Entretien avec le DG de City Cars, concessionnaire de Kia Motors en Tunisie, qui vient de passer une année difficile, mais dont les perspectives d’avenir incident de nouveau à l’optimisme.

Propos recueillis par Lotfi Kalboussi


Ancienne filiale du groupe Princess Holding, ex-propriété de Sakher Materi, gendre du président déchu, City Cars, concessionnaire de Kia Motors en Tunisie, a subi d’énormes pertes durant la révolution. Son DG Mehdi Mahjoub nous en parle avec force détails et évoque la situation actuelle et les perspectives de son entreprise.

Kapitalis : 2011 a été une année dure, extrêmement difficile pour City Cars qui a subi, semble-t-il, d’énormes pertes...

Mehdi Mahjoub: Effectivement, dans la soirée du 14 janvier, notre parc jouxtant le port de La Goulette a été pris d’assaut par des émeutiers. Il y avait des voitures dédouanées et d’autres encore sous douane. En tout et pour tout, pas moins de 714 voitures ont été touchées à des degrés variables. Certaines ont subi des dégâts à différents niveaux qui vont du bris de glace à la perte des clefs. D’autres ont été carrément incendiées ou sérieusement endommagées. La valeur globale des dégâts se chiffre à 5 millions de dinars. Le problème, c’est que notre assureur s’est dérobé à ses obligations et n’a rien voulu entendre et c’est pourquoi nous avons été obligés d’intenter une action en justice.

Pour quelles raisons votre assureur a-t-il refusé d’assumer ses responsabilités dans la couverture des dégâts?

Sincèrement, je l’ignore. Nous sommes pourtant assurés contre les émeutes et les incendies. L’affaire est actuellement entre les mains des juges. La première audience a été fixée pour le 26 janvier, mais elle a été reportée par deux fois. D’ici là, on verra bien.

Nous avons été ainsi obligés de prendre en charge par nos propres moyens les dégâts subis qui ont été absorbés par les résultats de l’entreprise, d’autant que City Cars a été exclue des aides de l’Etat à l’instar de tous les concessionnaires automobile ainsi que les grandes surfaces.

Combien de voitures volées?

86 unités environ manquent à l’appel.

S’agit-il de grosses cylindrées ou de voitures de moyenne gamme?

Des grosses berlines pour la plupart. Nous avons d’ailleurs porté plainte contre X auprès du procureur de la république.

 

86 véhicules environ manquent à l’appel.

Pensez-vous qu’elles se trouvent encore en Tunisie?

Je crois que oui.

Que comptez-vous faire des véhicules endommagés?

Dans notre parc de Ben Arous, nous gardons une quarantaine de voitures  incendiées et aux alentours de 130 véhicules complètement saccagés. Nous  allons bientôt lancer un appel d’offres pour la vente de ces voitures en pièces de rechange.

Nous ne pouvons nous permettre de les remettre en circulation, car il y a une image de marque à préserver. Nous avons même pensé à les envoyer au constructeur pour réparation, mais nous nous sommes finalement désistés en raison du coût excessivement élevé de l’opération.

5 millions de dinars de pertes... comment en étiez-vous sortis?

Ça n’a pas été du tout facile, surtout que nos déboires ne se sont pas limités aux voitures volées ou saccagées. Il se trouve, en effet, que dès le 17 janvier, quatre de nos partenaires banquiers nous ont fermé la porte au nez. Nous avions 1.200 véhicules stationnés au port et nous devions payer la douane pour pouvoir les vendre et récupérer de l’argent. Malheureusement, ils ont bloqué nos comptes, alors que la valeur des liquidités dont nous disposions chez eux dépassait de loin celle de nos engagements.

A dire vrai, seule la Banque nationale agricole (Bna), que je tiens à remercier vivement au passage, a été à la hauteur de la situation et nous a permis de sauver l’entreprise de la faillite. Sans la Bna, Kia aurait, en effet, disparu en termes de valeur intrinsèque de l’entreprise et des 700 emplois directs et indirects générés par notre activité.

Vient s’ajouter à cela les deux contrôles fiscaux infligés aux deux sociétés qui gèrent la marque Kia en Tunisie (City Cars pour les voitures et City Cars Gros pour les pièces de rechange).

Encore une occasion pour rendre hommage à l’équipe en place qui a montré la bonne gestion et ce depuis le démarrage de l’activité, puisque les deux résultats  des contrôles sont quasi néants pour les deux sociétés (12.000 dinars pour City Cars et 0 dinars pour City Cars Gros.)

130 véhicules complètement saccagés.

Comment se présente la situation aujourd’hui?

On peut dire qu’on revient de loin. La marque se porte bien. Les statistiques des immatriculations des trois premiers mois de l’année en cours nous classent, d’ailleurs, en première position sur le marché des véhicules particuliers.

Nous avons continué, par ailleurs, à développer notre réseau, y compris durant 2011.

Nous avons ainsi ouvert trois nouvelles agences à Sousse, Djerba et Nabeul et la société a contribué à créer des emplois. Cette année, nous sommes sur le point d’inaugurer les agences de Ben Arous, la Charguia II, Mnihla, Gabès et Oued Ellil.

Nous persistons à croire que, pour réussir, une marque doit nécessairement rapprocher ses services de la clientèle. La proximité est, en fait, la clef du succès et c’est ce que nous nous sommes attelés à faire.

Par quoi justifiez-vous cette performance?

