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À propos de la nomination de Najla Bouden : Tunisiennes, je vous aime !

Najla Bouden reçue, hier, jeudi 30 septembre 2021, par le président Kaïs Saïed.

Najla Bouden a déjà le grand mérite d’avoir eu le courage d’accepter le poste de cheffe de gouvernement après que ses pairs masculins s’en sont détournés, mesurant sans doute le poids de cette responsabilité dans un pays en pleine tourmente. Pareille décision n’est-elle pas une preuve de courage, de détermination et de pugnacité ? Pourquoi s’en étonner ? Les Tunisiennes ne sont-elles pas «des femmes et plus» (dixit notre poète national Sghaier Ouled Ahmed).

Par Adel Zouaoui *

Au lendemain de la révolution du 14 janvier 2011, notre grand espoir était à la hauteur de notre désenchantement. Au lieu de se projeter vers l’avant, vers le meilleur, on a vu, impuissant, notre pays se rétrograder, décliner et reculer.

Un tsunami d’islamisme et d’ignorance

Sous notre regard, notre société commençait à se transformer, à se travestir. Dans les rues, les femmes voilées sont devenues légion. Pire encore. D’autres se sont drapées de noir du cap au pied, invisibles et cachées comme si elles étaient une souillure, une honte. La morosité gagnait de plus en plus notre paysage. La Tunisie indépendante et libre telle qu’on l’a toujours connue nous fuyait entre les doigts. Elle perdait ses couleurs, devenait lugubre, triste, morne et ténébreuse. On nous parlait de califat, de biens de mainmorte, de produits halal. À l’Assemblée des représentants du peuple, on revendiquait mordicus que les femmes soient complémentaires aux hommes et non leurs égales. Des prédicateurs moyen-orientaux et moyenâgeux étaient accueillis à bras ouverts pour nous tenir des discours d’un autre âge, pour nous parler d’excision des filles, de la supériorité des hommes sur les femmes comme un droit divin, du hijab et même du niqab comme une prescription religieuse, une obligation. Les écoles coraniques poussaient comme des champignons sur tout le territoire dans lesquelles on imposait le voile à des mômes de cinq ans. Les femmes qui sortaient les cheveux en l’air étaient systématiquement harcelées dans les quartiers populaires, quand elles ne sont pas envoyées sur les fronts de batailles en Libye, en Syrie et en Irak pour satisfaire les pulsions sexuelles des jihadistes. Le pays de Bourguiba, celui du Code du statut personnel ayant émancipé les femmes dès 1956 s’assombrissait, se délitait. Il s’éloignait de nous de plus en plus.

On désespérait de nos luttes pour recouvrir nos libertés, pour retrouver notre image d’après l’indépendance. On croyait à tort ou à raison que nos combats pour ré-arrimer la Tunisie à ses valeurs républicaines était vains. La déferlantes islamiste était trop puissante. Et pour cause, elle est financée par des fonds de provenance illicite. On était sans défense, impuissant face à ce tsunami d’inculture et d’ignorance. On se croyait perdu à jamais.

Une énième révolution tunisienne

Et voilà que la Tunisie se réveille en sursaut. Elle se sauve, comme elle seule sait le faire, in extremis, du précipice de l’extrémisme dans lequel elle allait sombrer. Le 25 juillet 2021, on siffle la fin de la récréation. Au surplus, le 29 septembre l’inattendu, l’inimaginable et même l’impensable se produit. Une femme est nommée à la tête du gouvernement. Du jamais vu, du jamais réalisé dans toute l’histoire du monde arabo-musulman. Une énième révolution que la Tunisie a réussie somme toute. Un tremblement de terre dans ce monde arabe foncièrement monolithique, incroyablement phallocratique et sournoisement machiste. Un monde arabomusulman où les femmes sont invisibles derrière leur burqa. Un virage à 180 degré, un volte-face qui pris de court la terre entière. La Tunisie continuera à surprendre, à interpeller.

Najla Bouden est un pur produit de l’école de la république tunisienne. Elle est professeure de géologie à l’École nationale d’ingénieurs de Tunis (Enit). Appartenant à la première génération de l’indépendance, elle incarne le modèle d’une Tunisie, celui de l’ouverture sur le monde, sur les altérités, comme l’avait imaginé et décidé les pères fondateurs de la nation en l’occurrence Tahar Haddad et Habib Bourguiba et bien d’autres. Une Tunisienne d’aujourd’hui. Une femme de chez nous, libre et insoumise, besogneuse et pugnace, combative et courageuse comme l’avaient été d’autres Tunisiennes avant elle, la reine Didon, la Kahena, Aroua la Kairouanaise, Radhia Haddad et bien d’autres.

