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Tunisie-FMI : les conditions de réussite des réformes envisagées

Hichem Mechichi entre Noureddine Taboubi et Samir Majoul : sans un front intérieur solide et solidaire,
les réformes envisagées avec le FMI ne pourront pas être implémentées.

Parallèlement aux négociations entre le gouvernement tunisien et le Fonds monétaire international (FMI), entamées le 3 mai 2021 à Washington, et qui se poursuivent actuellement au niveau des experts, il est urgent que le gouvernement  et ses partenaires essentiels, les centrales syndicale, patronale et  agricole, relancent les discussions de Dar Ediaffa sur les grandes réformes économiques à mettre en œuvre pour relancer l’économie nationale et sauver la machine de l’effondrement.

Par Raouf Chatty *

Le retour à la table des négociations sera un message pertinent et puissant envoyé au peuple et aux autorités financières internationales signifiant que les décideurs en Tunisie sont très sérieux dans leur démarche. 

Le gouvernement comme ses partenaires essentiels n’ont aujourd’hui ni le droit ni les moyens de tergiverser et de perdre davantage de temps à un pays à l’économie essoufflée, vivant sous perfusion et dont experts comme les profanes savent  parfaitement qu’elle doit se réformer en profondeur pour retrouver la voie de la croissance et du développement et répondre aux attentes légitimes de la nation.

La question préalable sur laquelle doivent maintenant plancher très sérieusement toutes ces parties est la suivante : comment réussir à établir vite des réformes justes, équilibrées, à moindre coût social, notamment pour les classes moyennes et défavorisées dans un contexte d’adversité menaçant déflagration et que faire pour  convaincre tout le monde d’aider chacun de son côté au succès des réformes envisagées et qui seront nécessairement très douloureuses?

Solidarité nationale, austérité et partage des sacrifices

Le gouvernement comme ses partenaires essentiels et la société civile doivent d’ores et déjà s’entendre vite sur un discours fort, transparent et sincère pour mobiliser l’opinion publique, toutes catégories sociales confondues, sur la solidarité nationale, l’austérité et le partage des sacrifices… tout en lui faisant comprendre l’enjeu,  l’étendue, les objectifs et le déroulement des réformes et les mesures d’accompagnement… Les médias doivent eux aussi être mobilisés pour aider à la réalisation de ce grand projet. C’est aussi leur rôle, qui ne consiste pas seulement à alimenter sans cesse les polémiques inutiles et préjudiciables.   

Ces trois concepts fondamentaux: la solidarité nationale, l’austérité et le partage des sacrifices, nous en avons aujourd’hui grand besoin, et ils doivent constituer le centre du discours des politiques pour les mois à venir, loin de tout populisme destructeur. Ils restent pour l’heure très embryonnaires et maladroitement développés par les pouvoirs publics.

Cela, on l’imagine, rajoute aux appréhensions légitimes d’un peuple perplexe face à beaucoup d’interrogations sur l’impact des réformes (maladroitement) annoncées sur son quotidien et qui a le sentiment de plus en plus fort d’être abandonné par la puissance publique. 

Sans une adhésion populaire, aucune réforme sérieuse ne saura réussir

Disons  tout de suite que le gouvernement ne doit pas compter sur ce qu’il appelle «la conscience du peuple». Le boycottage par beaucoup de citoyens de la mesure de confinement général décidée par les pouvoirs publics entre le 9 et le 16 mai et le bilan très lourd en décès par la pandémie de Covid-19, plus de 11.000 pour une population de 11 millions d’habitants, en dit long sur le degré de conscience  du peuple, au demeurant désemparé et en proie au désespoir après avoir nourri beaucoup d’espoir au lendemain e la révolution de 2011.

Sans une pédagogie axée sur une mobilisation intelligente et forte du peuple  sur  l’austérité et les sacrifices à consentir, les réformes, aussi équilibrées soient-elles  pour tenir compte de la viabilité de l’économie et des possibilités d’acceptation par le peuple, pourraient être très mal reçues par les masses populaires et par conséquent  vouées à l’échec, voire pis au plan social. 

Dans ce cadre, il faut toujours avoir présent à l’esprit les expériences malheureuses de certains de pays en développement avec le FMI et le coût social très élevé qu’ils ont du payer pour la réalisation des réformes.

Il pèse donc sur toutes les parties une responsabilité historique pour construire sans tarder, chacun de son côté, de manière intelligente, posée et réfléchie, ces réformes  et ensuite pour se mettre d’accord sur leur contenu final, tout en recourant, dans le même temps, à une pédagogie ciblée pour les faire passer.

Même si la partie sera très dure, aucune partie ne pourra aujourd’hui se dérober à ses responsabilités. Il faudra bien sûr des concessions équilibrées de part et d’autre pour aboutir à des propositions consensuelles qui tiendront compte des intérêts de toutes les parties.

