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Le tournant du 25 juillet 2021 : l’euphorie et après?

Face à la lente déchéance de l’Etat-nation et à la forte mobilisation populaire du 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed a du réagir avec les moyens que lui offre la Constitution. Il n’y avait pas d’autres solutions. Les procédures constitutionnelles qui, vu le contexte, tourneraient en procédures dilatoires, ne pouvaient mener à rien et surtout pas à ce que le peuple entre dans ses droits. Mais maintenant, tout reste encore à faire pour redresser l’Etat et assainir la situation générale dans le pays.

Par Mounir Chebil *

Le 25 juillet 2021 a débuté le 23 décembre 2019, le jour où Kaïs Saïed est devenu président de la république, en Tunisie. Depuis qu’il était entré au palais de Carthage, le professeur de droit constitutionnel avait en tête la refonte du régime parlementaire et le système des partis ainsi que la constitution qu’il ne trouvait pas à sa mesure. Sa campagne électorale était fondée sur un thème nodal : la déconstruction pour la reconstruction et la mise en place de la démocratie de proximité ou participative.

Malgré le flou qui persiste encore à ce jour, et qui entoure ses thèmes de campagne, Kaïs Saïed est élu président avec plus de 70% des suffrages exprimés. A part la masse électorale du parti islamiste Ennahdha et celle du parti Al-Karama, ses ennemis d’aujourd’hui, ainsi que le Courant démocrate (Attayar), le parti fondé par Mohamed Abbou qui s’était portée sur lui, M Saïed a bénéficié des voix de ses propres partisans du mouvement Echabou yourid et de ceux qui ont vu en lui un monsieur propre qui finira par nettoyer le pays de la pègre qui l’a ruiné avec le concours du parti Ennahadha.

Le président Saïed était réduit à regarder les choses pourrir

Les Tunisiens attendaient beaucoup de M. Saïed. Mais une fois au pouvoir, ce dernier s’est rendu compte qu’il ne pouvait réellement agir constitutionnellement sur ce qui se rapporte à la gestion des affaires du pays. C’est le chef du gouvernement qui trace la politique générale du pays, et il en est responsable devant le parlement. Le président de la république peut donner des avis, tout au plus.

Avec la mafia nahdhaouie et ses affidés dans les hautes sphères du pouvoir et de l’administration, même le recours par le président de la république à la magistrature d’influence était peine perdue. A l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), les islamistes ne font que manœuvrer pour monopoliser le pouvoir quitte à corrompre tout le monde et vouer le pays à la faillite.

Les gouvernements en général sont à la merci de Rached Ghannouchi lui-même qui souffle le chaud et le froid, et que le pouvoir seul intéresse. La vie politique elle-même n’est plus qu’intrigues, retournements de veste, guerres de reposition sur l’échiquier politique. Dans ce contexte, le pays tout entier était abandonné à la dérive.

Ayant les mains liées par la constitution, le président de la république a regardé les choses pourrir. Il a laissé la classe politique se faire discréditer et le paysage clownesque au parlement sombrer dans le ridicule. Il a aidé au pourrissement de la situation politique en provoquant les blocages institutionnels pour contrer les manœuvres machiavéliques d’Ennahdha visant à monopoliser le pouvoir pour le destituer.

Le torchon constitutionnel est à jeter dans la poubelle

Le pays était aux bords de la banqueroute et de l’anarchie. Les Tunisiens allaient être pressurisés par la bande à Satan, qui exigeait des dédommagements à hauteur de trois milliards de dinars que l’Etat devait débourser au plus tard le 25 juillet 2021, selon le discours hargneux de Abdelkarim Harouni, président du Majlis Choura. Les citoyens ont vomi tous les acteurs politiques. Le règne macabre d’Ennahdha, des barons de la corruption et de la pègre devait cesser.

L’inaction du président de la république lui a coûté une baisse dans les sondages. C’était en quelque sorte sa tête qui était en jeu. Un chef d’Etat digne de ce statut ne devait pas rester spectateur devant ce manège sordide. Au diable la constitution! Et de quelle constitution parle-t-on? Je le répète encore, nous sommes en Tunisie dans un État de non-droit depuis 2011 et le torchon constitutionnel de 2014 est à jeter dans la poubelle.

Mais, la transgression des lois n’est pas chose facile à prendre à la légère. Le président a besoin d’une forte légitimité. Et celle-ci est venue de la rue, du peuple, des simples citoyens sans lien avec les partis. Ces derniers ont crié leur colère et lui ont demandé de chasser Ennahdha, de dissoudre le parlement, de limoger le gouvernement et de poursuivre en justice les mafieux et les corrompus de tous bords.

