il décède en 2015.

Il publie son premier recueil ‘‘Aghani Ifriquiya’’ (Chansons d’Afrique) 1955, à l’âge de 19 ans. Son œuvre, marquée fortement par l’africanité et l’arabité, est écrite dans un lyrisme politique revendicatif, à la vision soufie parfois. Elle prend pied dans le mouvement moderniste de la poésie arabe contemporaine.

Parmi ses œuvres : ‘‘Achiqun min Ifriquiya’’ (Un amant d’Afrique) 1964; ‘‘Udhkurini ya Ifriquiya’’ (Souviens-toi de moi Afrique) 1965; ‘‘Ahzan Ifriquiya’’ (Tristesses d’Afrique) 1966; ‘‘Aryanan yarqusu fi chams’’ (Un nu dansant au soleil), 2005.

J’ai eu le plaisir de le rencontrer lors d’un festival international de poésie en Grèce, il y a quelques années, la décontraction pudique et la poignée de main chaleureuse et fraternelle. En son souvenir, ce poème traduit.

Tahar Bekri

Est-ce parce que mon visage est noir
Et le tien est blanc
Que tu m’as nommé esclave
Foulé mon humanité
Méprisé mon âme
Tu m’as fabriqué des chaînes
Bu ma vigne injustement
Mangé mes fruits par vengeance
Me laissant la haine
Porté ce qu’ont tissé les fils de mes rouets
M’habillant de soupirs et de labeurs

Tu as habité les paradis
Dont les pierres sont taillées par mes mains
Et moi …combien de fois allongé dans la hutte obscure
Couvert de ténèbres et de froid
Comme une brebis ruminant la mélancolie
Nouant autour de moi la fumée de mon insignifiance

Quand les lampes du ciel s’éteignent
Et coule le fleuve discontinu de l’aube
Je réveille ma maigre bête
Pour la conduire fermement paître
Quand elle grossit c’est toi qui profites de sa chair
Me laissant les intestins et la peau

Non mon frère !
Mes sentiments en feu ne peuvent après ce jour se calmer
Je regrette
Je ne suis pas créé hibou
Qui se nourrit de vers ou singe
Je suis l’être de ma mère et la tienne est terre
La lumière n’est pour aucun de nous père
Pourquoi donc me prives-tu de mes droits ?
Alors que toi tu trouves bonheur et confort
Pourquoi lèves-tu ton nez maître
Et moi je baisse ma tête esclave ?

Je me suis réveillé
Réveillé de mon passé
Voici ma pioche détruisant ses tombes avec force
Je serai feu car la vie me veut feu
Et danserai au-dessus orage
Ote donc les habits de ton orgueil
J’ai enterré de belle mort le cadavre de mon humiliation
Joins tes mains aux miennes
Pour construire la citadelle de l’amour entre nous
Je suis ton frère n’entrave pas mes frères
Tu augmenteras les flammes de mon volcan
Gare ! Ne sème pas les graines de mon adversité
Tu en récolteras les épines
Gare ! Ne sème pas tes champs de ronces
J’ai semé les miens de roses

‘‘Aghâni Ifriquiya’’ (Chansons d’Afrique) 1955 ©Traduit de l’arabe par Tahar Bekri

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