Dans le cadre rapport sur «le développement dans le monde 2013», consacré à l’emploi, la Banque Mondiale se penche sur l’étude du cas tunisien. Les auteurs du rapport pensent avoir déjà identifié quelques pistes pour contrer le chômage.

Par Wahid Chedly


 

Conséquence de la crise économique et financière mondiale, qui a entraîné une perte massive des emplois et une détérioration indéniables des équilibres sur le marché de travail, l’emploi redevient un thème central du débat public aux quatre coins de la planète. Même la Banque Mondiale, maillon essentiel du réseau néolibéral ayant toujours recommandé de limiter l’inflation plutôt que le chômage et de déréglementer l’économie, prend le problème à bras le corps.

Identifier les obstacles à la création d’emplois

L’institution de Bretton Woods, souvent accusée par les altermondialistes d’avoir ouvert les économies des pays endettés aux multinationales des pays les plus industrialisés aux dépens des opérateurs locaux, consacre son rapport sur «le développement dans le monde pour l’année 2013», actuellement en cours de préparation, exclusivement à la question de l’emploi.

Dans un bureau d'emploi à Tunis.

Ce rapport, qui sera publié en octobre prochain, s’est fixé pour objectif d’améliorer la compréhension des connexions qui existent entre l’emploi et les différentes dimensions de développement économique et social et d’identifier les obstacles à la création soutenue des emplois.

Dans ce cadre, la Banque Mondiale a commandité une série d’études de cas consacrées aux différents problèmes liés à l’emploi dans sept pays, dont la Tunisie.

L’étude consacrée au berceau du printemps arabe s’intéresse particulièrement au chômage des jeunes, ainsi qu’aux pistes à creuser pour favoriser la création de l’emploi adapté aux caractéristiques de la population tunisienne.

Un aperçu sur ces pistes a été donné, vendredi, au cours d’une table ronde sur «l’emploi au cœur des débats politiques» organisée au siège de la représentation de la Banque Mondiale à Tunis et animée par les chercheurs tunisiens responsables de l’étude.

«Le chômage, notamment celui des diplômés de l’enseignement supérieur, a été, le véritable détonateur de la révolte populaire en Tunisie et dans d’autres pays  arabes. Les changements des régimes pourraient apporter plus de transparence et de bonne gouvernance, mais la stabilité ne sera de retour dans ces pays que lorsque les nouveaux gouvernants parviendront à relancer l’emploi», a lancé, d’emblée, Antonio Nucifora, économiste en chef pour la Tunisie au groupe de la Banque Mondiale.

Le chômage frappe aujourd’hui en Tunisie plus de 800.000 personnes, dont 200.000 diplômés du supérieur, chiffre qui s’alourdit constamment avec l’arrivée, chaque année, de quelque 60.000 nouveaux diplômés.

Des diplômés chômeurs demendent l'insertion dans la vie professionnelle.

L’enseignement, un ascenseur social en panne

Membre de l’Association des économistes tunisiens (Asectu) et enseignant à l’Institut supérieur de gestion (Isg), Abderrahmane Lagha a estimé que la Tunisie a d’abord besoin d’identifier les maux endémiques de son marché du travail. Ce chercheur associé au Forum des recherches économiques du Caire (Cairo Economic Research Forum), qui est l’un des membres les plus en vue de l’équipe de chercheurs chargés par la Banque Mondiale, a fait remarquer que la structure actuelle du marché du travail tunisien se caractérise par la faible capacité d’absorption des diplômés de l’enseignement supérieur par les différents secteurs d’activité économique. Chiffre très révélateur  dans ce chapitre: la plus grande capacité d’absorption des diplômés revient au secteur bancaire, avec un taux limité à 45%!

«L’enseignement ne représente plus un ascenseur social. Aujourd’hui, plus on est instruit, plus on est touché de plein fouet par le chômage. Le  taux de chômage de longue durée (personne ayant passé plus de 12 mois sans emploi) est de l’ordre de 14% dans les rangs des personnes analphabètes. Ce taux grimpe à 24% chez les personnes ayant effectué des études secondaires et à 50% dans les rangs des diplômés de l’enseignement supérieur», a déploré l’universitaire.

Selon lui, le marché du travail national se distingue également par une inadéquation criante entre la formation reçue et l’emploi occupé. Preuve en est: 35% seulement des managers et des cadres ont un niveau d’instruction supérieur alors que plus de 60% des diplômés occupent des postes pour lesquels ils sont surqualifiés.

Un moment historique où tout est à inventer

M. Lagha suggère l’adoption d’un nouveau modèle de développement économique. «La Tunisie doit remettre en question son ancien modèle de développement qui n’est plus en mesure de générer des taux de croissance allant au-delà de 5%, ce véritable plafond de verre auquel se heurte le pays depuis plus d’une décennie», a-t-il affirmé.

De son côté, la directrice de l’Observatoire national de l’emploi et des qualifications (Oneq), Fatma Moussa, estime que l’ancien modèle de croissance économique tunisien, basé en grande partie sur les industries traditionnelles et les services à faible intensité de technologie et qui recrutent essentiellement une main-d’œuvre peu qualifiée, a fait son temps. «Nos entreprises sont spécialisées dans le textile pas cher ou dans la sous-traitance, qui ne nécessite pas une main-d’œuvre de haut niveau comme celle que produit l’enseignement supérieur. Nous vivons un moment historique où tout est à inventer», a-t-elle souligné. Et d’ajouter: «Le salut passe désormais par l’adoption d’un nouveau modèle économique basé sur l’innovation et le savoir».

Sit-in de chômeurs devant le siège de la Compagnie de phosphate de Gafsa, à Tunis.

Deux chantiers devraient, selon elle, êtres ouverts dans ce cadre: la professionnalisation des formations universitaires, afin qu’elles répondent aux besoins précis des entreprises et l’encouragement de la recherche-développement (R&D) afin de favoriser l’essor des secteurs à forte densité technologique, comme l’ingénierie financière, les technologies de l’information et de la communication, les prestations de santé et les services informatiques.

D’autre part, le vice-président de la Fédération nationale de l’électricité et l’électronique rattachée à l’Utica (centrale patronale), Abdelaziz Hallab, a souligné la nécessité de revoir le régime de couverture sociale qui n’encourage pas, selon lui, la création d’emploi. «En Tunisie, l’emploi est taxé à hauteur de 25% à titre de charges sociales alors que l’importation de l’Union européenne n’est pas taxée du tout», a-t-il indiqué.

Enseignante de à la Faculté des sciences économiques et de gestion de Tunis, Sonia Naccache a, quant à elle, appelé les autorités à faire la part belle à la bonne gouvernance dans leurs programmes économiques et sociaux. «Deux points de croissance peuvent être glanés grâce à la lutte contre la corruption. Or,  les anciens réseaux de la corruption se sont déjà redéployés selon une nouvelle configuration politique», a-t-elle averti.