Le retour de la confiance est primordial pour obtenir l’adhésion  

Pour le gouvernement, la mission sera immense. Qu’il s’agisse de la suppression progressive de la compensation des produits de base, sujet tabou depuis des décennies ou de la réforme fiscale avec l’instauration d’une nouvelle politique fiscale et l’institution d’un organisme indépendant pour le recouvrement des impôts impayés, ou de la réduction de la masse salariale ou du dégraissage des effectifs de la fonction publique ou de la réforme des entreprises publiques, toutes ces réformes doivent être entreprises de la manière la plus objective, méticuleuse et efficace possible, compte tenu de tous les paramètres techniques en jeu et des contraintes  d’ordre social et de l’impact de ces réformes.

Le gouvernement doit veiller à être très prudent sur tous les aspects des réformes et ne pas travailler dans la précipitation et sous la pression. Le dossier étant énorme et  constitué de facettes multiples et très interconnectées.

Le gouvernement doit être bien conscient du fait que le peuple, devenu ces dernières années coutumier de la rue l’a bien à l’œil et n’acceptera pas facilement ces réformes et que leurs chances de réussir seront  minces aussi longtemps que le pays reste miné par l’économie sous-terraine, la bureaucratie, les procédures administratives désuètes, le marché parallèle, une véritable cacophonie, avec la contrebande, l’absence de transparence et la prolifération de la corruption à tous les niveaux. Sa mission consiste donc à  s’attaquer sans tarder à tous ces dossiers s’il veut faire passer ses réformes et regagner la confiance du peuple, comme celle de ses partenaires extérieurs, aujourd’hui très sérieusement affectée.

C’est dans ce cadre qu’il sied de lire le communiqué publié par les autorités américaines suite à la récente communication téléphonique de la vice-présidente Kamala Harris avec le président de la république tunisienne, Kaïs Saïed, au cœur de la crise politique en Tunisie et des négociations avec le FMI, pour insister sur les réformes politiques tout comme sur la transparence et la lutte contre la corruption. C’est là un message politique direct et très fort et un appel du pied pour que la Tunisie mette de l’ordre dans sa maison après une décennie de surenchères, de tergiversations et de tourmentes qui ont conduit le pays dans le gouffre. 

Utica-UGTT : ne pas en rajouter à l’esprit rebelle des populations

Les missions  des centrales  syndicale (UGTT) et patronale (Utica) ne seront  pas non plus aisées. Ils  doivent faire preuve d responsabilité, d’intelligence et de sagesse pour être à la hauteur des défis. Ils doivent faire comprendre à leurs troupes que  tout le monde doit consentir aujourd’hui les sacrifices nécessaires pour  aider à sauver le pays et à remettre son économie sur les rails… Un grand travail attend notamment la centrale syndicale pour convaincre beaucoup de ses cadres et de ses adhérents de faire les pas nécessaires pour le bien et la bonne santé du pays, le bien-être des travailleurs étant tributaire de la relance effective de l’économie.

Les surenchères alimentées ces derniers jours par des responsables de la centrale syndicale ne sont pas de bon augure et pourront enflammer la situation. Tout comme les communiqués conjoints signés par l’UGTT et l’Utica pour désapprouver certaines mesures du confinement général décidées par les pouvoirs publics, qui en rajoutent à l’esprit rebelle des masses populaires et peuvent nuire à la stabilité sociale dans le pays.

Par ailleurs, nous devons toujours avoir à l’esprit qu’au-delà de leurs aspects techniques, les réformes envisagées sont foncièrement politiques, car c’est d’elles que dépendra l’assainissement des finances publiques et l’adhésion de toutes les parties à l’élan citoyen qui permettra à la puissance publique d’être effectivement au service des citoyens en leur garantissant un minimum de bien-être commun dans les domaines essentiels ayant trait à leur vie : la santé, l’éducation, le transport public, la culture…, facteurs primordiaux d’une vie sociale harmonieuse et équilibrée…

Ces réformes ne pourront par ailleurs pas réussir sans la formation progressive chez le peuple de ce sentiment d’agir en citoyen qui accomplit convenablement ses devoirs et jouit effectivement de tous ses droits fondamentaux dans un État régi par la loi et où tous les droits fondamentaux de l’homme sont garantis pour tous sans discrimination aucune… Car c’est  bien ce sentiment de quiétude, de vivre en commun dans une société équilibrée et juste qui est le moteur et la condition  essentielle pour la réussite de tout projet. D’autant plus que le succès de notre pays  est à portée de mains et nous avons tous  les ingrédients  pour le réaliser…

A bon entendeur….

* Ancien ambassadeur.

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