Les fragilités, défis et enjeux de la sécurité alimentaire de la Tunisie, selon une étude menée par des experts de l’Agence française de développement (Afd) et de l’Institut national agronomique de Tunisie (Inat) paru au dernier trimestre 2011.

Par Maher Gordah


 

Depuis l’indépendance, la sécurité alimentaire quantitative de la population tunisienne a connu une amélioration significative. En effet, les disponibilités énergétiques alimentaires par habitant ont progressé de 2.000 à 3.500 kcal par personne et par jour entre le début des années soixante et le milieu des années 2000.

Cette progression des disponibilités alimentaires a concerné toutes les catégories sociales et de nos jours, la très grande majorité de la population est à l’abri de la sous-nutrition.

En ce qui concerne la dimension qualitative de la sécurité alimentaire, de nouveaux problèmes ont fait leur apparition: la prévalence des maladies de carence se réduit tandis que celle des maladies résultant d’une alimentation trop riche en sucres et matières grasse augmente.

La politique des prix garantis à la production n’incite pas les producteurs.

Selon une étude menée par des experts de l’Agence française de développement (Afd) et de l’Institut national agronomique de Tunisie (Inat) paru au dernier trimestre 2011, ces évolutions mentionnées ci-dessus sont le résultats des politiques agricoles et alimentaires mises en œuvre durant les dernières décennies.

Dans une première étape (de l’indépendance, en 1956, jusqu’au milieu des années 1980), ces politiques ont affiché un objectif d’autosuffisance alimentaire, poursuivi à travers des mesures importantes de soutien à la production combinée à une subvention significative des prix à la consommation des denrées alimentaires de base.

Ensuite, dans le cadre des politiques d’ajustement structurel et du mouvement général de libéralisation (interne et externe) de l’économie tunisienne, l’accent a été mis sur l’objectif de sécurité alimentaire donnant ainsi aux mécanismes de marché un rôle croissant dans la satisfaction des besoins alimentaires de la population. Cette nouvelle conception est à relier étroitement à l’émergence du concept de compétitivité de l’offre locale de produits agricoles, celle-ci constituant une condition essentielle à la maîtrise des importations et à l’accroissement des exportations des produits alimentaires.

Identification des principaux problèmes

La crise provoquée par la flambée des prix internationaux des produits alimentaires et des produits pétroliers en 2007 et 2008 a permis d’identifier certaines fragilités de la politique agricole et alimentaire dont les principales sont :

Stimuler et stabiliser l’offre locale de produits agricoles.

- une forte exposition à l’instabilité des marchés internationaux qui constitue une source de préoccupation pour les finances publiques, en raison des subventions à la consommation qui sont toujours en vigueur pour les denrées constituant la base de l’alimentation de la population et particulièrement des consommateurs à faible revenu;

- une possible exacerbation des fluctuations interannuelles de la production agricole, notamment sous l’effet du changement climatique, dans la mesure où l’agriculture et l’élevage tunisiens sont des activités de zones arides ou semi-arides. En l’absence de stratégie adaptée, les effets du changement climatique (augmentation des températures, modification du volume et de la répartition des pluies) risquent d’accroître cette irrégularité de la production agricole nationale et ainsi d’hypothéquer l’amélioration de sa productivité;

- une faible compétitivité prix et hors prix des productions alimentaires nationales vis-à-vis des denrées importées. La politique des prix garantis à la production n’incite pas les producteurs, ainsi que les opérateurs à l’aval des filières, à se placer dans une démarche qualité résolument orientée vers les attentes des consommateurs. Cela affaiblit donc la capacité des produits tunisiens à conquérir durablement des parts de marché vis-à-vis des produits importés;

- une efficacité et une efficience sous-optimales des mesures en faveur de l’accès à l’alimentation des catégories les plus vulnérables.

Ces fragilités, avérées ou potentielles, de la politique agricole et alimentaire correspondent, selon les cas, à des défaillances de marché, du gouvernement ou à une combinaison des deux sans oublier également les cas d’inéquité. En somme, l’urgence de réaliser le potentiel de l’agriculture se présente comme une impérieuse nécessité d’améliorer la contribution du secteur agricole au développement de l’économie nationale en termes de croissance, de compétitivité et d’emploi.

Une forte exposition à l’instabilité des marchés internationaux.

Formulation des principaux objectifs

Face à ces défis et enjeux, l’objectif global de renforcement de la sécurité alimentaire de la Tunisie peut être décliné en quatre objectifs principaux:

- adapter la politique d’importation à l’instabilité des marchés internationaux en renforçant les capacités d’anticipation, et en élargissant la gamme des instruments de politique commerciale extérieure;

- stimuler et stabiliser l’offre locale de produits agricoles, notamment à travers la mise au point d’itinéraires techniques adaptés à la diversités des problématiques des territoires et des systèmes de production, l’appui à la reconversion de ces systèmes, l’évolution de la politique foncière et la promotion des démarches adaptées des aménagements hydro-agricoles;

- renforcer la compétitivité de l’offre nationale de produits agricoles tout en garantissant une exploitation durable des ressources naturelles et un équilibre de développement entre les territoires;

- favoriser l’accès à une alimentation suffisante et équilibrée.

Ces mesures sont considérées comme les plus importantes pour parvenir à la sécurité alimentaire selon la réflexion d’un groupe de travail constitué par divers experts en la matière.