La nouvelle cheffe du gouvernement réussira sa mission. Elle mettra du sien. Elle mettra de son intelligence et de sa sensibilité de femme, de sa douceur et de son empathie, dans cet univers de brutes et de machistes qu’est celui de la politique.

Un pied de nez à ces butors islamistes

Sa nomination à la tête du gouvernement est un pied de nez à tous les phallocrates, machistes. À ces butors enturbannées d’islamistes qui s’échinaient à remettre en question le statut de la femme en tant que citoyenne à part entière. À Wajdi Ghanim invité chez nous pour parler de l’excision des filles et à Youssef Qaradaoui qui nous accuse de mécréance, aux députés qui qualifiaient les filles-mères, victimes de goujats comme eux, de traînées, et à la chaîne qatarie Al-Jazeera qui rêve de voir la Tunisie sombrer dans l’anarchie.

La nomination de Najla Bouden à cette haute fonction est aussi une revanche à toutes les femmes battues, infantilisées, rabaissées, humiliées et chosifiées chaque jour que Dieu fait. À toutes celles qui travaillent dans les champs le dos courbé et sous un soleil de plomb pour une modique somme d’argent alors que leurs maris tuent le temps dans les cafés en fumant du narguilé. À toutes les ouvrières qui se réveillent dès l’aube par un temps de chien pour aller travailler dans les usines pendant que leurs époux se prélassent encore dans leurs lits douillets. À toutes celles qui ont été délestées de leur part d’héritage et même de leurs salaires. À toutes celles qu’on harcèle sur les lieux de travail. À toutes les divorcées qu’on prive de leurs pensions alimentaires. À toutes celles qu’on a tuées. À Refka Cherni froidement assassinée en mai 20121 pour n’avoir pas obéi à son marie. À Mériem Ben Mohamed violée en 2012 par trois policiers. À Siwar Ben Braiek assassinée sans raison aucune par un voyou le 6 octobre 2018.

Le plafond de verre est brisé

Cette nomination est enfin une consécration à toutes les luttes et les batailles menées aussi bien par des femmes que par des hommes pour affranchir les Tunisiennes du joug de l’asservissement, de la docilité et de la servilité. C’est un hommage à Leila Menchari, décoratrice de réputation mondiale, à Tawhida Ben Cheikh, première femme médecin du monde arabo-musulman, à Bchira Ben Mrad, militante féministe et indépendantiste, à Radhia Haddad, militante et femme politique, à Habiba Chaabouni, généticienne de renom et récipiendaire du prix Loréal-Uesco à Zohra Ben Lakhdar, physicienne et récipiendaire elle aussi du prix Loréal-Unesco, à Alia Menchari première femme pilote tunisienne, pour ne citer que celles-là. Mais aussi à toutes les enseignantes, les professeures, les écrivaines, les journalistes et les médecins qui travaillent à pied d’œuvre dans la discrétion absolue et dans l’ombre et qui font que la Tunisie a toujours été à une longueur d’avance de tous les pays arabes en matière d’égalité entre les deux sexes.

Le plafond de verre est brisé encore une fois par la Tunisie qui ne cesse d’étonner, de surprendre, d’interpeller et de confirmer sa singularité. Surtout dans cette partie du monde où le fait d’autoriser les Saoudiennes de prendre le volant est considéré comme une révolution en soi.

Le mercredi 29 septembre la Tunisie a retrouvé ses marques, ses repères, ses couleurs, de la joie et de l’espoir à un avenir meilleur après dix longues années de flottement, de remise en question, d’hésitation, de brume et de brouillard.

«La femme est l’avenir de l’homme», disait Louis Aragon. Cette citation prend tout son sens dans le pays de la reine Didon. La nomination de Najla Bouden à cette haute fonction le confirme encore une fois.

Faut-il rappeler à tous les misogynes et les machistes de tous poils qui attendent la nouvelle cheffe de gouvernement au tournant et souhaitent son échec que tous les dix chefs de gouvernement nommés au lendemain la révolution du 14-Janvier ont bel et bien échoué et de quelle manière. Est-ce une raison suffisante pour qu’ils se taisent ? Najla Bouden a déjà le grand mérite d’avoir eu le courage d’accepter ce poste après que ses pairs masculins s’en sont détournés. Pareille décision n’est-elle pas une preuve de courage, de détermination et de pugnacité? Pourquoi s’en étonner? Les Tunisiennes ne sont-elles pas «des femmes et plus» (dixit notre poète national Sghaier Ouled Ahmed).

Enfin, Margaret Thatcher (femme d’État britannique 1925-2013) disait qu’«en politique, si vous voulez des discours, demandez à un homme. Si vous voulez des actes, demandez à une femme». Alors, croisons les doigts pour notre nouvelle cheffe de gouvernement et puis attendons de voir.

* Retraité de la Cité des sciences de Tunis, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.

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