Le soutien lui était aussi venu des forces de sécurité et de l’armée restées fidèles à l’Etat et à son unité. Alors, il a répondu à l’appel. C’était l’Etat qui était en jeu et il ne pouvait pas ne pas agir, car les forces du mal allaient vouer le pays à lendemains obscurs. Ce n’était pas le scénario de 1987. Ben Ali a devancé les Frères musulmans certes, mais le peuple n’était pas là, ni avant ni après le fameux coup d’Etat médico-légal.

Le temps est aujourd’hui au travail et non aux palabres

Ceux qui se montrent scandalisés et qui crient à qui veut les entendre que la légalité était bafouée, ce sont ceux-là mêmes qui ont cautionné le putsch d’Ennahdha qui, avec les autres membres de la constituante, a usurpé la volonté du peuple qui les a élus pour élaborer la constitution en une année et non en trois… Dans le temps, il n’y a pas la possibilité du recours pour sanctionner cette usurpation. Il n’y a que la sanction éventuelle par le peuple. Celle-ci est venue après des années, le 25 juillet 2021. Le peuple a demandé l’abrogation de la constitution de 2014 et la dissolution de l’ARP et du gouvernement. Le peuple est entré dans ses droits et le président de la république l’a confirmé dans ses droits (Voir mes articles sur Kapitalis.com. : «Tunisie, un Etat de non droit»). Il a fallu un coup de force ou un passage en force, mais il n’y avait pas d’autres solutions. Les procédures constitutionnelles qui, vu le contexte, tourneraient en procédures dilatoires, ne pouvaient mener à rien et surtout pas à ce que le peuple entre dans ses droits comme annoncé ci-dessus.

Aujourd’hui, après l’euphorie, les attentes des citoyens sont grandes autant que mes craintes. Je suis ainsi. Je ne suis pas complaisant. Je suis plutôt pamphlétaire. En plus, ma formation de juriste m’a inculqué qu’en toutes circonstances, la conjonction «mais» doit être gardée à l’esprit.

Oui le coup de botte a été magistral. Quel soulagement! Mais, non à ce que les enragés deviennent maîtres de la destinée du pays.

Oui au changement. Mais, non à attendre des décennies, le temps pour la déconstruction en vue de la construction. Je n’ai pas le salaire mensuel de 30.000 dinars pour pouvoir résister le temps qu’on refasse le monde. Pauvre comme Job, j’ai un couffin que je dois ramener chez moi au quotidien et la banque ne va pas m’attendre pour ses échéances. J’ai un certain âge, et j’aimerais bien que les hôpitaux publics puissent me prendre en charge au cas où. Je n’ai pas de voiture, j’aimerais voir des bus et des trains en marche et propres. Le jour où la CNSS ne me servirait pas ma pension de retraite pour laquelle j’ai trimé plus de 30 ans comme un esclave, je deviendrais casseur. La constitution de 1959 est là. Il lui faut au plus vite un léger lifting et laisser au temps de déterminer s’il lui faut d’autres. Le temps est aujourd’hui au travail et non aux palabres constitutionnelles et les débats sur la configuration de la démocratie participative qui, à ce jour, ne sont pas clos depuis l’apparition du communisme de conseil au début du XXe siècle.

L’immunité, les abus de toutes sortes doivent cesser. Mais les tribunaux ne doivent pas se transformer en amphithéâtres romains pour que la plèbe y vienne expier sa colère et oublier sa misère. Non au retour à l’inquisition. Il ne faut jamais se mettre à l’écoute des assoiffés de sang et de procès. Que de procès a engagé Bourguiba quand la sécurité de l’Etat était en jeu, mais l’œuvre de développement et la marche vers le progrès  étaient toujours prioritaires.

Oui, la lutte contre les agents corrompus de l’Etat, mais ce qui a sauvé le pays c’est qu’il y a aussi des responsables propres, imbus du sens de l’Etat et patriotes et Nabil el Kooli n’est pas Khaznadar. Il n’a pas pompé dans le trésor public. Ces agents ne doivent pas êtres mis dans le même panier à crabes.

Oui, la lutte contre la corruption et les réseaux mafieux, là où ils sont, ainsi que l’enrichissement suspect, est plus que salutaire. Mais il ne faudrait pas pousser le populisme jusqu’à diaboliser les hommes d’affaires et les banques et honnir la richesse.

Quoi qu’on dise, c’est le secteur privé qui a sauvé le pays de l’effondrement total malgré toutes les tentatives de démantèlement d’Ennahdha. Les banques doivent être bénéficiaires pour soutenir la relance économique quand les conditions deviennent propices à l’investissement. Lors de la crise mondiale de 2007-2008, les faillites des banques américaines ont précipité les effets ravageurs de cette crise, et la première initiative du trésor américain était d’y injecter des fonds pour leur venir en aide pour qu’elles puissent reprendre leur rôle d’insuffler la dynamique économique et l’emploi et venir en aide aux ménages. La Tunisie n’a pas le trésor américain.

* Citoyen tunisien à la retraite.

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