La croissance n’est pas le fruit du hasard mais d’un travail assidu. Elle ne se décrète pas, mais se prépare. Cette performance est due notamment à un service après-vente que je pense, sincèrement, de qualité, un accueil convivial et chaleureux et surtout une transparence dans nos rapports avec notre clientèle.

Il est aussi question, bien évidemment, de produit et Kia Motors a introduit sur le marché de nouvelles gammes de voitures entièrement rénovés et présentant un excellent rapport qualité-prix.

Depuis fin 2009, la marque a entrepris un vaste programme de re-conception de tous ses modèles qu’elle a confiée à Peter Schreyer, le concepteur allemand attitré de chez Audi. Le résultat ne s’est pas fait attendre, comme le confirment d’ailleurs les 6.000 inscrits sur la liste d’attente, à Tunis et autant à travers notre réseau (Sfax, Sousse, Djerba, Nabeul…) pour l’acquisition de la nouvelle Rio dans ses deux versions 4 portes et 5 portes.

Il semble que la réglementation en vigueur empêche le développement du secteur…

Effectivement, le système des quotas qui régit le secteur pénalise les marques performantes. Il importe de rappeler que ce système n’est plus en vigueur en principe depuis 2010, année de la libéralisation totale du secteur, mais il est maintenu par souci d’équilibre de la balance commerciale.

L’ouverture totale du marché ne risque-t-elle pas justement de déséquilibrer la balance commerciale?

Sincèrement, je pense que c’est un faux problème, car les besoins du marché se situent aux alentours de 40 à 50.000 voitures par an. Donc, ouverture ou pas, le marché sera régulé par la demande après une année ou deux, sachant qu’aucun concessionnaire ne prendra le risque d’importer plus de voitures qu’il ne peut en vendre.

 

Des degrés divers de dégradation.

Quelles perspectives pour City Cars?

Je pense que le plus dur... est dans le rétroviseur. Je tiens à préciser que le staff de l’entreprise a fait preuve d’un remarquable esprit d’équipe et de solidarité durant les moments difficiles. Au lendemain de la révolution, je m’attendais sincèrement à ce que 40% de l’effectif quitte l’entreprise, mais il n’en fut rien. Bien au contraire, tout le monde a été dur à la tâche pour sauver les meubles et maintenir en activité la société qui a réussi à transcender tous les obstacles et à surmonter toutes les difficultés, grâce au dévouement et à la compétence de toute l’équipe. Ce n’est pas du tout exagéré de vous dire que nous avons vécu un véritable cauchemar, car la situation était véritablement chaotique. Tout le personnel de l’entreprise, aussi bien les cadres que les agents, sont descendus sur le terrain pour récupérer et aider à faire remorquer les voitures endommagées, éparpillées dans les rues et les ruelles de la banlieue nord.

Je peux dire qu’on a réussi à relever avec succès le challenge, comme le confirment d’ailleurs les résultats réalisés par l’entreprise.

Pouvez-vous nous donner plus de détails à ce propos?

2010 a été, pour nous, une année exceptionnelle. La raison en est que ce millésime a hérité du quota 2009 qui a coïncidé avec le démarrage en décembre de l’entreprise. 5.800 voitures ont été vendues durant cette période.

En 2011, nous avons épuisé notre quota de 3.000 véhicules, un chiffre bien en-deçà des capacités de vente de l’entreprise. C’est pourquoi nous avons pris attache, dès le mois de mai, avec le ministère du Commerce pour examiner les moyens d’importer 500 voitures supplémentaires afin de compenser les pertes subies cette année-là. Au mois d’octobre, nous avons reçu l’accord pour l’acquisition de 345 voitures, mais nous avons dû subir des passages à vide, en raison de la rupture de stocks.

C’est dire que les quotas ne peuvent aucunement refléter les performances de l’entreprise aujourd’hui. D’ailleurs, certains concessionnaires automobiles ne réussissent à vendre que 400 voitures sur le marché pour un quota équivalent au nôtre.

City Cars sera-t-elle vendue?

Franchement, je ne peux répondre à cette question avec précision. On s’attend à tout. L’essentiel, c’est qu’on a réussi à relever avec succès le challenge et à faire sortir l’entreprise de la zone de fortes turbulences. Il n’y pas eu de cassure après la révolution et en plus de l’abnégation de toute l’équipe, nous avons bénéficié de l’apport actif de notre administrateur judiciaire que je considère parmi les meilleurs, qui nous a énormément aidés.

Le plus important aussi, c’est que notre partenaire sud-coréen, Kia Motors, continue à nous faire confiance, malgré la campagne de dénigrement lancée par certains qui ont tout fait pour nous discréditer dans le dessein de s’accaparer de la représentation exclusive de la marque en Tunisie. Et ce  n’est d’ailleurs pas un hasard si le président du directoire de Kia Motors nous a rendu visite par deux fois, dont l’une à l’occasion de l’inauguration de l’agence de Sousse, agence modèle pour la région Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

 

Un appel d’offres pour la vente de ces voitures en pièces de rechange.

Envisagez-vous la réalisation d’un nouveau projet avec Kia Motors, une joint-venture?

C’est déjà fait, Kia Motors gère une unité spécialisée dans la production de câblage, la Société Yura Corporation, à Kairouan qui emploie 2.500 personnes. En ce qui nous concerne, nous étions sur le point de lancer un nouveau projet, à savoir un show-room et un atelier de maintenance et de service après-vente de 3.000 mètres carrés du côté de La Goulette. Ce projet est actuellement en stand-by et sera peut-être concrétisé par les repreneurs de la société.