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Cardiologie : sur Antonio Colombo, et le pouvoir de soigner… son image

La cardiologie est un pouvoir, tout comme l’exercice des responsabilités politiques. Encore faudrait-il que, tout comme le chef du gouvernement, les cardiologues en fassent le meilleur usage, au profit du plus grand nombre, en en respectant le premier commandement, celui de ne pas nuire.

Par Dr Mounir Hanablia *

Il y a un contexte psychologique et politique particuliers dans ce pays, dont certaines représentations symboliques sont parfois plus explicites que tout commentaire. Ainsi la photo à l’aéroport du chef du gouvernement portant sur ses épaules en compagnie de l’actuel président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) le cercueil de la défunte ex-représentante du peuple, et vice-présidente de la Constituante, Meherzia Laabidi, véhicule-t-elle, mieux encore que certaines déclarations récentes inopportunes, un message fort sur la réalité du pouvoir en Tunisie.

Le pouvoir, c’est justement cette capacité de décider à la place des gens de ce qui puisse ou non être bon pour eux; et le leur imposer. En ce sens, la médecine est une manifestation quotidienne de pur pouvoir, et plus encore la cardiologie, à laquelle j’appartiens, quoique semblent faire mine de le contester quelques-uns de mes collègues, confondant journalisme et liberté d’expression, en me voyant devenir un adepte régulier de l’écriture.

Une organisation autoritaire hiérarchisée

Ce pouvoir s’apparente même en cardiologie à un verdict, un véritable droit de vie ou de mort, et plus encore dans celui de l’angioplastie coronaire où la vie du patient ne tient qu’à un fil, appelé guide et introduit dans l’artère coronaire du malade.

Quelques uns de mes collègues ont ainsi acquis la louable habitude, depuis les contraintes imposées par la pandémie de la Covid-19, de faire régulièrement des vidéoconférences relatives aux difficultés rencontrées durant quelques unes des procédures réalisées, en en projetant les photos et les vidéos. Il s’agit évidemment d’une initiative hautement pédagogique appelant tout praticien à la prudence et à la modestie.

D’abord je me dois de rendre hommage à ceux parmi mes collègues qui s’étant entourés de toutes les garanties nécessaires au succès de procédures complexes, en en respectant les indications, se sont retrouvés d’une manière imprévisible dans des situations telles qu’ils ont dû faire preuve d’initiatives et d’ingéniosité auxquelles le patient devrait être redevable d’avoir eu la vie sauve.

Cependant, de temps à autre, les cas présentés, quoique couronnés de succès, semblent justement témoigner de l’imprudence la plus totale et même du mépris le plus profond pour la vie humaine dont on a la responsabilité.

Sans entrer dans des détails techniques que le public ne comprendrait pas et qui devraient parfois imposer par mesure de précaution une technique par rapport à une autre, il convient de relever que ces démonstrations à visée théoriquement pédagogique ne sont parfois pas dénuées d’arrière-pensées inhérentes à la compétence d’un praticien que d’autres qualifient aussi de manipulateur dans la terminologie professionnelle.

L’organisation de groupe atténue les responsabilités

Comme les procédures enregistrées et projetées sont toujours couronnées de succès, la démarche scientifique les sous-tendant s’en trouve dès le départ biaisée et permet d’autant moins d’en tirer des conclusions générales qu’il s’agit le plus souvent d’une gestion personnelle de complications, dont rien ne prédisait AU DEPART le succès ou l’échec. Quelle place resterait-il d’ailleurs à la critique de procédures réussies, que votre bon sens et votre expérience vous font considérer comme hardies, sinon injustifiées, quand on vous aura asséné pour faire bonne mesure, qu’elles auront été inventées par un praticien au nom hongrois ou roumain, un certain Szabo, dont on ne sait rien ?

Mais il n’y a pas que cela. En cardiologie comme dans d’autres domaines d’activités, l’organisation et la hiérarchie des compétences sont autoritaires et rigides, même si depuis 2016, une certaine liberté d’expression y a trouvé place, depuis qu’il fût devenu évident que la structure hiérarchique avait moralement failli, avec l’inculpation d’un grand nombre de membres de la profession. Or cette organisation autoritaire hiérarchisée de la profession a son pendant commercial, celle des cliniques, sans laquelle elle ne pourrait pas exister dans le secteur libéral de la profession.

Il est donc psychologiquement assez téméraire de contester les pertinences de procédures risquées mais néanmoins choisies au détriment d’autres qui le sont moins, du moment que l’organisation de groupe, dans une clinique ou dans un hôpital, atténue les responsabilités des uns ou des autres dans les cas où les choses tournent mal, et du moment que des collègues considérés comme des sommités professionnelles les cautionnent ou y sont impliqués.

Compétences supérieures ou imprudences monumentales

Ceci rappelle évidemment le Syndrome de Wilfried Bion, ce célèbre dysfonctionnement de groupe de la Nasa qui avait conduit à une mauvaise décision dont la catastrophe de la navette Challenger avait résulté. C’est donc une raison suffisante de lutter, que indépendamment des intérêts du groupe, ce qui transparaît à travers quelques unes de ces démonstrations de gestion de l’imprévu, c’est une volonté de se distinguer professionnellement en tant que détenteur de compétences supérieures, alors que parfois il ne s’agit que d’imprudences ou d’impudences monumentales, épargnées par un destin magnanime.

Pour ceux qui douteraient de la réalité de cet exhibitionnisme pervers, qu’ils sachent que d’aucuns, au cours de cette vidéoconférence, ont évoqué les paroles attribuées à Antonio Colombo, un ponte italien de la cardiologie interventionnelle de renommée mondiale selon qui, celui qui n’avait jamais eu des complications durant ses procédures devrait revoir sa technique. Il s’agit évidemment d’un commentaire ouvrant la porte à toutes les prises de risque inconsidérées. D’une part, n’est pas Antonio Colombo qui veut. D’autre part, il peut tout aussi bien parfois dire des stupidités, qui ne doivent pas servir de cautions à celles des quelques adolescents attardés de la profession qui à travers le monde hantent tous les cath-labs.

En fin de compte, il serait peut être nécessaire à l’avenir d’accompagner ce genre de séances de démonstrations professionnelles censées éduquer du carré rouge, ou bien du commentaire précédant les combats de l’UFC : «Ils connaissent leurs limites; ne cherchez pas à les imiter».

La cardiologie est un pouvoir, tout comme l’exercice des responsabilités politiques. Encore faudrait-il que, tout comme le chef du gouvernement, les cardiologues en fassent le meilleur usage, au profit du plus grand nombre, en en respectant le premier commandement, celui de ne pas nuire. Et tant pis si à l’avenir, pour l’avoir rappelé, je ne sois plus invité à rejoindre ces vidéoconférences.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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